Depuis plusieurs années, les us et coutumes de celle qu'on a appelée la génération Y semblent fasciner les recruteurs et les spécialistes de la consommation. On la scrute de partout. La littérature sur le sujet foisonne. Une thèse revient toujours : cette génération, qui a grandi dans les années 1990 et 2000, se distinguerait radicalement de celles qui l’ont précédée. En cause : son usage exponentiel des nouvelles technologies et l’impact de celles-ci sur ses façons de penser, de travailler et de consommer. C’est à peine, lit-on parfois, si nous serions capables de comprendre ces jeunes, de les intégrer dans les entreprises, de les suivre dans leurs nouvelles manières d’interagir avec les autres...
Cependant, une lecture attentive des nombreuses données disponibles dans les enquêtes ne montre pas une telle divergence. C’est même le contraire qui retient tout d’abord l’attention. De nombreuses valeurs ou aspirations sont aujourd’hui universellement partagées : les chiffres ne permettent pas de tracer une ligne de clivage claire entre la génération Y et les autres.
De fait, nous vivons à l’heure de la convergence des générations et ces dernières en ont conscience. Ainsi, 78% des moins de vingt-cinq ans reconnaissent avoir « beaucoup de complicité » avec leurs parents. Et ces derniers le confirment : 90% d’entre eux éprouvent le même sentiment. Seul un jeune sur quatre estime qu’il existe un fossé entre ses valeurs et celles de ses parents. C’est qu’en réalité, la génération Y est moins étrange qu’on le prétend. Elle arbore même, quand on la regarde de près, une figure très familière...
Travail, famille...
Commençons par le plus fondamental. Qu’est-ce qui, aux yeux des jeunes de moins de vingt-cinq ans aujourd’hui, apparaît comme le plus important dans la vie ? La première réponse n’étonnera pas : 55% d’entre eux pensent qu’« être heureux en amour » est le premier critère d’une vie réussie. Et l’idéal amoureux rime avec la famille pour l’écrasante majorité. 84% des moins de vingt-cinq ans souhaitent construire « une seule famille » dans leur vie, « en restant avec la même personne ». Mieux : 81% disent vouloir se marier un jour, signe que le mariage est loin d’être une institution dépassée auprès d’eux. À l’ère du divorce généralisé, la stabilité amoureuse demeure l’aspiration universelle.
Se marier, avoir des enfants et... travailler. 51% d’entre eux placent en effet la réussite professionnelle en seconde position des critères d’une vie réussie. Le travail reste une valeur centrale pour la génération Y. 58% pensent qu’« en travaillant dur, on finit toujours par réussir dans la vie ». C’est 4 points au-dessus de la moyenne des Français. De même, 52% se disent prêts à s’investir dans leur travail (contre 44% pour le reste des actifs). Les jeunes apprécient le travail, à condition d’en avoir... Une enquête réalisée pour le CESI en 2011 révèle ainsi que 92% des salariés de moins de trente ans affirment « avoir le goût du travail ».
Signe des temps : travailler dans une bonne ambiance est devenu en 2012 une motivation plus importante qu’avoir une bonne rémunération. C’est peut-être là que la génération Y se distingue. Elle veut pouvoir évoluer dans un cadre agréable et le facteur humain en constitue une composante essentielle.
Pour une société d’ordre et de sécurité
Mais le plus frappant, dans l’analyse des données disponibles, réside dans leur rapport à l’ordre. Les digital natives ont beau s’épanouir dans la joyeuse anarchie du monde numérique, ils n’en sont pas pour autant moins attachés à l’ordre et à la sécurité. De fait, le fameux « sentiment d’insécurité » est loin de concerner seulement la frange la plus vieillissante de la population française. 50% des moins de vingt-cinq ans considèrent qu’aujourd’hui « on ne vit plus en sécurité », la même proportion que pour le reste des Français (49%). L’environnement extérieur leur fait de plus en plus peur.
Cette inquiétude se traduit par une demande d’ordre croissante : 74% des moins de vingt-cinq ans estiment ainsi qu’il « faut remettre de l’ordre en France ». Ce chiffre a augmenté de 3 points depuis 2010 et se situe au même niveau que la population totale (75%). Cela peut paraître surprenant pour cette génération, mais c’est un fait. D’ailleurs, il faut noter qu’Internet – leur royaume enchanté – n’échappe pas à cette demande de régulation : 70% avouent qu’il serait bien de « contrôler davantage le contenu de ce qui circule sur Internet », un chiffre très proche de la population totale.
Ils ont besoin de garanties sur leur participation à la société de demain
Illustration de Vincent Caut
La génération de la crise de l’avenir
Cette génération ne ressemble décidément pas à celle de ses parents ou de ses grands-parents soixante-huitards. Pour elle, reprendre en main les choses apparaît comme une priorité en cette période de crise économique. Beaucoup de jeunes aujourd’hui ont le sentiment que la roue de la fortune est passée pour la France.
Conséquence : ils éprouvent de la nostalgie pour une période qu’ils n’ont pas connue : les fameuses « Trente Glorieuses ». 35% aimeraient revivre les années 1970-1980 et 17% les années 1950-1960. Le passé les inspire manifestement car 46% pensent que « c’était mieux avant » et 49% ont - déjà ! - la nostalgie de leur enfance.
À l’origine de cette paradoxale nostalgie, un constat : les jeunes ont peur de l’avenir. Dans la France de 2012, 64% des lycéens et 59% des étudiants redoutent de vivre un jour dans la misère. Deux jeunes sur trois pensent que « la prochaine génération vivra plus mal ». Le futur s’est éclipsé, et le présent leur fait face avec ses montagnes de contraintes financières : factures à payer, logement inaccessible, crédits compliqués, etc. C’est bien simple, sans l’aide de leurs parents, une part non négligeable des jeunes actifs aurait du mal à s’en sortir. Le fait est là : en 2012, deux tiers des actifs de moins de 30 ans reçoivent une aide de leurs parents. 27% reçoivent une aide financière, 38% une aide matérielle et 35% une aide sous la forme de services (garde des enfants, courses, ménage...).
En quête de cadre et de souplesse
Pour bien comprendre la jeunesse d’aujourd’hui, il ne suffit donc pas de mettre en avant leur usage immodéré des nouvelles technologies. Il ne suffit pas non plus de montrer leur dépendance aux smartphones ou aux jeux vidéo. Dès que l’on se penche sur leurs préoccupations, on retrouve un portrait qui nous est familier : celui de la France en crise des années 2010. Et quand on étudie de près leurs valeurs, on retrouve les idéaux traditionnels des sociétés occidentales.
C’est cette dualité qui, en définitive, est intéressante dans cette génération. Les jeunes d’aujourd’hui sont à la fois hypermodernes et conservateurs. Leur hyper modernité se traduit par le désir qu’on leur parle un langage clair, simple, qui va droit au but. La culture des réseaux sociaux a assoupli leurs relations aux autres. Ils veulent avoir des réponses rapides et personnalisées face aux problèmes qu’ils rencontrent et avoir accès facilement à des gens qui les conseillent. Mais, simultanément, ils ont aussi besoin - c’est leur côté conservateur de cadres qui les rassurent - de repères qui les structurent. Ils veulent avoir le sentiment d’être accompagnés dans les moments difficiles (découvert, chômage, besoin de financement...). Et, surtout, ils ont besoin de garanties sur leur participation à la société de demain. De ce point de vue, leur rêve d’intégration n’est pas nouveau. Il continue le rêve des générations précédentes.
Les chiffres cités tout au long de l’article sont issus de l’Observatoire des modes de vie et de consommation des Français (les « 4500 »). Conduit par Ipsos depuis 2006, cette étude interroge tous les deux ans un échantillon représentatif de 4500 personnes âgées de 15 à 75 ans. La dernière vague a eu lieu en juin 2012.