C’est un gentleman, britannique au possible, St John Harmsworth, in love with le Sud de la France et frère des richissimes propriétaires du Daily Mail puis du Daily Mirror, qui lors d’un séjour sous le soleil exactement découvre la source Bouillens – dont l’exploitant thermaliste n’est autre que le docteur Louis Perrier – et décide de l’importer en Angleterre. D’eau médicinale, il en fait une eau de table sélecte, comme seuls les Anglais savent le faire. L’eau de Perrier devient chic, trendy, royale. Sera tour à tour eau officielle de la cour d’Angleterre, puis de la cour d’Espagne. Sera de toutes les fêtes, dans 150 pays.
L’ivresse et la chute
Disons-le tout net, l’histoire de Perrier est folle depuis sa naissance. La communication est priée d’en faire des tonnes, sans modération. Perrier détourne les œuvres d’artistes célèbres d’Arcimboldo à Roy Lichtenstein, crée des jeux de mots idiots qui deviennent, par la grâce de la marque, des coups de génie, comme « Ferrier c’est pou ! », détourne des dessins animés, Nif-Nif, Naf-Naf, Nouf-Nouf, qui s’écrient en chœur : « C’est fou ou-ou-ou-ou c’est fou !… »
La communication est priée
d’en faire des tonnes,
sans modération. Perrier
détourne des œuvres, crée
des jeux de mots idiots…
Las. La présence de benzène dans des bouteilles de Perrier détectée aux États-Unis en 1990 va éventer sacrément la très agitée eau à bulles née à Vergèze, dans le Gard, à 15 kilomètres de Nîmes. Des millions de bouteilles sont retirées du marché américain. Et voici notre héroïne festive et déchue sommée de s’exprimer pour la première fois avec… humilité. Une communication de crise orchestrée par Jacques Séguéla. Il s’agit pour l’eau de source de faire son mea culpa auprès des consommateurs. Souvenez-vous, la petite bouteille seule au centre de l’écran… qui pleure. Les larmes glissent le long du col. En voix off, le mari cocu console Aurélie [extrait de La Femme du boulanger, le classique de Pagnol, ndlr] et lui demande d’arrêter de pleurer, elle qui est si jolie. Celle-ci répond que c’est de bonheur qu’elle hoquette, parce qu’elle revient. En packshot apparaît « Nouvelle production ».
Visite au zoo
Cette intervention de RSCG restera sans suite. C’est Ogilvy & Mather qui récupère cet apocalypse bébé auquel il va falloir redonner du peps, et de la crédibilité. Bernard Bureau, alors directeur de création de l’agence dirigée par Daniel Sicouri, s’empare de la problématique avec ses deux lieutenants, Franck Rey (aujourd’hui heureux free-lance) et Thierry Chiumino (aujourd’hui pilier à l’agence). Mais c’est finalement Christian Reuilly qui opère. « Bernard était occupé sur d’autres comptes, et alors que je faisais une série de photos pour American Express, dont Jean-Paul Goude incarnait l’un des “membres depuis 1789”, je lui ai parlé de ce projet qui me tombait dessus », raconte le directeur de création en charge de Vuitton à l’époque. « Je lui explique le contexte, la crise, la folie de Perrier plus vraiment d’actualité, et il me dit oui, emballé. » Le duo travaille ensemble sur le film tandis que le rédacteur Patrick Margot planche sur une nouvelle signature… « C’est pendant l’une de nos sessions de travail, au zoo de Vincennes, dans ce bestiaire situé à côté de chez Jean-Paul, que l’idée de la lionne germe. » Une fable inspirée aussi de La Belle et la Bête. Le cocktail « La Lionne assoiffée », « De l’eau, de l’air, la vie », I Put A Spell On You de Screamin’ Jay Hawkins impose la renaissance de la marque. Très vite, le spot remporte le Grand Prix Stratégies, une récompense au Club des DA… Cannes n’est pas loin. En juin 1991, sur la Croisette, la rumeur se répand autour d’un grand prix pour « La Lionne », mais en face il y a ce très beau film Heineken qui fait parler de lui. Le suspense dure. Au final, la mythique French bottle of water, la femme assoiffée et l’animal dompté sont couronnés. Ce sera la première et la dernière fois que la France remporte le Grand Prix au Festival International du film publicitaire à Cannes.
La première et dernière fois
que la France remporte
le Grand Prix au Festival
international du film
publicitaire.
Ce premier chef d’œuvre inaugure une jolie série. Ridley Scott filmera le spot « Les planètes » au son de Get Up (I Feel Like Being A) Sex Machine de James Brown, puis ce sera le film « McEnroe », qui sur un terrain de tennis poussiéreux et fantomatique boit l’eau d’une bouteille imaginaire. Neuf autres films, dont deux confiés à Publicis, créeront l’ébullition autour de l’effervescente Perrier ; autant de moments magiques dont on ne se lasse pas. Lors du tournoi de Roland Garros 2017, la trilogie « Lionne », « Planètes », « McEnroe » passait en boucle sur les écrans qui diffusaient les matchs. Pas pris une ride. Richard Girardot, le boss de Perrier devenu depuis président de Nestlé France, s’en souvient encore comme de la belle époque. Celle où tout était possible en pub… pour les bulles de Perrier.
Perrier, la danse cosmique
Perrier, Mac Enroe
Cristina Alonso
Rédactrice en chef