Il y avait un avant la crise : il y aura un après… jamais les circonstances n’ont autant poussé les consommateurs et les marques à changer ; mais certains changements s’avèrent irréversibles.
Des mutations irréversibles
La crise économique et financière rabote le pouvoir d’achat et consacre le low-cost. La mondialisation génère peur et incertitude et questionne nos modèles de développement. Délocalisation, évasion fiscale, respect des salariés… les fabricants ne peuvent plus se cacher derrière leurs marques. D’autres crises : sanitaires, sociales, et écologiques viennent amplifier le phénomène. À chacun son lot de marques incriminées ici ou à l’autre bout du monde : lasagnes de cheval, fermetures d’usines, sous-traitants maltraités, déforestation et huile de palme... La mise en cohérence des actes du fabricant et du discours des marques apparaît comme une ardente nécessité. La crise s’apparente au final à une crise de sens, où l’éthique et la confiance reviennent au centre des débats. Car ce sont aussi deux des valeurs fondamentales du commerce.
Au-delà de ces crises, la révolution numérique apporte elle aussi son lot de transformations radicales : parfois douloureuses pour certaines industries, souvent pleines de potentialités en combinant le meilleur des deux mondes : le réel et le virtuel. Et de ces mutations émergent de nouveaux standards de consommation : prix, services, délais, mobilité, les attentes changent vite, et sans retour en arrière possible. Les usages aussi : usages plutôt que possession, mutualisation, collaboration… les Français n’ont pas baissé la garde : ils sont ainsi 67% à dire que malgré la crise ils maintiennent ou accélèrent leurs efforts en faveur d’un développement plus durable.
Les marques au milieu du gué ?
Les Français gardent une certaine défiance à l’égard des marques comme symboles de l’économie de marché. À tort ou à raison, ils sont plus de 60% en moyenne à penser qu’elles font passer leurs profits avant l’intérêt du client. Et les + 35 ans et les CSP+ sont les plus sévères à cet égard : à croire que la génération X a été plus marquée par les excès d’un certain marketing top down.
Pourtant avec la révolution numérique les marques se sont ouvertes au dialogue. Et de nouveaux espaces d’échange ont permis de rééquilibrer la relation : réseaux sociaux, blogs, forums, ou sites de marques… Le bilan reste encore mitigé : plus d’un Français sur deux n’en percevant pas encore les bénéfices : une question d’usages et de génération car 56% de digital natives confirment une meilleure qualité d’échange par ce biais.
Mais il reste à craindre que certaines opinions négatives se polarisent aussi autour de nouvelles pratiques marketing: exploitation des données privées, infiltration de la pub dans les réseaux sociaux… Sur le web, le mélange des genres entre relation client, offre de service, collecte de données et démarche commerciale génère de nouvelles suspicions.
Pour autant plus d’un Français sur deux considèrent que les efforts des marques vont dans la bonne direction en matière d’écoute et de sincérité. Il semble qu’avec leurs postures marketing plus modestes, les marques gagnent en humanité.
En laissant s’exprimer leurs fans autant que leurs détracteurs, elles acceptent la critique, et permettent aujourd’hui aux consommateurs de s’impliquer activement dans la relation. Plus empathiques, elles reconnaissent aussi un véritable statut à la communauté. Toutefois, le verre ne reste encore qu’à moitié plein…et quelques écarts de conduite suffisent à renforcer les 22% de détracteurs : la confiance des clients se mérite !
Vers une nouvelle légitimité : responsabilité et valeur partagée
Après les affres du greenwashing, survivance d’un marketing faisant feu de tout bois, les marques semblent avoir pris du recul sur leurs responsabilités, bien au-delà des conséquences environnementales. Et le contexte actuel leur offre une fenêtre d’opportunité sans pareille pour devenir des acteurs du changement sociétal : une vaste majorité de français (72%) leur en donne même la responsabilité.
Car il s’agit là autant d’un rééquilibrage, que d’une aspiration pour redonner du sens à la consommation. La valeur des marques viendra donc aussi de leur intégrité, de leur éthique, et de la manière de faire rejaillir les fruits de leurs actions sur l’ensemble de la société. Les modèles de création de valeur partagée font consensus chez tous les Français : à condition de faire passer les actes avant les discours.
Savoir d’où l’on part pour tracer son chemin…
À chaque marque sa capacité d’agir, mais tout commence d’abord par une posture d’humilité au moment du diagnostic. Et pour imaginer sa route il faut souvent battre en brèche les anciens bilans de marque : beaucoup de nos modèles sont encore trop centrés sur eux-mêmes (des 4P à l’ADN de marque) . Les cadres d’analyse d’hier structurent mal l’enjeu des interactions d’un environnement qui change.
Nos nombreuses études sur les marques montrent qu’elles reprennent du sens et construisent de la valeur en recréant une dynamique positive au sein des quatre univers en mutation : la marque « producteur » au sein de sa filière, la marque « commerçante » auprès de ses consommateurs, la marque « digitale » auprès des internautes, la marque « citoyenne » tournée vers le salarié,le citoyen et les institutions. Et ces changements profonds réinterrogent aujourd’hui sur le rôle de chacune des marques au sein du portefeuille, car ce qui était hier du domaine réservé de la marque "corporate" doit pouvoir aujourd’hui être porté par certaines marques produits. Une fois défini le territoire d’action possible il faut en trouver le maitre d’oeuvre légitime : et beaucoup de marques ont déjà commencé leur transformation. L’essentiel reste de démarrer, car le changement est en marche !.
*Réalisé par téléphone auprès d’un échantillon de 1000 personnes représentatives de la population française 15 ans et plus – 17 au 19 mai 2013
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Richard Bordenave
Il est directeur marketing & innovation du groupe BvA. Avec 15 ans d’expérience marketing chez Kraft et Danone. Il est l’auteur de Marque et consommateur : le divorce (2004).
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