D’abord apparu aux USA et en Angleterre, le newsgame conquiert peu à peu les rédactions françaises. Sans doute encore un peu iconoclaste pour nombre de journalistes, il ne s'agit pas pour autant d'un énième gadget numérique de geek attardé et hermétique à la lecture des journaux. Au contraire, il ouvre des perspectives éditoriales énormes en mixant intelligemment des sujets d’actualité complexes avec les codes ludiques du jeu vidéo.
Une expérience immersive pour le lecteur
Olivier Mauco, ancien ingénieur d'études au CNRS reconverti en concepteur de médias ludiques, donne une définition instructive du newsgame * : « C'est un dispositif ludique de mise en scène de l'information empruntant aux jeux vidéo ses codes cognitifs et « procéduraux ». Il s'inscrit dans la lignée des serious games , des applications développées à partir des technologies avancées du jeu vidéo, faisant appel aux mêmes approches de design et savoir-faire que le jeu classique (3D, temps réel, simulation d’objets, d’individus, d’environnements...) mais qui dépassent la dimension du divertissement ». De fait, les médias s’emparent de plus en plus de cette approche très innovante pour décliner des reportages d’un genre totalement nouveau où le lecteur n’est plus simplement le récepteur passif ou le simple dépositaire de commentaires sur un article en ligne mais un acteur investi dans une structure narrative qu’il construit lui-même en fonction des options qu’il retient au gré de son parcours informatif. Dans une conférence donnée au CFPJ Lab, Olivier Mauco expliquait : « le newsgame ** permet un mode de représentation, une immersion et une expérience pleine pour l’internaute qui dispose alors d’un éclairage nouveau sur un sujet donné et différent de la perception qu’il aurait en lisant un article classique. C’est ce que j’appelle le « régime sémiotique » de la simulation du jeu vidéo ».
La famille newsgame s’enrichit
Fort de cette capacité à simuler virtuellement des sujets d’actualité, le newsgame se décline sous divers formats. L’editorial game est l’un de ceux-ci. Souvent de format court, il vise à mobiliser sur un sujet très précis, par exemple « September 12th », qui propose à l’internaute de participer à l’intervention militaire au Moyen-Orient. À lui de prendre des décisions en fonction des événements. Au final, le propos du jeu est de montrer qu’une violence militaire attise plus encore le terrorisme qu’elle ne l’éradique.
Ensuite, on trouve des formats plus élaborés qui reposent sur des enquêtes journalistiques très fouillées ayant recueilli des témoignages, des vidéos, des chiffres sur une thématique spécifique. C’est le cas par exemple de Global Conflict . L’internaute est invité à éprouver les conditions de vie des Palestiniens confrontés au blocus de l’armée israélienne. Un jeu français baptisé « Joinville Le Pont » emmène quant à lui le « joueur » dans un centre de rétention pour réfugiés sans-papiers.
L’exploitation des données numériques – le fameux Big Data - constitue un autre axe éditorial très prisé. Ainsi, le jeu « Budget Hero » offre la possibilité de se mettre aux commandes du budget de l’Etat américain. Le lecteur-joueur doit alors effectuer des choix alimentés par des données statistiques issues des administrations américaines. En fonction des options retenues, le jeu modélise leurs conséquences via des algorithmes puissants et permet ainsi de mieux appréhender des mécanismes parfois bien difficiles à résumer en 2 minutes 30 de reportage télévisé !
Ce nouveau format n’est pas antinomique des traitements journalistiques plus traditionnels, mais au contraire l’opportunité de pratiquer un journalisme augmenté. En juillet 2009, le magazine américain Wired avait traité le sujet des pirates somaliens rançonnant les navires de plaisance et de commerce au large des côtes est africaines. Dans la version papier était paru un long reportage avec infographies détaillées à la clé sur l’économie de cette activité illicite. Sur le Web, le sujet se déclinait sous forme d’une base de données couplée à un jeu où le lecteur pouvait expérimenter in situ la vie du pirate, ses gains et ses pertes.
Vers une gamification de l’information ?
Le newsgame recèle un incroyable potentiel journalistique et informatif. Il permet de comprendre des données complexes sous forme de simulations plus accessibles. Il renforce de surcroît l’engagement de l’internaute en l’immisçant dans une expérience active où celui-ci manipule des données et prend des décisions. Un excellent moyen pour mieux saisir la difficulté de décisions macro-économiques par exemple.
Ensuite, le newsgame n’est pas forcément une opération « one shot ». Selon l’ambition fixée au jeu, il peut être réutilisé, mis à jour avec de nouvelles données et continuer ainsi d’attirer d’autres internautes, jouissant ainsi d’un effet « longue traîne » bien plus ample que n’importe quel autre format rédactionnel existant.
À cet égard, le newsgame ouvre des perspectives nouvelles potentiellement monétisables qui touchent par ailleurs des cibles d’utilisateurs très intéressantes pour les médias. Les chiffres cités lors de la conférence CFPJ Lab sont éloquents *** : 83% des joueurs ont plus de 18 ans avec un âge moyen de 35 ans. 52% sont des femmes et 53% des abonnés Facebook qui partagent intensément leur expérience ludique. De quoi renouveler le genre journalistique pour les années à venir, non ?.
*« Qu’est-ce qu’un newsgame » - France Culture – 23 juin 2011.
** et *** Conférence du CFPJ Lab – 18 décembre 2012.
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oliVier cimeliere
Ancien journaliste, il a été directeur de la communication chez Nestlé Waters, Ericsson, Google et Ipsos. Il est président et fondateur d'Heuristik Communication, cabinet spécialisé en stratégies de communication et de réputation on et off-line. leblogducommunicant2-0.com
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