T’as d’beaux yeux,
tu sais.
La première fois que je t’ai vraiment découverte et aimée à la folie, c’était en 1986, mon premier festival à Cannes. À l’époque, tu n’avais pas de rivales et sur la Croisette tu régnais en déesse triomphante. Nous passions des heures et des heures à déguster des spots acidulés, des petits bijoux sucrés… que les agences du monde entier ciselaient. On te décernait un Grand Prix, la récompense suprême convoitée par tout créatif sensé.
Tu faisais partie de ma vie. Tu m’encourageais : “Just do it.” Tu me prévenais : « Un verre ça va, trois verres, bonjour les dégâts. » Tu me consolais : “Happiness is a cigar called Hamlet.” Tu me grondais : « Il faudrait être fou pour dépenser plus ! » Tu n’avais pas peur de me dire la vérité : « Pour parler franchement, votre argent m’intéresse. » Et tu me faisais hurler de rire avec ce chanceux du Loto qui chantait : « Au revoir président ! »
Tu vois, je me souviens toujours avec bonheur de tes sagas incroyables, de tes slogans, entrés parfois dans la langue quotidienne, de tes musiques et jingles que nous fredonnions : « Pa-pa-pa-pa-pa-pam… » (Dim) ou « Dans Banga y’a des fruits, juste c’qu’il faut… »
Et puis un jour, sans que tu t’y attendes, une autre reine, beaucoup plus jeune et parée d’atours qu’elle croyait irrésistibles, s’est mise à te narguer. Les Gafa et la dynastie Internet ont essayé de te détrôner. Tu as résisté avec courage. Parfois ton manque de créativité m’a un peu déçue, la faute aux annonceurs trop craintifs. Mais crois-en Bernanos, « il n’est de véritable déception que de ce qu’on aime ». Alors qu’aujourd’hui on célèbre ton arrivée il y a cinquante ans sur nos petits écrans en France, j’ai toujours envie de te dire : « T’as d’beaux yeux, tu sais. »
Isabelle Musnik
Directrice de la publication
INfluencia
1968, sous les pavés,
la pub.
« Le premier lait en poudre qui donne l’impression d’être bu à la campagne » n’est clairement pas le slogan le plus révolutionnaire de l’année 1968. Et pourtant, il marque un point de départ. Car au commencement il y eut Régilait. Une vraie révolution, qui a eu lieu non pas sur le boulevard Saint-Germain, mais rue Cognacq-Jay, le 1er octobre 1968 à 19 h 56, au moment précis où la publicité s’installa sur la première chaîne de l’ORTF. Un écran en noir et blanc, deux minutes, cinq marques : le lait en poudre Régilait, les tricots Bel, Boursin, les téléviseurs Schneider et le beurre Virlux. Cinq marques qui ont disrupté avant l’heure le marché de la publicité.
La réclame devient publicité, les marques entrent à l’heure du dîner dans le quotidien des Français, un peu avant le journal télévisé. On peut sourire aujourd’hui de ces spots quelque peu compassés. En 1968, on ne parle pas encore de mesure d’audience, les indicateurs de performance n’ont pas encore été déployés. Pour une marque, être présente en télévision est une affirmation en soi, le choix d’un média de rupture dans un paysage partagé entre presse, radio et affichage. Le précepte énoncé par Marshall McLuhan devient réalité : le médium est le message. Une première révolution copernicienne pour les marques, préambule à une inexorable montée en puissance de la publicité télévisée.
50 ans plus tard, bain de jouvence pour la télévision : la révolution numérique est une opportunité extraordinaire pour réinventer les campagnes. Les data s’invitent déjà dans le mediaplanning et demain la TV linéaire sera aussi segmentée…
La révolution est désormais permanente, son cycle s’est accéléré de façon tellement vertigineuse qu’il ne faut plus rien s’interdire. Et desserrer le carcan réglementaire désuet. Allons de l’avant, le vieux monde est définitivement derrière nous !
Régis Ravanas
Directeur Général Adjoint - Groupe TF1
Publicité et Diversification