Les derniers résultats du baromètre trimestriel des valeurs et aspirations, publié par Soon Soon Soon, révèlent une baisse de la préoccupation environnementale chez la controversée génération Y, parallèlement à l’émergence d’un hédonisme performant qui sert à s’extraire d’une réalité déprimante à laquelle l’état de la planète contribue. La cause environnementale intéresse-t-elle encore ceux à qui on a promis le progrès mais qui savent désormais que leurs conditions de vie seront moins bonnes que celles de leurs aînés ? Tentative de réponse avec deux spécialistes...
Bettina Laville est une des grandes personnalités du développement durable en France. Conseillère à l’Elysée puis auprès de Lionel Jospin, c’est elle qui a coordonné la délégation française à la conférence de Rio de 1992 puis à celle de Kyoto. Elle était membre de la délégation Française Rio+20. Elle est aujourd’hui avocate chez Landwell PwC.
Alix Mazounie, 26 ans, est chargée des politiques internationales au sein du Réseau Action Climat-France. Elle a assisté à la conférence de l’ONU sur le climat organisée à DOHA en décembre dernier.
IÑfluencia « Jeunes et écologie : n’en ont-ils rien à faire ? »... Question pertinente ?
Bettina Laville Il y a une chose qui me frappe chez la jeune génération, c’est son pragmatisme. Elle semble avoir intégré la fin des idéologies, sauf évidemment pour une frange qui exprime sa révolte par l’intégrisme, voire le fanatisme religieux. À mon sens, cela est dû au fait que la génération qui est née un peu avant 1992 (année de la première conférence de Rio) a toujours vécu avec le constat de planète en danger. La dégradation du climat ou l’érosion de la biodiversité font donc partie de son paysage quotidien. Au contraire, pour les générations comme la mienne, ces problématiques ont été une découverte.
IÑ Si les idéologies n’existent plus pour elle, la jeune génération peut-elle encore croire à un changement ? Qu’est-ce qui la motive ?
Alix Mazounie Je suis allée en décembre dernier, pour la conférence de l’ONU sur le climat, à Doha, capitale du Qatar, où les mouvements représentant la jeunesse étaient nombreux. Leurs membres n’ont parfois que 13 ou 14 ans mais ils sont extrêmement actifs, ils sont présents sur tous les fronts. Le dernier jour de la conférence, par mécontentement, ils sont allés jusqu’à entonner un chant de protestation. Et sous des dehors désorganisés, leurs positions sont hyper stratégiques. Maintenant, de là à dire qu’ils sont représentatifs de la « population des jeunes »...
BL Je trouve que le pragmatisme que j’évoquais se manifeste particulièrement bien au sujet de ces grandes conférences. C’est dû au fait qu’aujourd’hui, dans tous les pays, il existe désormais des cursus consacrés au développement durable. C’est un fait totalement nouveau car cette jeunesse peut désormais en faire une profession. Ce qui me pousse à croire davantage aux effets de cette intégration professionnelle qu’aux manifestations lors de grands rassemblements...
IÑ Justement : il semblerait que les jeunes choisissent moins désormais une voie professionnelle par passion que par raison, pour trouver un emploi. Cela joue-t-il sur l’engagement environnemental, qui est traditionnellement plutôt « passionnel » ?
BL Même si c’est le cas, votre constat ne change pas grand-chose. Comme l’écologie est désormais un problème pragmatique, je pense que ces visions peuvent s’allier. Ce que je ne sais pas en revanche, c’est si le pragmatisme de la jeune génération saura trouver le chemin qui mène de l’individuel au collectif pour agir sur la réalité des faits. Ou au contraire, si l’expansion des mondes virtuels va la couper de la réalité...
AM Lorsque j’ai commencé à travailler sur le climat, je n’ai pas fait un choix mû par une inquiétude démesurée pour les générations futures. J’ai grandi en Australie, pays où le trou dans la couche d’ozone est une problématique omniprésente. Du coup, j’ai toujours vu la question environnementale comme un sujet de travail comme un autre.
Aujourd’hui, ma profession exerce une fascination drolatique auprès de mes proches. Elle suscite toujours des réactions : on ironise sur la cause, on la caricature sur le thème : « donc si je ne trie pas mes poubelles, je suis un mauvais citoyen ? ». Mais le plus souvent, c’est le discours écologiste qui est moqué, et non la réalité des phénomènes.
IÑ C’est-à-dire que le message traditionnel de protection de l’environnement ne touche plus les jeunes générations ?
AM Exactement. L’écologie est encore perçue pour ma génération comme une invitation au sacrifice quotidien, notamment à travers des recommandations qui semblent demander des efforts chaque jour alors que, justement, ce quotidien est déjà difficile. Le cas typique est celui de l’avion, avec tout le discours qu’il y a autour des émissions de gaz à effet de serre. L’effet est tel qu’il invite au cynisme et l’argument que j’entends le plus souvent chez mes amis est « ça ne sert à rien que j’arrête de prendre l’avion puisqu’il y aura toujours autant d’avions ! ». Comme si l’action individuelle n’avait pas d’impact. Le sujet est donc là, mais c’est un sujet qui fatigue et qui pousse à se positionner de façon radicale « pour » ou « contre »...
IÑ Et au niveau international, dans les sphères de décisions auxquelles participe la jeunesse ?
BL La jeune génération a conscience que les solutions offertes par les dirigeants actuels sont totalement indigentes. Les jeunes présents à la conférence de Rio+20 [la Conférence des Nations Unies sur le développement durable qui s’est tenue en juin 2012, ndlr] étaient horriblement déçus par les résultats. Ce qui semble compter pour eux désormais c’est « le faire », qu’on peut matérialiser dans sa propre vie, au quotidien. Bien sûr, la crise est là, alors c’est vrai qu’il y a une angoisse du futur qui fait se concentrer sur l’immédiat. Mais je pense qu’il y a encore un désir d’agir, même s’il est associé à une incapacité à l’action collective car on ne sait pas trop par quel bout prendre le problème.
IÑ Selon un sondage de la Fondation pour l’Innovation Politique, la jeunesse occidentale serait très pessimiste alors que les indiens et chinois n’auraient jamais été si optimistes. cette jeunesse orientale porte-t-elle alors davantage le message écologiste ?
AM Oui, et c’est certainement plus naturel pour elle dans la mesure où dans ces pays, tout reste à faire. J’ai le sentiment que chez nous, les choses sont beaucoup plus compliquées : il faut adapter toutes les infrastructures, à tous les niveaux, la tâche est gigantesque.
Le cadre paraît trop rigide alors qu’en Chine et en Inde, tout paraît possible. Je crois d’ailleurs que les jeunes de ma génération ont une forme de certitude sur comment va se dérouler leur vie qui crée une grande lassitude...
BL Je suis certaine que la préoccupation environnementale est présente chez les jeunes orientaux pour une raison précise : la dégradation des écosystèmes et celle du climat menacent leur santé, notamment dans les villes.
IÑ Vous voulez dire que la préoccupation environnementale existe chez ces jeunes dans la mesure où elle les touche directement dans leur quotidien ?
BL Je crois en effet qu’on ne s’intéresse plus au sujet pour les mêmes raisons qu’autrefois. Mon intérêt s’alimente du contact avec la nature, de l’admiration pour les « Rêveries du promeneur solitaire »... Ce n’est plus ce qui motive les jeunes générations, tout simplement parce que, pour cette population très urbaine, le contact avec la nature s’est considérablement réduit.
Mais la vie dans une mégapole peut aussi amener à s’impliquer via un combat contre une pollution nocive pour la santé par exemple. Cela se vérifie déjà en Chine où bon nombre des luttes collectives sont motivées par des pollutions majeures. C’est une problématique qui concerne éminemment les générations les plus jeunes.
AM Je crois en effet que la question de la santé sera prépondérante. Ma génération ne pense pas trop au futur : on ne se projette pas à 5 ou 10 ans, on change tout le temps de mode de vie, de perspectives. Nous devons nous adapter à une époque où les certitudes sur l’avenir n’existent plus. Je crois donc que le ressort de la santé est un ressort puissant. Mais en France, nous n’avons pas un niveau de dégradation environnementale suffisamment visible au quotidien pour que cela provoque un scandale ou de grandes mobilisations. Nous ne sommes pas en Chine...
IÑ Peut-on rester optimiste dans ces circonstances ?
BL Ça fait 25 ans que je vois la préoccupation environnementale évoluer en dents de scie. Je pense que la jeune génération devra prendre le problème sous un angle nouveau. Ma génération a eu un rôle de sensibilisation et d’éveil, mais étant donné l’impasse dans laquelle on se trouve, il faut trouver autre chose et inventer une nouvelle philosophie de vivre qui ne soit pas empreinte de fatalisme. Je compte sur la génération d’après pour le faire.
Ce qui compte pour eux, c'est le « faire »
qu'on peut matérialiser dans sa vie
Illustration de Kim Roselier