Ces chiffres soutiennent ce qui relève parfois du lieu commun : la musique passionne les jeunes, les fédère et divise à la fois. Elle construit leur identité et les rassemble autour de goûts musicaux pour former une multitude de tribus.
Autrefois formées dans les cours de collèges et lycées, ces tribus se sont aujourd’hui désenclavées et connectées pour permettre à une culture musicale de naître entre des individus qui ne se sont jamais vus mais adhèrent aux mêmes codes, quand autrefois ceux-ci seraient restés isolés.
Le mouvement dit des Fluokids il y a quelques années, avait déjà démontré cette capacité de jeunes issus de milieux et d’origines géographiques différents à se rassembler autour d’une passion commune pour créer un mouvement musical. Il n’y a donc plus forcément de musique dédiée à une tranche d’âge mais des cultures musicales : le digital a repoussé les murs de la cour d’école, qui est devenue mondiale, et crée des engouements globaux à la vitesse de la lumière.
Des comportements paradoxaux
Et ces jeunes élevés au numérique ont des comportements paradoxaux : grands consommateurs, ils aiment la musique gratuite tout en étant prêts à dépenser 5 fois le prix d’un album pour avoir accès à un groupe en live dont ils sont fans. S’embrasant pour celui-ci, tout en étant capables de l’abandonner le lendemain. Vivant dans un rythme différent, à l’affût du nouveau clip à relayer en ligne. C’est toute une culture underground de masse, affranchie des codes et des lois, qui se crée ses propres repères, bousculant les marques et les poussant dans des retranchements auxquels elles n’étaient pas préparées.
Que faut-il faire alors pour être une marque qui construit un discours et une posture à destination d’un public jeune qui aime la musique ?
La musique et la communication de marque traditionnelle
29% des 11 – 24 ans aiment une publicité grâce à sa musique. 43% rejettent une publicité si la musique est nulle ou énervante.
La première chose que les marques ont oubliée, c’est qu’elles peuvent être mécènes des expériences les plus ambitieuses, leur premier point de contact se doit d’être cohérent avec leur action sur le terrain et en média. Sans cette vision intégrée, la marque sera perçue comme opportuniste. C’est la MAAF qui sponsorise le Festival des Inrockuptibles. Qui y croit ?
Medias : La défaite de la musique.
En abandonnant leur rôle de découvreurs, en formatant l’offre par le plus grand dénominateur commun, les radios et TV ont perdu une partie de leur attrait vis-à-vis des jeunes. Face à cette banalisation du « bruit musical », la seule expression possible pour une marque moderne voulant se distinguer est de s’associer à une musique émergente dans laquelle les jeunes se reconnaîtraient. Le banal ne les intéresse pas.
Peu ont réussi et créé ainsi une rémanence positive auprès des jeunes : Peugeot l’a fait avec ses synchros de Justice, Woodkid, Grizzly Bear, Santigold, The Drums, Bot’Ox, Monsieur Monsieur et Yuksek bien avant que ces titres soient joués sur des médias traditionnels, tout comme Apple ou encore Levi’s par le passé avec Mr Oizo.
Mode d’emploi ?
S’il n’y a pas de mode d’emploi, il y a peut-être des ‘préceptes’ à ne pas perdre de vue pour provoquer un détour tant IRL (In Real Life) qu’en digital et faire que les fans de musique deviennent fans d'une marque.
#1 — Développer un point de vue
Trop de marques abordent la musique sans l’aimer, pensent faire le bon choix en faisant appel à de grands artistes multimarques, espérant toucher un plus grand nombre de jeunes. Aujourd’hui, aucune ne fait la différence entre David Guetta, Pedro Winter, Bob Sinclar, Madeon ou C2C. C’est du pareil au même, ce ne sont que des DJs. En réalité, non. En retour, il est légitime que les artistes les considèrent comme des carnets de chèques : trop de marques cherchent à ressembler à tout le monde afin de s’en distinguer.
Or, les jeunes sont rôdés au langage des marques et d’autant plus intransigeants quand il s’agit de s’approprier un domaine qu’ils connaissent bien. Il est donc crucial d’établir une « ligne de goût » précise, impliquant de cibler, de prendre le risque de ne pas toucher tout le monde. Pour acquérir la confiance. Se donner un avenir. Et celui-ci, éclairci avec la fragmentation des médias, laisse une place aux marques pour devenir elles-mêmes des médias suivis.
#2 — Trop de marques tirent des coups
Par manque de vision à long terme, les marques en sont réduites à « tirer des coups » sans pérenniser leur action. Or, la légitimité s’acquiert avec le temps, mais pas seulement. Des marques de téléphonie ou des brasseurs s’y essaient depuis longtemps. Pour autant, quelle est la reconnaissance de ces actions aux antipodes de ce qu’elles font dans les médias ?
Le jeune n’est pas dupe. Il s’agit plutôt de miser sur des actions à moindre ROI immédiat qui permettront de grandir sur des bases saines et se donner l’opportunité de réunir à moindres frais de grands artistes comme Daft Punk et Phoenix au Madison Square Garden – comme Air France a pu le faire –, ou les Strokes, Santigold, et Pharell Williams avec Converse. Redbull, avec la Red Bull Music Academy, réalise de son côté un travail de niche passionnant depuis près de 15 ans en développant de jeunes artistes (Flying Lotus, Tony Allen, DJ Zinc) et non en achetant leur notoriété.
#3 — Inventer les tendances
Suivre une tendance est le meilleur moyen d'être en retard ou de se faire rattraper par un challenger qui parlera mieux ou plus rapidement. « Ce n’est pas votre nom qui attire, c’est le contenu. Tout doit commencer par cela », explique Quentin Guériot du magazine Snatch.
En créant des expériences uniques et mémorables pour le fan de musique, comme le font Creators Project ou Air France, une marque enrichit l’horizon de la création musicale. Elle valorise et comprend ses consommateurs, et se différencie, laissant par là aux artistes une certaine liberté pour s’exprimer qui légitime la démarche et influence les prescripteurs.
#4 — Instagram-isation
Des applications, telles Instagram, ont créé une dictature de la mise en scène de soi même, de l’instantanéité, dont les marques doivent s’inspirer. Pour les jeunes, « aujourd’hui, c’est hier ». Un clip peut être partagé des millions de fois dans les 4 heures suivant sa publication. Le partager 72 heures après est un aveu de défaite dans cette course perdue d’avance pour les marques aux processus de décision datés du 20ème siècle. Elles doivent être en update permanent et dans l’idéal, au cœur du processus créatif et non à sa périphérie.
#5 — être à l’écoute de la rue : « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien »
L’amplification digitale crée des micro-communautés d’envergure instable en quête du cool. Ce Saint-Graal de la jeunesse, instrument de sa propre instrumentalisation, ne se nourrit que dans le mouvement. Provoquant une tempête digitale dont la plus grande crainte est de louper quelque chose. Quoi ? Peu importe.
Un groupe encore confidentiel hier peut devenir un phénomène de société en quelques jours : une culture underground de masse s’est formée sans que les marques n’aient de prise sur elle puisqu’elles n’ont su les anticiper. Et l’engouement n’est souvent qu’éphémère. Skrillex, star underground mondiale rassemblant des millions de fans sur Facebook et en live l’a compris, refusant toute compromission avec les médias traditionnels.
Beaucoup de marques ont essayé pendant des années de s’acheter une notoriété en oubliant l’essentiel : construire. Créer. Elles n’ont jamais apporté une plus-value, repartant de fait chaque année à 0. Seules celles qui sauront être à l’origine d’une expérience unique sauront en tirer un bénéfice sur le long terme.