Massmédia, massmarket,… le poids a longtemps fait rêver. On aurait cependant tort de limiter la notion de massmédia à son seul effectif. D’autres éléments sous-tendent cette réalité comme la simultanéité de comportement qui s’impose à tous. Dans le carrefour de 20 heures, l’horaire impératif est au moins aussi important que l’audience. « Maintenant ou jamais ». L’heure de l’angélus structure la notion de massmédia car elle élimine les comportements parasites pour définir une norme sociale. « Tous ensemble ».
Les massmédias appartiennent au XXe siècle
Le phénomène était évident quand le petit écran n’abritait qu’une seule chaîne. Il reste aujourd'hui plus logique pour les médias électroniques de diffusion comme radio et TV qui fonctionnent dans le temps du média, quand d’autres systèmes d’informations comme la presse par exemple fonctionnent dans le temps du lecteur. La périodicité du titre détermine certes un espace temps, mais l’initiative individuelle régit le mode de consommation.
C’est peut être pour cette raison que la presse n’aura jamais été complètement un massmédia sauf peut être à la fin des années 50 quand France Soir vendait chaque jour plus d’un million d’exemplaires en 3 heures et pesait sur le pouvoir.
L’unicité est le 3e pilier essentiel de la massification, elle synthétise la puissance et la simultanéité dans la notion de média de référence. Les quotidiens en 1958 (la Ve République, …), la radio en 1962 (Les accords d’Evian…), la TV en mai 68 : en une décennie politique, à deux reprises, le massmédia de référence a changé. Si on a coutume de dire que dans l’histoire récente, un nouveau média ne chasse pas l’autre, - une position intellectuelle souvent confortable-, il en modifie considérablement le statut et la consommation.
Les moimédias structurent notre évolution
Arrêtons là l’histoire même si elle éclaire beaucoup, pour énoncer aujourd’hui la fin du modèle massmédias. Bien sûr, le trait est forcé mais le trend est tracé. La digitalisation est l’artisan de ce renouveau médiatique qui affiche le primat du « moimédias » .
Au temps de l’angelus qui régit le collectif des massmédias, le moimédias oppose l’horloge biologique de chacun comme structuration individuelle du temps et des modes de consommation. La temporalisation est obsolète. Le rattrapage (admirez ici le vocable des défenseurs du modèle massmédias), la VOD et autres délinéarisations permises par le digital en sont les manifestations tangibles.
À l’unicité comme modèle, les moimédias opposent la pluralité d’accès comme levier.
À l’autorité verticale du pouvoir démocratique fondé sur le «un pour tous », source et corolaire de la massification, succède la tentation horizontale du « tous pour tous » où l’avis de chacun remplace souvent l’autorité d’un seul mettant à mal le système pyramidal de l’information voire toute référence à la compétence déclarée. Les journalistes en ont fait les frais. (« Tous journalistes »).
Dans le système plus fragmenté du moimédias , la primauté de la personne remplace le frustre dénombrement de l’individu indifférencié. Quand l’individu est cible passive des massmédias, la personne est acteur de son moi. Les cibles –concept guerrier hérité du marketing de massification- se personnalisent et prennent de la chair au delà du socio- démographique. L’analyse statistique du moimédias a également évolué : à la moyenne chère au massmédias, elle oppose la data personnelle voire intime et les signaux faibles.
On ne s’étonnera pas que ce nouveau paradigme soit le chamboule-tout de l’utilisation publicitaire des médias : les stratèges ne se satisfont plus de l’accumulation de contacts du média planning classique et recherchent avidement le poids de « l'expérience média » personnelle. Au delà de l’audience, les faits. L’effet aussi parfois.
La massculture disqualifie les massmédias
Internet qui n’est pas un média comme les autres mais un métamédia ne remplace pas par définition les médias antécédents, il les rend encore plus puissants mais surtout les métamorphose en redonnant la primauté au moi.
Il ne s’agit pas de nier le collectif qui agite la société contemporaine et donc le système médiatique. La dénonciation de la culture dominante (« mainstream, prêt à penser, … ») n’a jamais été aussi justifiée. C’est le rapport à la masse qui a changé. Ce n’est plus une massification des médias ou des individus sur le modèle de l’audience qui domine mais l’émergence d’une « massculture » globalement partagée. Les mass médias s'individualisent en moimédias, et la massculture les ré-agrègent C’était déjà clair avec l’apparition d’Internet avec Google, Yahoo et tous les agrégateurs comme exemples.
Ultime phase en date de ce mouvement et pas des moindres : les réseaux sociaux. Archétypes du moimédias, ils créaient la structure active de cette remassification: Facebook mais peut être plus encore Twitter, dans une course aux amis, aux fans, aux followers… (« Tous médias »)
Mais avec une vraie différence, il ne s’agit plus d’un système massmédia unique qui descend de l’autorité pour mieux l’incarner, mais d’un système moimédias qui émerge à l’initiative de chacun pour fédérer des tribus et au final restructurer la société. Un phénomène ascendant encore plus puissant. Parions que le mobile en sera le bras armé...
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Xavier Dordor
Délégué général du SEPM M&P, professeur associé Panthéon Assas Paris II (IFP), publicitaire (PDG Agence Alliance), éditeur, ancien Pdt de l'oJD et DG d'Audi-Presse, auteur de plusieurs livres sur les médias.
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