Petite définition : l’expression anglo-saxonne serendipity, dont l’équivalent français (sérendipité) ne figure pas encore dans les dictionnaires, désigne l’action de trouver quelque chose qui n’était pas initialement prévu.
Mais ce qui est vraiment nouveau, c’est de trouver vite et surtout de trouver ce qu’on ne cherchait pas initialement. Les deux nouvelles générations s’en sont emparé : la génération Y des digital natives, avec Google, trouve tout ce qu’elle cherche ; la génération suivante, celle de Facebook, les social digital natives que j’appelle génération Bovary pour sa propension à l’illusion, cultive ses « amis » et rêve de rencontrer le monde entier.
Grandes conséquences
Voici comment le mot et la chose sont nés : « aux Pays-Bas, il y a une tradition chez les chercheurs : le vendredi après-midi, ceux-ci disposent de la liberté d’accomplir des recherches personnelles. Chaque chercheur a officiellement une marge de manoeuvre, sans être obligé de justifier ses actions », rappellent les auteurs de « De la sérendipité dans la science, la technique, l’art et le droit : Leçons de l’inattendu », Pek van Andel et Danièle Boursier. La sérendipité est une réponse à l’incertitude, à la rapidité des changements, à l’impossibilité de prévoir... Pourquoi s’inquiéter ? L’histoire du monde a souvent été faite sur des événements imprévisibles.
Sérendipité, un optimisme joyeux de l’inattendu
On a souvent le sentiment que cette génération est « cool », zen, pleine d’humour et apporte son « Lol quotidien » au premier agacement. La sérendipité est sans doute la cause d’un optimisme inavoué. Le monde est à nouveau ouvert ! Rien de plus « jouissif », de plus joyeux que de trouver, de résoudre des problèmes, de devenir un « chercheur de bonheur. ». Une nouvelle valeur est née, aussi universelle qu’une autre et sans doute plus « fun », plus joyeuse, plus créative, comme si on avait trouvé un don magique : celui de faire des découvertes heureuses.
La sérendipité est d’abord le fruit de la rapidité. On va vite, on tape presque au hasard, sans corriger chaque mot. Un éclair ? On va plus loin. On crée le lien. On reste souvent peu de temps...
Cette démarche générationnelle est à la fois le fruit d’une intuition, du hasard et du travail. Bref, une démarche quasi scientifique qui ne dirait pas son nom...
Une démarche scientifique qui ne dirait pas son nom
Une nouvelle manière de travailler est née depuis les années 2000 avec Internet, les moteurs de recherche, les réseaux sociaux, la wikimania, qui consiste à aider quiconque s’interroge sans nécessairement attendre une réponse. La sérendipité est en passe de redonner tout son sens au mot « innovation ». En trouvant ce qu’on ne cherchait pas, on retrouve la logique même de l’esprit scientifique, curieux, ouvert et créatif. Le contraire de la R&D, la recherche très orientée qui absorbe la majorité des budgets des grandes entreprises et qui donne de moins en moins de résultats. La R&D est tournée vers le passé ; l’innovation et la sérendipité vers l’inconnu, c’est-à-dire vers l’avenir. C’est la caractéristique de cette génération qui a compris que tout n’est pas écrit d’avance et que tout ne peut pas être « processé », et qui a redécouvert, malgré elle sans doute, l’essence même de l’esprit scientifique.
De la sérendipité au droit à l’erreur
Cette pratique quasi scientifique, cette confiance en un hasard heureux les a conduits à gagner un deuxième comportement, celui du droit à l’expérience. Le droit de tester. En marketing, bien sûr, où l’on ne cesse de parler de marketing expérientiel. Mais également le droit de changer d’avis. Désormais, on passe une commande sur le net, on peut renvoyer sans frais et sans explications. Le droit à l’erreur est né.
L’entreprise veut voir appliquer des « méthodes éprouvées mais cette génération veut pouvoir tester pour prouver qu’on peut arriver au résultat plus vite, plus sûrement, avec moins de contraintes. La co-création s’impose car il n’y aura plus jamais de solutions toutes faites. Tant pis si on se trompe. On aura essayé !
Du droit à l’expérience au droit à l’ailleurs
La première expérience que cette génération a souvent connue au travers du tourisme a été le droit à l’ailleurs, le droit à la rencontre, sur les réseaux sociaux et bien réelle lors d’un apéro Facebook, d’un brunch ou d’un anniversaire improvisé. 250 millions de personnes (jeunes en très grande majorité) changent de pays chaque année : autant Nord-Sud que Sud-Nord, Sud-Sud et Nord-Nord. La société va devoir là aussi en tenir compte. Le phénomène va en s’amplifiant.
Génération de l’expérience, cette génération est d’abord celle de l’expérience de l’autre, voire de l’altérité. En France, plus de 25% des mariages sont des mariages mixtes et ce depuis une décennie. Faire son expérience c’est rejeter les schémas tout faits, réinventer sa vie et laisser le « bon hasard » jouer sa partition.
Ce droit à l’expérience, à l’ailleurs, ils veulent l’exercer dans tous les domaines, au niveau politique, au niveau religieux où les changements sont désormais fréquents et où le paradoxe est devenu la règle.
De la sérendipité au refus de la hiérarchie
Ces « petits nouveaux » sont un vrai casse-tête pour les recruteurs. Ceux-ci pensaient qu’avec le chômage, ils allaient avoir une main d’œuvre docile. Pas du tout ! Ayant intégré la sérendipité comme une seconde nature, le droit à l’expérience comme un nouveau mode de fonctionnement, ils ne s’en laissent pas compter. La génération Y discute chaque point du contrat et la génération qui suit, la génération Bovary, en appelle à tous ses fans, followers et amis avant d’accepter une embauche. En place, ils continuent à faire leurs expériences, faisant fi des habitudes de l’entreprise ! Etre le supérieur hiérarchique de cette nouvelle jeunesse va devenir un métier. Pouvoirs publics et entreprises, sans l’avouer sociologiquement, en sont si conscients qu’ils viennent de donner un statut et des avantages sociaux « au tuteur », senior censé « formater » cette jeunesse à la sérendipité trop bien pendue !
Des Pro-am qui remettent en cause les hiérarchies acquises
Cette habitude de touche-à-tout qui leur réussit plutôt en fait des pro-am, des amateurs-professionnels dans chacun de leurs domaines d’intérêt. Le patient en sait plus que son médecin, le consommateur plus que la marque, le citoyen plus que l’institution. Ceux qui raconteront des balivernes seront vite stoppés ! Les manifestations numériques sont nées.
Pour la première fois, « l’apprenant » en sait plus que le « sachant ». Cette inversion de la pyramide n’a pas fini d’avoir des conséquences. Le droit à l’expérience, conséquence de la sérendipité, inverse l’ordre établi. C’est une révolution des esprits plus durablement installée qu’une barricade de 68. N’en déplaise aux « anciens » !.