Le réveil du petit écran
Née du mariage entre les réseaux sociaux et le multitasking, la Social TV remet la télévision au cœur de toutes les conversations, alors que beaucoup lui prédisaient un avenir funeste. Une (r)évolution imposant au petit écran de s’adapter, de s’ouvrir et de se réinventer, tant sur ses supports que sur ses contenus.
Média de masse au schéma communicationnel vertical et unilatéral, la télévision se confronte aujourd’hui à l’influence directe de millions de téléspectateurs qui commentent et réagissent en direct sur les réseaux ce qu’ils sont en train de visionner. Le one step flow of communication de Katz et Lazarfeld en prend un sacré coup... Un raz-de-marée disions-nous ?
Une communauté en action
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : plus de 30 millions de tweets générés par le SuperBowl ; 1,6 milions pour les « NRJ Music Awards » et chaque samedi plus de 300 000 pour chaque diffusion de « The Voice » sur TF1 !
Une situation gagnant-gagnant car en effet, que serait Twitter sans les discussions TV ? Il ne se passe pas assez de choses dans le monde pour rendre 140 caractères rentables. Heureusement, nos petits écrans proposent des événements tous les soirs à 20h50... Et dans les usages ? 27% des Français commentent régulièrement des programmes TV via les réseaux sociaux, un chiffre qui monte à 40% pour les 18-34 ans ! Armés de leur smartphones ou tablettes, ils ne se privent plus pour s’exprimer : Twitter devient l’agora virtuelle du cyber-spectateur, véritable baromètre d’opinion pour des producteurs qui brandissent après chaque diffusion l’analyse de leurs retombées sociales de la veille.
Dès lors, un programme doit-il être « twittable » ? Une révolution pour les écritures audiovisuelles qui se transforment et se réinventent pour inclure dès leur conception la participation de leur audience et son attention « transmédia ». Panorama de ces changements à venir...
Demain, tous co-scénaristes
Le fantasme du producteur de fiction est de donner l’opportunité au téléspectateur de choisir la suite de l’histoire. Imaginez un épisode de « Lost » où on vous propose, à la fin, de choisir le début de l’épisode suivant. En termes de fabrication, cela n’impliquerait « que » de produire des épisodes alternatifs, en laissant le soin au « client » de décider lequel il a véritablement envie de voir. Mais tout ça n’a rien de révolutionnaire : les « Livres dont vous êtes le héros » de notre enfance le proposaient déjà.
Déjà, la série « Lost Girls » analyse chaque semaine les réactions sur Twitter afin d’orienter le déroulement de l’intrigue des épisodes à venir, et « Hawaii 5-0 » propose pour son douzième et dernier épisode de choisir le dénouement de l’intrigue parmi 3 fins alternatives. La télévision dispose dorénavant d’un focus group live et permanent, et elle se doit d’en tenir compte.
Conséquences : des temps d’écriture et de tournage plus courts, imposés par le besoin d’avoir un retour public sur le déroulement de l’intrigue. Le real-time marketing se déclinera demain en real-time producing.
Demain, une expérience forcément multi-supports
Tirer pleinement parti de la convergence des médias propulsée par le digital, voici le défi des producteurs de demain. Tel le glouton décrit plus haut, la télévision s’est inspirée du jeu vidéo pour apporter une expérience complémentaire à son téléspectateur. Sur W9, dans la fiction « Yolo », lorsque le personnage envoie un SMS, les utilisateurs de l’application tablette peuvent le voir apparaître sur leur écran. Au sein de l’application de « The Voice », l’expérience du 5ème coach permet au téléspectateur, en totale synchronisation avec ce qui se passe dans son écran de télévision, de réaliser la même chose que les coachs de l’émission ; un dispositif innovant et terriblement addictif qui crée une raison de plus de ne pas zapper...
Conséquences : les nouvelles écritures doivent capitaliser sur l’ensemble des supports à leur disposition pour proposer un contenu adapté à chaque écran, plus riche, plus exclusif et complémentaire de celui télévisuel.
Demain, une télévision interactive
S’il est une révolution que la télévision n’avait pas prévu, c’est bien celle de l’intrusion de ses spectateurs en plein milieu de ses programmes. Dans les grands prime-time comme les Césars ou les Oscars, les « tweets » s’incrustent à présent sur l’écran et sont repris par les animateurs. Sur Canal+, l’émission « Tweets en Clair » leur est consacrée, sacrant ainsi les Twittos « commentateurs officiels » des programmes de la chaîne. S’ils sont encore trop peu nombreux au regard de l’audience globale , dans un futur proche ils choisiront le titre interprété sur le plateau de la « Star Academy » ou bien l’épreuve donnée aux candidats de « Koh-Lanta ».
Conséquences : toujours plus d’émissions live et interactives sollicitant l’avis du public et bientôt des programmes produits « à la demande » suivant les réactions des télénautes.
Demain, des « castings sociaux »
Enfin, le visage du PAF risque d’être chamboulé car désormais il va falloir être « sociable » en plus d’être « bankable ». De plus en plus, les acteurs, animateurs et participants des émissions vont être recrutés sur leur capacité à créer la conversation et le « buzz » sur les médias sociaux. Dans les castings de télé-réalité, la donnée « influence » est désormais cruciale. Mon candidat a-t-il une audience et une communauté préétablie, prompte à commenter ses actions ? Déjà en 2012, pour son spot du SuperBowl, KIA avait misé sur un casting « sociable », sélectionnant ses égéries sur la taille de leur communauté Facebook. Barrière d’entrée ? 1 million de Fans ! En France, Nikos Aliagas et ses 450 000 followers symbolisent ce phénomène.
Si aujourd’hui la Social TV est cantonnée à un rôle de communication digitale, qui permet de s’offrir une image moderne à peu de frais et de fidéliser des fans en s’adressant directement à eux via des contenus complémentaires (bonus exclusifs, photos de tournage, applications, etc), la donne changera dès lors qu’elle deviendra une source de revenus conséquents pour les acteurs audiovisuels. Alors, nous verrons les chaînes et producteurs créer et tester de nouveaux formats à la manière de start-ups, en intégrant les retours utilisateurs en direct pour améliorer au fil de l’eau des programmes évolutifs qui s’apparenteront à des versions « bêta » permanentes. Le futur s’annonce passionnant !.
*Etude Iligo : Baromètre des usages multi-écrans- février 2013. **Série diffusée sur CBS aux USA.*** Àtitre d’exemple, 8 millions de téléspectateurs regardent The Voice quand 70 000 commentent sur Twitter
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lionel abbo
Il a participé aux débuts de So Foot, et s'est lancé dans la télévision (Game One, Endemol France). Ex-directeur des contenus de Tribal DDB, il rejoint Shine France dès sa création comme directeur du développement et du digital.
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Virgile brodziaK
Créateur digital et directeur du planning stratégique de Grand Union (Groupe Fullsix), il est également entrepre- neur et a lancé plusieurs projets de start-up et de médias alternatifs.
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