ILLUSTRATIONS
d'anne margot ramstein
« Pour sur-vivre, la clé est le partage, la générosité et la solidarité »

Propos recueillis par
Isabelle Musnik
Joël de Rosnay est Président exécutif de Biotics International et conseiller du Président de la Cité des Sciences et de l’Industrie. Pour ce docteur ès Sciences, co-fondateur du site d’expression «citoyenne » Agoravox et auteur de nombreux livres dont 2020, les scénarios du futur*, on doit s'inspirer de la génération internet pour comprendre le changement. place à la société de la fluidité.



Joël de Rosnay

























Les organisations complexes
se sont organisées
pour résister au changement




















































il n'y a pas «d'avant»
dans le nouvel internet






















































La génération Internet
est en train de tout bouleverser.
Et on peut s'en inspirer
pour mieux comprendre
comment surfer sur le changement
IÑfluencia Quel est votre constat, en tant que scientifique et prospectiviste, sur l’évolution de nos sociétés ?

Joël de Rosnay Pour répondre à cette question il faut comprendre comment notre monde a changé, car les organisations complexes se sont organisées pour résister au changement. C’est un phénomène bien connu en biologie, appelé l'homéostasie (du grec homeos - même et stasis - rester). Lorsqu’une théorie scientifique est établie, il est difficile pour ses partisans de la remettre en cause. C’était toujours mieux « avant ». C’est pourquoi un changement de paradigme devient essentiel. Il existe dans la pensée scientifique des « systèmes immunitaires », des « anticorps » contre les idées nouvelles. Les États, les villes, les entreprises, les syndicats, les religions ou encore les idées, sont de nature homéostatique.

Pourtant les organisations ou les États sont condamnés pour survivre, à changer, à s'adapter à l'évolution du monde. Changer ou périr, tel est le dilemme. Passer de structures rigides à des systèmes fluides. Du pouvoir pyramidal au pouvoir transversal. Comme le disait le grand physicien Nils Bohr : « Les nouvelles idées ne triomphent jamais, ce sont leurs adversaires qui finissent par mourir ». Mais comment faire évoluer un système rigide ? Si l’on prend l'exemple d'une entreprise, elle doit à la fois accompagner le changement tout en assurant sa croissance, la formation de son personnel et en même temps, maintenir son image, sa marque, la stabilité de l'emploi, la continuité de ses marchés et des relations avec ses clients. Évolution et équilibre impliquent la mise en œuvre de feed-backs positifs et négatifs. Les premiers pour catalyser le changement ; les seconds pour assurer la stabilité dynamique. La difficulté du management tient à la résolution de ce paradoxe : permettre le changement dans la continuité.

Il en est de même du rôle des politiques. Ils nous promettent à chaque présidentielle : « le changement sans risque », de « changer la vie », ou encore de provoquer « la rupture ». Or, la difficulté de toute stratégie de changement est que l'évolution des systèmes complexes se produit dans la discontinuité, le chaos, le flou et non dans la continuité, comme le prétendent ceux qui font de la prospective par extrapolation linéaire du passé.

La complexité ajoute un autre élément de difficulté. Analyser en détail un système pour identifier les causes de dysfonctionnement sur lesquelles agir, engendre le plus souvent des effets pervers qui risquent de déstabiliser l’ensemble du système. On en connaît les conséquences en politique et en économie. D'où la nécessité d'une approche systémique, malheureusement peu compatible, dans la culture française, avec la démarche cartésienne traditionnelle, celle de l'analyse, de l’approche séquentielle et linéaire.




Vous avez toujours cru au collaboratif et à l'open source. En quoi vont-ils vraiment transformer la société et les comportements des consommateurs?

J.R. Nous sommes à la fois les témoins et les acteurs d'une des plus importantes transformations de l'histoire de notre humanité : l’entrée dans l’ère de la civilisation du numérique. La génération Internet (Netgen) est en train de tout bouleverser. Et on peut s'en inspirer pour mieux comprendre comment surfer sur le changement. L’open source et le collaboratif sont à la base de cette culture du numérique. Une culture qui permet de passer de la société de l’information à celle de la recommandation.

La NetGen a cette particularité de posséder une capacité à induire, à rechercher et à vivre le changement. Ce que l’on appelle le life streaming, le flow. Elle accepte l’instabilité dynamique, comme le surfeur sur la vague, le passage d'une situation à l'autre, une sorte de zapping des idées, voire des relations interpersonnelles, ce qui contribue à ouvrir les esprits au changement. Les membres de cette génération ne disent pas : « C’était mieux avant », car la question pour eux, ne se pose pas. Il n’y a pas « d’avant » dans le nouvel Internet. Passé, présent et futur sont simultanés. C’est l’ère de l’immédiateté. Ce qui motive cette génération, c’est le temps réel associé à l’IRL (in real life).

Pour faire changer les Français, il faudrait être capable non seulement de parler à leur cœur et à leur esprit, mais aussi à leur capacité à se motiver pour comprendre, vouloir, aimer et surtout construire ensemble l'avenir. D'une période de rapports de force conduisant à la concurrence, à la compétitivité et donc à l'individualisme, nous devons passer à une situation de rapports de flux, c'est-à-dire d'échange, de partage, de solidarité et d'empathie. Un changement profond, capable de donner plus de sens à la vie.




En 1975, vous annonciez** que l’homme participerait à la création d’un cerveau planétaire. A-t-il vu le jour ?

J.R. Il existe déjà. Je l’appelle le MOP (Macro organisme planétaire). Un des grands défis du troisième millénaire pour l'humanité sera la construction réfléchie et consciente de son symbiote planétaire. Tout en évitant sa transformation en parasite, prédateur ou Big Brother. La diversité du monde est telle qu'il serait irréaliste de considérer l'émergence d'un seul macro-organisme planétaire. Il en existera sans doute plusieurs, constituant des sous-ensembles interconnectés, mais vivant dans des durées et selon des rythmes différents. Peut-être l'avenir les verra-t-il en compétition pour la survie ou la domination des uns par les autres. Mais, pour simplifier, on peut considérer le MOP comme un organisme unique et comme une métaphore.

Comme tout organisme vivant, le MOP assure, par l'intermédiaire des hommes, des machines et des réseaux de télécommunication, ses grandes fonctions de base : autoconservation, autorégulation et autoréparation. Il se nourrit, transforme de l'énergie, digère et élimine ses déchets (encore imparfaitement). Son système digestif transforme des matériaux complexes en substances simples utilisables par son métabolisme ou stockées pour une consommation ultérieure.

Le système nerveux et le cerveau planétaire contrôlent et régulent les systèmes matériels d'échange et de transport qui constituent le métabolisme de l'organisme sociétal et assurent son autoconservation. Ainsi, le couplage de l'électronique et de la mécanique est-il une forme hybride de régulation interne des flux d'énergie d'information et de matériaux ou des grands cycles de relations avec l'écosystème planétaire. Des macro-interfaces relient chaque « neurone » humain aux grandes fonctions métaboliques du MOP - par démultiplications en cascade - aux marchés des biens et des services, aux systèmes de réservations mondiaux de places d'avion, aux circuits monétiques par cartes de crédits et distributeurs ; ou encore par l'intermédiaire de systèmes de régulation du trafic routier par satellites, de réseaux interpersonnels de communication par ordinateurs, de sondages informatisés, d'indices de santé de l'économie…




Vous proposez une société de la « fluidité » pour construire l’avenir et « sur-vivre » à la complexité du monde et à son accélération...

J.R. La société fluide*** se fonde sur des rapports de flux et pas seulement sur des rapports de force. Son avènement permettra de traiter les grands problèmes actuels, qu’ils soient liés à l’énergie, à la santé, à l’éducation ou à l’environnement. Trop souvent considérés sous l’angle de décisions centralisées et pyramidales, les grands enjeux de société sont soumis à des jeux de pouvoir personnel ou à des groupes de pression qui nous transforment en usagers passifs. Ainsi en est-il du nucléaire, symbole de la centralisation, de l’industrie pétrolière, de l’influence de quelques géants de l’industrie pharmaceutique ou de la mainmise de l’agroalimentaire sur nos vies quotidiennes.

Ces grandes questions requièrent une approche décentralisée, collective, participative et transversale. Cette nouvelle approche permettrait de passer d’un système de rapports de force, de concurrence et de compétition acharnée à un système de rapports de flux et d’échanges solidaires mettant en œuvre de nouvelles valeurs, de nouvelles actions et de nouvelles responsabilités. Pour y parvenir, il est nécessaire de se référer à des modèles autres que les seuls modèles économiques ou politiques. Il existe déjà de nombreux cas dans les sciences modernes qui illustrent et décrivent l’approche systémique ainsi que les interdépendances. On peut se référer à la dynamique des réseaux, à la théorie du chaos, aux structures fractales, à la biologie systémique, aux algorithmes génétiques…Mais pour sur-vivre (c’est à dire « vivre plus » et pas seulement « vivre mieux »), la clé est le partage, la générosité, la solidarité.




Quelles valeurs voyez-vous monter demain?

J.R. Dans la vie individuelle et collective, des règles et valeurs ayant fait leurs preuves au cours des siècles, voire des millénaires, ont permis aux hommes de construire les sociétés afin d’évoluer, de travailler ensemble et de coopérer, dans le respect de la dignité humaine, de la liberté, de la démocratie et de l’égalité.

Le respect de la diversité est ainsi une condition de survie pour l’humanité. Un système trop simple dans sa construction et son fonctionnement n’apporte pas de réponses satisfaisantes aux variations de l’environnement et aux agressions dont il fait en permanence l’objet, qu’elles soient physiques, mentales, culturelles ou sociales.

Le respect de l’autre constitue également une donnée essentielle à l’évolution et au développement dans une société fluide fondée sur le partage, l’échange et les rapports de flux.

Mais respect de la diversité et respect de l’autre ne peuvent se comprendre et se mettre en pratique sans l’altruisme. Des notions telles que le donnant-donnant ou le win-win (gagnant-gagnant) font partie du langage courant. Elles impliquent des échanges intéressés, ou désintéressés, dont peuvent bénéficier deux partenaires, voire un groupe.

Le respect des diversités et l’écoute des autres s’ouvrent sur l’empathie, cette capacité à se mettre à la place de l’autre, à ressentir ses sentiments et ses émotions. Une valeur qui monte, surtout dans la nouvelle génération. C’est dans l’échange, la communication, la découverte de l’autre, que peut s’instaurer la démarche empathique.

La responsabilité est aussi une grande valeur nécessaire pour pouvoir agir collectivement. Il s’agit de prendre conscience de sa capacité à comprendre l’évolution des phénomènes d’un monde complexe, à gérer cette complexité et à agir sur elle pour en modifier l’évolution.

Autre valeur fondamentale, la fraternité. Alors que l’égalité et la liberté peuvent être perçues comme des droits essentiels, elle est une véritable obligation de chacun vis-à-vis des autres. Une société ne peut se construire sans fraternité, sans tolérance et sans le respect des autres. Une fraternité qui semble indissociable de la spiritualité. Les principales religions et spiritualités présentent les mêmes constantes morales fondamentales : faire le bien, respecter l’autre et le monde. Cependant, la spiritualité est restée prisonnière de la religion, alors qu’elle est omniprésente dans notre vie. La spiritualité, c’est l’essence même de la vie, comme le sang qui irrigue notre corps.

*livre « multimédia », consultable sur le support papier (Editions des idées et des hommes) et sur le web.
**Le Macroscope, vers une vision globale. Editions Point, 1975.
***Surfer la vie. Comment sur-vivre dans la société fluide. Éditions LLL, 2012
Isabelle Musnik
Directrice des contenus et de la rédaction




























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Le respect de la diversité
est une condition de survie
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