SIMULER UNE VIE EXCITANTE EN LIGNE
Le slogan du site Instasham annonce la couleur : « If you can’t make it, fake it ». Autrement dit, l’important n’est pas la réalité de ce que l’on vit mais bien la véracité apparente de ce qu’on partage en ligne. Pour booster sa réputation virtuelle, impressionner ses amis et prétendre avoir une vie palpitante, Instasham propose en effet des photos à poster sur le site de partage d’images Instagram. Ces clichés de soirées folles, de filles sexy, de voitures de luxe, de paysages paradisiaques etc., laissent entendre au reste du monde que sa vie est trépidante et passionnante. Une façon de booster son estime de soi en prétendant avoir une vie plus belle que celle des autres. @instasham.me/
AMELIORER SA VIE GRACE AUX OUTILS EN LIGNE
MindBloom est un site de développement personnel qui permet à l’internaute, après avoir planté un arbre virtuel, de voir fleurir sa vie en fonction des objectifs qu’il s’est définis. Decide what's important. Discover what motivates you. Take meaningful action, demande le site. Santé, créativité, style de vie ou spiritualité sont autant de thématiques de changement qu’il propose d’accompagner. Pour faire grandir la plante, on l’alimente par des phrases inspirantes tandis que l’eau des nuages ne tombe que si l’utilisateur estime avoir atteint ses objectifs. Une façon de rendre le changement ludique et surtout d’avoir sous la main un tableau de bord des micro-résolutions qui doivent permettre, mises bout à bout, de changer une vie. @ tree.mindbloom.com/
GÉRER SON HUMEUR AU QUOTIDIEN
Surfant sur la vague du mood, MoodScope est un outil online développé par un psychologue anglais et qui permet de suivre jour après jour, sur des graphiques, l’évolution de son humeur. A partir d’un relevé précis et régulier, l’utilisateur peut échanger ainsi ses fluctuations avec ses amis, via les réseaux sociaux afin que ceux-ci puisse l’encourager à poursuivre sur la voie de la gestion de ses émotions. Un outil qui permet de maintenir le cap, lors d’un changement amorcé dans le cadre d’une démarche de développement personnel. @moodscope.com
UNE CONFÉRENCE DEDIÉE À L’ÉCHEC
La première FailCon française, conférence dont le concept est né aux Etats-Unis dans la Silicon Valley, s’est tenue à Paris fin septembre 2012. Cet événement permet aux entrepreneurs d’échanger sur leurs ratages, avant évidemment pour les participants l’idée de se servir des expériences d’échec des autres pour se l’éviter à eux-mêmes. Un lancement raté, un produit qui ne trouve pas son public, une opération de communication qui échoue, un business model qui ne tient pas la route : autant de sujets qui peuvent être abordés sans tabou, histoire de dédramatiser l’entreprenariat. Et rebondir au plus vite : Keep on. Failure is the ultimate birth affiche le site américain… @www.thefailcon.com
Fuir vers des contrées meilleures pour trouver un travail, quitter la morosité ambiante au profit de la positivité des économies émergentes, s’offrir le luxe de chanter « au revoir président » à son patron : autant d’aspirations aujourd’hui dopées par la crise – et largement encouragées par la publicité.
En Europe, trois salariés sur quatre rêveraient ainsi de tout plaquer pour changer de vie. Un chiffre à mettre en regard du nombre d’expatriés français qui, selon les chiffres du Ministère des Affaires Etrangères, aurait presque doublé entre 1995 et 2012.
LE CHANGEMENT, AU RISQUE DE LA FUITE EN AVANT
À une époque où la mobilité et le renouveau perpétuel sont survalorisés, changer est désormais un véritable sport quand le turn-over est devenu un mot courant du langage d’entreprise aussi bien que du langage amoureux. « Ce phénomène de mobilité individuelle n’est pas nouveau historiquement, mais atteint une échelle nouvelle depuis quelques décennies, la déstabilisation des familles et la flexibilité du lien salarial allant de pair avec l’ascension d’un individu en quête d’une existence accomplie », écrit Achille Weinberg en note d’un article du sociologue Marc-Henry Soulet paru dans le magazine Sciences Humaines1.
Une quête d’accomplissement qui pousse à certains excès. Car si la liberté permise dans les sociétés occidentales offre la possibilité de choisir sa vie à chaque instant, chacun est également invité à s’interroger sur lui-même, sur ses désirs, ses valeurs et ses aspirations profondes. « Les sociologues parlent de société « réflexive » (autre nom de l’autoanalyse) pour désigner ce travail sur soi que l’individu doit mener pour repenser sa vie, ses choix et piloter son existence », ajoute Achille Weinberg, journaliste scientifique. Un travail que certains n’hésitent pas à afficher dans un grand mouvement de confession publique, permis par les réseaux sociaux. Il devient alors tentant de comparer sa vie à celle de tous ses amis. Voire de s’inventer une vie plus palpitante que la leur, une vie où le changement (de partenaire amoureux, de pays à travers les voyages, etc.) tient une place majeure. Une récente étude menée par deux sociologues de l’Utah Valley University et réalisée auprès de 425 étudiants d’un même campus, montrait ainsi que le sentiment de non-confiance en soi était proportionnel au temps passé sur Facebook. Autrement dit, les réseaux sociaux ébranlent la confiance de l’individu par la confrontation perpétuelle à la vie des autres, incitant à penser que « la leur est plus belle que la sienne ».
CHANGER DE VIE… OU CHOISIR DE LA DEVELOPPER
Mais le changement peut aussi venir de l’intérieur. « Le souci de soi qui caractérise notre société a reçu une impulsion nouvelle sous l'influence de ce que l'on appelle le « développement personnel » », écrit Michel Lacroix dans les colonnes d’un numéro du magazine Sciences Humaines consacré au sujet1. Le philosophe poursuit : « À l'heure de l'instabilité économique et du retour du religieux, de la mondialisation effrénée et du réveil du sacré, [les individus] désirent à la fois être plus forts dans la lutte pour la vie, et retrouver le chemin de l'expérience mystique. Face à ce désir contradictoire, une aide s’avère souvent nécessaire. Elle passe par des thérapies d’un nouveau genre, mais également par l’utilisation d’outils inédits qui accompagnent les individus sur la voie du développement personnel, du changement de soi. C’est le but d’un site internet comme MindBloom qui permet de suivre la progression de ses changements individuels, de définir ses priorités, ses motivations et de prendre les résolutions qui s’imposent.
Le développement personnel ne propose pas de changement radical – le fameux « tout plaquer pour changer de vie ». Au contraire : la plupart des individus qui se lancent dans cette aventure, et qui aspirent ainsi à devenir des êtres « accomplis », cherchent plutôt à changer les choses petit à petit, dans une stratégie des petits pas, plus simple à mettre en pratique. Elle implique de légères modifications comportementales progressives, ainsi que des formes de régulation émotionnelle douce.
VIVRE AVEC LE CHANGEMENT
Mais changer ne suffit pas. Encore faut-il pouvoir vivre et composer avec la nouvelle configuration. Changer implique donc un nouveau regard sur sa vie, sur son passé. C’est « un processus de modification de soi donnant à voir la continuité dans la discontinuité », affirme Marc-Henry Soulet. Changer, c’est aussi faire le deuil de ce qu’on laisse derrière soi, tout en faisant un pari sur l’avenir. Claudie Bert invoque toutes ces raisons pour justifier l’importance d’un trait de caractère : « l’aptitude à rebondir après un échec »1. La voie du changement est en effet semée d'embûches et la tentation est grande de vouloir faire marche arrière en cas de difficulté, de revenir vers le connu. On sait toujours ce qu’on laisse, jamais ce que l’on gagne, dit l’adage. La vision de l’échec et la capacité à l’assumer, voire à en tirer des leçons profitables semble donc une condition sine qua non de toutes les stratégies de changement. C’est justement l’objectif des FailCon, ces conférences d’un nouveau genre débarquées récemment en France. La conception de l’échec changerait-elle enfin ?.
1 Sciences Humaines, Eté 2011
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alexis botaYa
Rédacteur
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