Nous leur faisons confiance. Nous leur faisons tellement confiance que nous sommes sûrs qu’ils paieront nos dettes et nos retraites. Nous sommes persuadés qu'ils seront compétitifs, créatifs et motivés pour animer demain une économie menacée.
Ils paieront...
Ils sont notre réponse ultime aux défis de la mondialisation et la seule garantie finale des montages financiers audacieux qui nous sauvent en ce moment de l’abîme : ils paieront. Ils sont formidables, les jeunes !
Demain, nous dépendrons de leurs choix, de leur imagination, de leur ambition, de leurs initiatives, de leur patriotisme, bref : de leur envie de participer au prix fort à notre écosystème national.
Ce sont nos héros, une nouvelle génération salvatrice enrôlée, quoique sans consultation préalable, dans la sauvegarde de notre continuité et de notre confort.
Nous sommes déjà leurs débiteurs. Chacun de ces gentils jeunes devra probablement rembourser entre cinquante et cent mille euros pour notre compte ; sans oublier de faire le ménage écologique du désastre environnemental que nous leur laissons, et en espérant qu’ils apprécient de travailler dans la possible canicule d’un changement climatique annoncé. Une seconde raison de se retrousser les manches !
leur faire confiance maintenant
Pour les aider à d’ores et déjà relever des défis aussi rudes que ceux qu’affrontèrent les premières générations d’après-guerre, nous sommes à leurs côtés. Nous leur donnons des responsabilités, nous les émancipons, nous finançons leurs projets. Ils participent dès maintenant à la vie de la cité et accèdent plus vite aux décisions. Ils sont pris au sérieux, leur maturité est reconnue et leurs avis entendus. Oui, ils gagnent bien leur vie, ils peuvent se loger, rouler, se soigner, fonder leur famille. Ils sont respectés. On leur fait tellement confiance pour le futur qu’on a décidé de leur faire confiance maintenant !
Dernier arrivé, dernier parti
Euhh... Cherchez l’erreur. La nouvelle génération d’aujourd’hui est la variable d’ajustement de la crise. Dernier arrivé, premier parti. Ils ont à treize ans la maturité que nous avions à dix-huit, mais sont gardés sur les starting-blocks six ans de plus : c’est la durée moyenne entre le premier stage et le premier CDI. Et le chômage de cette classe d’âge, au-delà du quart, fait honte à la société tout entière.
Probablement, c’est la première génération depuis longtemps qui vivra moins bien que ses parents. Une génération mal logée : faites le calcul du prix du mètre carré pour une petite surface en ville : plus cher que le mètre carré d’un hôtel particulier ; mal soignée : sans la couverture des mutuelles et autres complémentaires, la santé devient un arbitrage budgétaire.
Leur culture, leur musique, leurs paroles, leurs écrits, leur style, leurs risques et leurs rêves sont méprisés et ignorés. Comme un velcro, on leur accroche tous les préjugés. Ne parlons pas enfin de leur mixité ethnique vécue socialement comme un problème et rarement comme une chance.
Ils sont trop ceci ou trop cela... Ils sont surtout trop absents de notre vie publique, de nos entreprises, et tous les barrages sont mis pour que les plus créatifs d’entre eux s’y cassent les dents. La compétition montante est écrasée par les aînés installés.
Que va-t-il se passer ?
Après le désenchantement, la défiance et peut-être la révolte, ils participeront à de nouvelles socialisations alternatives en réseau qui court-circuiteront les systèmes âgés et dépassés.
Par des stratégies collaboratives de partage, de débrouille et d’échange gérées sur Internet, par des monnaies informatiques transnationales, par des bricolages novateurs, par de nouvelles chaînes de valeur, ils investiront une couche virtuelle multiforme échappant à l’emprise des vieux modèles. Par le réseau, la nouvelle génération prendra son indépendance et échafaudera spontanément un autrement parallèle : un « résocialisme ».
Nous y viendrons tous, déjà certains y prospèrent. Pour cette génération, ce sera le centre de gravité.
Pour les marques, les entreprises, cette économie du réseau est l’horizon ; pour la nouvelle génération, c’est une stratégie de survie et la meilleure riposte.
La bypass generation
Pour faire sérieux, il faut donner un nom anglais à ce phénomène générationnel de contournement par le réseau de la faillite ambiante, cela s'appellera la bypass generation. Voilà qui sonne bien.
Voilà qui sonne aussi le glas de ce paradoxe intenable : discriminer une génération aujourd’hui et lui présenter la facture demain.
Tout ce que j’écris là est en cours, sous le radar, mais en cours. Cela s’entend sur Skyrock, se lit sur nos blogs, s’échange sur nos applis mobiles. Sous pseudo, bien entendu, pour parler vrai.
Jadis, quand les destins étaient bloqués, on pensait Amérique, mais c’était loin et peu tentaient l’aventure. Aujourd’hui, l’alternative c’est le réseau que chacun a maintenant avec soi, le mobile en poche. En fait, cette génération otage est déjà libre. Et elle va s’en rendre compte.
*éditions numériques Tito Street, et publié dans la newsletter du 22 septembre 2012 de Influencia.