2007. Pour vanter les mérites d’un nouveau modèle de machine à laver le linge, la Maxitop, Brandt et son agence DDB, se saisissent du phénomène de la colocation et imaginent un enfer surpeuplé mais joyeux où parvient tout de même à se glisser l’équipement en question. 2012. Sous les bons auspices de l’agence Uni Bene, Ikea reconstituait un appartement de 54 m2 au cœur de la station Auber à Paris et y installait cinq colocataires. But de l’opération : démontrer que l’ingéniosité des solutions du roi du meuble en kit permet à chacun d’optimiser son espace et vivre confortablement dans un espace restreint à plusieurs.
Des motivations très pragmatiques
Deux visions diamétralement opposées de la colocation, mais une approche relativement commune. La colocation, c’est d’abord une histoire d’optimisation du mètre carré et de son prix. Pas faux. Selon l’étude « Les jeunes, le logement et la colocation » réalisée en 2010 par TNS pour BNP Paribas, la volonté d’avoir un grand appartement est la deuxième raison pour laquelle les jeunes optent pour la colocation, juste derrière la possibilité de faire des économies et de partager les frais. « Au départ, la colocation répond avant tout à des motivations très pragmatiques. Si la possibilité de partager des frais est citée par plus de trois jeunes sur quatre, l’envie de ne pas être seul ne l’est que par un sur trois », commente l’institut d’études.
Une proximité distance
On l’aura compris, la colocation est d’abord la réponse à une nécessité matérielle, un choix par défaut. Reste qu’au-delà de l’aspect purement économique, à l’usage, la coloc’ s’avère être une manière d’explorer un nouveau vivre ensemble où chacun est à la fois libre et connecté, un savant dosage entre l’intime et le collectif, le moi et le nous, une « proximité distance » pour reprendre l’expression de Stéphanie Emery(1). « Les jeunes actifs sont nombreux à se retrouver dans les principes de partage, de solidarité et de bonne humeur qu’offre la colocation. Et ils sont tous d’accord pour le dire : la colocation c’est bien plus qu’un mode de vie, c’est un état d’esprit », souligne ainsi le baromètre de la colocation réalisé par le site appartager.com. Un état d’esprit qui n’est probablement pas étranger au succès de la série américaine « Friends », du film « l’Auberge Espagnole » de Cédric Klapisch ou dans un autre registre de la web série « Mes Colocs » écrite et réalisée par Riad Sattouf (« Les beaux gosses ») et sponsorisée par BNP Paribas. Des productions qui donnent à voir le visage souriant de la colocation et le désir de liens qui fondent cette communauté transitoire.
La création de réseaux
Car si effectivement la colocation n’est pas une aventure pour la vie, elle favorise la création de réseaux et de valeur communes et des comportements spécifiques là encore entre le partage et l’individuel. Une dualité qui caractérise les colocataires selon Madeleine Pastinelli, professeur de sociologie à l’Université Laval au Québec. « Un double discours existe chez à peu près tous les colocataires. Celui-ci consiste à décrire l’autre colocataire tantôt comme un intime, comme quelqu’un de très proche de soi, avec qui l’on partage beaucoup, voire qui compte dans sa vie, tantôt comme un étranger, quelqu’un avec qui on ne partage qu’au minimum, à qui l’on est pas du tout attaché et vis-à-vis de qui on tient à préserver sa distance. »(2).
Cette contradiction organise le quotidien et les pratiques des colocataires et explique probablement la difficulté des marques à appréhender le phénomène des locataires. En effet, hormis la banque et l’assurance qui surfent sur la simplification des démarches administratives, parfois kafkaïennes, auxquelles les colocataires sont confrontés, voire depuis peu les marques d’entretien ménager - Cillit Bang s’est emparé du sujet miné du ménage - rares sont les autres secteurs à surfer sur ce mode de vie pour nouer ou renouer une relation avec les jeunes.
Pourtant, à n’en pas douter, en développant un mode de vie basé sur le partage et la mutualisation des objets et des connaissances, ces colocataires pourraient bien être en train de dessiner de nouvelles formes d’interaction qui demain ne seront plus réservées aux plus jeunes.
(1)Stéphanie Emery La colocation ou l’art de la proximité distante. Editeur Academic Press Fribourg (Suisse). (2)Actes du colloque « Et si la colocation était une solution d’avenir » Avril 2009. Madeleine Pastinelli est l’auteur de « Seul et avec l’autre ». La vie en colocation dans un quartier populaire de Quebéc. Les Presses de l’Université de Laval. 2003.