Depuis le XXe siècle, lurbain sest généralisé: accélération du mouvement durbanisation des villes-monde, croissance démographique exponentielle des villes asiatiques, africaines, sud américaines
Mais en grande majorité, la densité saccompagne dapproches techniciennes et spatiales, qui font souvent limpasse sur limaginaire urbain. Or limaginaire des villes se trouve précisément au carrefour de la projection utopique, à tendance universaliste, et du rêve, personnel et fantasmatique.
Utopie ou lieu despoir
On distinguera donc:
· dun côté les théories de ceux qui ont projeté la ville comme une organisation utopique et comme lincarnation dun monde idéal. De Thomas More à Le Corbusier, des penseurs et des architectes visionnaires ont tenté de délimiter la ville, de la totaliser, lériger en système. Ces utopies produisent des arrêts sur image, des immobilisations de la dynamique de la ville, qui finissent par synthétiser toutes les angoisses millénaristes à laube de lan 2000.
· de lautre, la ville rêvée, comme horizon despérance, lieu despoir, de progrès, démultiplicateur de richesse et de culture: une ville en perpétuel mouvement, se réinventant chaque jour.
New York au début du XXe siècle incarnait ainsi à elle seule tout le magnétisme du nouveau monde.
La Science Fiction participe à lurbaphobie ambiante
Le cinéma, en particulier la science fiction, a eu un rôle important dans la prolongation de ces utopies urbaines, en maximisant certaines caractéristiques de la ville et de nos sociétés, et ce, dès le Métropolis de Fritz Lang en 1927.
La Science Fiction participe donc à lurbaphobie ambiante car elle cumule les effets néfastes de la ville. Blade Runner, Brazil, le Cinquième élément, le Jour daprès, 2012
ne sont que quelques exemples les plus connus et spectaculaires de ces mises en scène du chaos des villes, entre refoulement et projection.
Des villes sauvées des eaux et des glaces
Mais quen est-il de larchitecture ? Dans la conférence
UrbanTrends du 9 novembre dernier, le caractère souvent déshumanisé, désincarné des projets urbanistiques actuels avait été mis en avant. Il est en effet frappant de constater que dans de nombreux projets, les villes sont isolées comme des archipels ou des vaisseaux, exactement comme dans les films de science fiction : des îles « sauvées des eaux », avec beaucoup de références aux catastrophes naturelles, aux risques d'inondation. Villes sous leau, au dessus des immeubles, hybrides, symbiotiques, métaphoriques
mais sans êtes humains!
Flooded London, de Antony Lau, imaginée pour le Londres de 2030 est une ville flottante sur la Tamise, construite à partir de navires et de plates-formes désaffectés.
Lilypad, de Vincent Callebaut Architectes est conçu comme une « ecopolis flottante pour réfugiés climatiques » prévue pour 2100, après la fonte des glaciers de lAntarctique et du Groenland.
Wetropolis enfin, est un complexe écologique flottant conçu pour la ville de Bangkok par le cabinet dArchitecture S+PBA en prévision des futures inondations. Loriginalité du projet tient au fait quil sagit dune « communauté urbaine » qui vit grâce à des ressources naturelles maîtrisées. Les utopies urbaines de demain seront donc nécessairement corrélées aux imaginaires de la nature quelles suscitent. Pour linstant, la « ville fertile » paraît être lutopie à la mode
Cest un fantasme très français: on aime faire des murs végétaux, décorer les murs de pots de fleurs, faire des jardins à la française, avec l'intention de domestiquer et de maîtriser la nature, la contrôler, mais sans lui laisser trop de place.
Des villes fertiles autrement
Mais est-ce que la ville ne peut pas être fertile autrement ? Quid des imaginaires de la friche? Quand la nature reprend ses droits, repousse aux interstices, quand il est question de l'abandon des terrains, de l'espoir du délaissé à l'espoir de voir un autre lieu de vie éclore : comme les jardins suspendus sur une vieille voie ferrée de New York, où la réhabilitation en elle-même est devenue une oeuvre dans la ville.
Et si la ville navait plus pour vocation dêtre aussi clean et lisse que dans les projets darchitectes ? Ces travaux sur les friches, que lon retrouve dans nombre de villes post industrielles du monde entier, nous poussent donc à changer de regard : intégrer l'humain, lirrationnel, la vie sous toutes ses formes. Il est temps désormais dinviter les paysagistes, les ethnologues, les artistes de tout poil à imaginer, à habiter poétiquement les villes, nos villes de demain.