Lorsque je me suis mis en tête de parler de ces jeunes déconnectés, je me suis vite rendu compte qu’ils étaient quasi introuvables et encore moins regroupés.
Les jeunes de la génération V sont de fait difficiles à contacter, ils ne sont quasi pas sur Facebook, ne regardent pas la télé, ils ne possèdent que de vieux Nokia noir et blanc, lisent des livres en papier et ne cherchent pas le statut ultime. Intouchables ?
Il m’a fallu des semaines pour trouver quelques-uns de ces spécimens, pas si rares que cela en réalité.
Le rat des villes contre l’hirondelle des champs
Ce clivage entre deux jeunesses est à l’image de la fibre optique. Très présente en ville, quasi inexistante en province... Du coup, qu’ils soient en Bourgogne ou dans le Tarn, les non-connectés se retrouvent dehors, dans la rue. « Je ne passe pas tout mon temps sur Facebook... ça tourne vite en rond... et ça me laisse du temps pour autre chose », raconte Stéphanie, lycéenne à Calais. Petits boulots, sport et autres activités « d’avant », babyfoot et rendez-vous au café...
Justement, dans un café d’Auxerre, un groupe de jeunes me propose une vision amusante de la société : « il y a bien des choses sympa sur Internet, mais passer notre temps à glander devant un écran ça me déprime » me dit Thibaut, 18 ans. « Quand je vois mes parents scotchés devant la télé depuis 20 ou 30 ans, ça ne me donne qu’une envie... de partir loin ». Envie de voyages, de découvertes autres que le dernier blog à la mode, voilà ce qui motive ces jeunes. « Du concret, du réel », glisse Bruno, 17 ans.
Haro sur les marques
La vision ultra-parisienne des opérations de buzz est aussi critiquée : « les marques, on s’en fout. On n’a pas les moyens d’avoir le dernier vêtement ou l’équipement dernier-cri ». Et puis ce qui intéresse les jeunes urbains ne les concerne pas : « nous n’avons pas besoin de Facebook pour savoir qui est célibataire ou pas... et encore moins créer des événements. Tout se sait en 2 minutes ici », raconte encore Thibaut.
« Internet, c'est juste une extension du papier en fait », rajoute son copain Sébastien. « Passer une annonce, ça marche en local, comme avant. J'ai par exemple cherché un guitariste avec qui jouer. Et bien le magasin de musique vaut tous les sites du monde. »
Les nouveaux usages semblent être une dématérialisation des relations humaines les plus élémentaires, à l’usage de jeunes de plus en plus flemmards et de moins en moins actifs.
« Il ne faut pas oublier non plus la décroissance intelligente », ajoute Vanessa, en terminale ES à Albi. « Nous n’avons pas besoin de tout ça. On nous vend trop de choses et je crois qu’on sature vraiment ». Des idées qui se rapprochent des alters. Une extension du domaine de la lutte prochaine.
L’élite 1.0
À l’image de ces témoignages, il semblerait que nos futures élites soient parmi les plus affranchies de ce trop-plein d’images et d’infos.
Pauline, 20 ans, raconte : « je suis en prépa, alors autant vous dire que je n’ai vraiment pas le temps de raconter ma vie sur Internet. Côté études, il est évident que c’est très utile, mais cela a quand même tendance à nous noyer. Il y a trop de choses à lire, trop d’opinions qui tuent notre propre jugement. On est vite perdu. ».
Alors bien sûr, tous considèrent qu’Internet en général a rendu un grand service à l’éducation et à l’émancipation des masses. Le simple fait de pouvoir lire un article publié à San Francisco et correspondre avec son auteur « est juste incroyable », explique Matthieu, à Normale Sup, « mais le prémâché et les copiés-collés nous rendent de plus en plus bêtes au final. ». « Le web d’aujourd’hui est la télé d’hier » souligne Hugo, également à Normale Sup. Pur atavisme ? Ces enfants, souvent issus de l’élite existante, le reconnaissent sans se voiler : « c’est vrai. Par exemple, mes parents sont profs. Ils aiment bien Internet mais sont assez méfiants. De la même manière que la télé est quasi toujours éteinte chez eux. Du coup, je n’en ai pas et ne m’en porte pas plus mal. » rajoute Pauline.
Le multimédia serait-il le nouvel opium du peuple ? « Je pense qu’on est allé trop loin. Déjà. Et que notre société est en train de sombrer. Quand je vois qu’il y a aujourd’hui près de 10 écrans dans un foyer et que plus personne ne lit de livres... j’ai très peur » dit Vincent, 22 ans, en master dans une école de commerce parisienne. « Ça nous abrutit complètement et ça va être dur d’en sortir. Nos grands-parents découvraient le monde et avaient le temps. Notre génération ne découvre que des choses sans importance ». À côté de lui, sa copine n’a pas l’air trop d’accord, elle aime bien les news et l’actu. Mais ils se rejoignent pour dire « qu’on vend du vent. Et cher. ».
Culture MP1
Ce qui surprend le plus chez ces jeunes, c'est cette faculté à donner de l'importance au « matériel » et aux racines. La data et les contenus étant désormais exponentiels, ils ont cette soif de valeurs et de référents que leurs parents ont oublié de leur transmettre.
« Nous sommes tous branchés sur Nostalgie dans notre groupe, insiste Laura, 23 ans à Lyon. Nous connaissons plus les chansons d'Indochine que le dernier Lady Gaga. On les écoute vraiment ces groupes d'avant, les nouveaux, ils sont déjà remplacés la semaine suivante ».
Le refus de l'iPod impressionne tant on pourrait croire qu'il est devenu une extension de l'oreille humaine. Pauline raconte : « mes parents avaient une super chaîne hifi Pioneer qu'ils n'utilisent plus. Les vinyles sont rangés et ne sortent plus de leurs étuis. Ils ont voulu les vendre et en jeter. Et là, ça m'a mise hors de moi. Du coup, avec ma bande, on a tenu à les racheter. Une misère en plus. « Un des membres de sa « bande », Mike, se pose également beaucoup de questions : « on devrait créer une bibliothèque nouveau genre, comme pour les livres anciens. C'est un peu notre patrimoine qui est jeté... Et puis le jour où il n'y aura plus de cassettes audio, elles auront une valeur folle ! »
Retrouver son patrimoine
Le même phénomène se retrouve dans la photographie. Martin, aux Beaux-Arts, s'émeut : « quand je vois la pauvreté des images de portables, je ne comprends pas. Une photo argentique, c'est autrement plus beau. C'est une démarche. Alors qu'Instagram est un appauvrissement mondial de l'esthétique, un gadget qui vaut combien ? 1 milliard ? Ça me... » Le souffle coupé, il n'arrive pas à finir sa phrase.
Il est intéressant de voir que ces grandes gueules sont assez choquées par la tournure que prend la société de consommation actuelle. Marché de l'art incompréhensible, destruction massive des preuves de notre culture, sur-divertissement permanent...
Maintenant que tout est sur réseau, les jeunes risquent beaucoup. Tous s'accordent à imaginer le pire... que décrit Vincent : « imaginez un soir, ni Internet, ni portable... on se retrouve seul, sans rien. La descente sera rude. »
Un segment marketing à exploiter ?
À la question finale de savoir s’ils sont de plus en plus nombreux à penser cela, ils sont assez affirmatifs. « Dans nos milieux, on affirme beaucoup que ça va changer et qu’on est acteurs de ce changement. » résume Franck, 24 ans, fils d’industriel et à la carrière toute tracée. « En face, il y a cette foule de consommateurs enchaînés que les entreprises harcèlent. Il faut juste leur dire qu’on peut faire autrement, mieux... et leur proposer des alternatives ». Cette croissance inutile et démesurée est selon lui une opportunité. Pour l’humanité certes, mais surtout pour créer de nouveaux business, une nouvelle manière de consommer « pour des millions de nouveaux citoyens, comme moi ! ». Un challenge pour les planneurs et les marketeurs : la génération V sera une pépite dure à convaincre et à exploiter.