Alors qu’Amazon se lance dans la production de séries, que net-à-porter.com annonce le lancement d’une revue papier en septembre prochain et que Marmiton Magazine affiche sa Une dans les kiosques depuis plusieurs mois, les groupes médias traditionnels mettent un coup d’accélérateur à leur diversification. Via le développement de nouveaux produits et services digitaux autour de leurs marques et l’extension de ces dernières sur des nouveaux territoires, mais également en renforçant ou en prenant des positions sur le marché du e-commerce. Un secteur d’activité qui, malgré la crise, affiche toujours de belles performances. En France, en Europe, mais plus encore dans les pays émergents, et notamment en Asie. Reste à savoir si le retour sur investissement sera au rendez-vous, une question qui dépend autant des choix technologiques, de la pertinence des offres commerciales que de la force de la marque et de la qualité de son contenu éditorial.
Nicolas de Tavernost, président du directoire du groupe M6, ne manque jamais une occasion de le rappeler. La diversification des activités, au cœur du modèle économique du groupe depuis l’origine, lui permet de traverser la crise sans être trop chamboulé. « Le groupe s'est affranchi du strict modèle publicitaire grâce à ses diversifications. Nous tirons 40% de nos revenus de ces diversifications dont les droits audiovisuels, M6 Web et la vente à distance. Ces activités ont une bonne rentabilité, par exemple M6 Web aura réalisé plus de 100 millions d'euros de chiffre d'affaires pour un résultat de plus de 36 millions d'euros », déclarait-il dans une interview accordée au Figaro. Et à l’évidence, ces diversifications demeurent la priorité. Le groupe aurait ainsi, entre autres projets, la création d’une nouvelle chaîne de téléachat. Une initiative qui viendrait renforcer ses positions dans le e-commerce où il est déjà fortement actif via sa filiale HSS (Home Shopping Service) et ses marques mistergoodeal.com, M6Boutique...
Un modèle gagnant-gagnant
Si le groupe M6 n’a pas attendu la révolution digitale pour s’intéresser à la vente à distance, d’autres s’y convertissent aujourd’hui. Et pour cause. Outre le poids grandissant de cette activité, le e-commerce est l’occasion de mettre en œuvre de nouvelles synergies. Ainsi, le groupe Condé Nast International a officialisé un investissement de 20 millions de dollars dans le site Farfetch.com, une plate-forme de e-commerce pour des boutiques de mode indépendantes. « Farfetch a un positionnement unique. Il met en contact, via le e-commerce, des boutiques reparties à travers le monde avec une clientèle mode sophistiquée qui est celle de nos magazines et de nos sites Internet. Cet investissement est donc naturel pour Condé Nast », déclarait Jonathan Newhouse, PDG du groupe, lors de l'annonce de l'opération. Intervenant après la prise de participation de Condé Nast Allemagne dans deux start-up : Monoqi, site spécialisé dans les produits design, et Renesim, dans la joallerie de luxe. Cette opération marque une nouvelle étape dans la diversification des activités de l’éditeur et dans sa volonté de capitaliser sur le savoir-faire de ses titres. « En tant qu’éditeur multimédia leader connectant les gens à leurs marques de mode préférées, cet investissement souligne notre volonté d’étendre le champs de nos activités et de soutenir de grands entrepreneurs » a ainsi commenté James Bilefield, président de Condé Nast International Digital.
Sous la menace des pure players
Nouvelle illustration de la mise en synergie du contenu éditorial et du e-commerce, ces acquisitions s’inscrivent clairement dans une démarche gagnant-gagnant. En s’appuyant sur la force de marques de l’éditeur, Farfetch va en effet pouvoir toucher de nouvelles cibles et de nouveaux marchés géographiques. Quant à Condé Nast, outre des revenus complémentaires, il peut y voir le moyen d’apporter de nouveaux services à ses lecteurs et résister à l’appétit grandissant des pure players comme net-a-porter.com.
Le site, qui se définit lui-même comme « la première destination mondiale de luxe en ligne », annonçait en février dernier le lancement de The Edit, un magazine en ligne hebdomadaire thématisé disponible en anglais, français, allemand et mandarin et pour l’automne prochain un magazine papier de luxe haut de gamme. Un concurrent sérieux pour Vogue. En moins d’une décennie, net-a-porter.com, créé par la journaliste de mode Natalie Massenet, s’est en effet imposé comme un acteur de poids de la planète mode, tant pour ses propositions commerciales que par son contenu éditorial. De quoi faire trembler la suprématie mondiale de Vogue et sa figure emblématique Anna Wintor ? À voir. D’autant qu’en matière d’extension de marques, Condé Nast sait y faire.
Capitaliser sur le savoir-faire
Après avoir développé son concept de restaurant logotypé au nom de Vogue en Russie, l’éditeur passe à la vitesse supérieure en développant à travers le monde et plus particulièrement dans les zones géographiques en fort développement Asie, Moyen Orient et Amérique Latine, des licences restauration aux marques Vogue, GQ et Tatler.
Dans la vieille Europe, c’est à Londres que le groupe s’est distingué en ouvrant le Condé Nast College of Fashion and Design, une école qui propose deux formations estampillées Vogue. « Si chacune des éditions de Vogue à travers le monde exprime son propre territoire, la marque déploie partout une politique médias et hors médias très soutenue. La création de cette école est ainsi une initiative du Vogue anglais qui organise déjà chaque année le Vogue Festival. Un cycle de conférences réunit durant trois jours des créateurs, des photographes, des experts et permet au grand public de s’informer. Aux Etats-Unis, Anna Wintor est très impliquée auprès de l’équivalent de notre chambre syndicale de la couture », avance Delphine Royant, éditrice de Vogue Paris. Avant de rappeler qu’en matière d’animations de la marque, Paris n’est pas en reste.
La Vogue Fashion Night rassemble ainsi 40 000 personnes. Des expositions photo et des livres mettent en avant la richesse de son fonds photographique, des CD, des vidéos font découvrir aux fashionistas les coulisses des défilés, sans oublier bien sûr les licences de marques et les collaborations avec les chaînes de télévision, notamment Paris Première. « Le déploiement de la plate-forme digitale a amplifié le rayonnement de la marque. Si l’on additionne les audiences papier, digital, réseaux sociaux..., ce ne sont pas moins de 4,4 millions de personnes qui sont en contact avec elle », indique l’éditrice. Une large communauté qui pourrait demain, en un clic, avoir accès aux 250 boutiques et 82 000 pièces proposées par le site farfetch.com.
« Pour l’heure, compte tenu du positionnement du titre, Vogue.fr ne dispose pas de brique de e-commerce. Les pièces que nous pourrions proposer sont trop rares pour répondre à une demande importante. La situation pourrait effectivement évoluer dans l’avenir via cette acquisition. D’autant que les titres plus grand public du groupe proposent cette possibilité aux lectrices. C’est le cas pour Glamour, GQ et le futur Vanity Fair », poursuit Delphine Royant.
En accrochant la corde du e-commerce à leur arc, les groupes médias sont en passe de devenir de véritables médiastores. Reste à démontrer leur capacité à trouver le bon équilibre entre média et store.
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rita mazzoli
Rédactrice
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