Ça se passe au Royaume-Uni, en 1963. Les lois antitabac n’ont pas encore touché les marques de cigares, mais Benson & Hedges se méfie et sentant le vent tourner lance un cigare léger au prix d’une cigarette. Flash-back. Deux créatifs de l’agence Collett Dickenson Pearce (CDP), alors en pleine gloire créative, le copywriter Tim Warriner et le directeur artistique Roy Carruthers avaient travaillé tard au bureau en quête d’une idée qui leur échappait depuis des semaines. De retour en bus dans une nuit noire et pluvieuse, installés sur le pont supérieur, l’un d’eux allume un cigare. Tim Warriner alors soupire : “Happiness is a dry cigar on a number 34 bus.”
EN UN CRAQUEMENT
D’ALLUMETTE, L’IDéE EST
LANCéE, LE SLOGAN EST
TROUVé, HAPPINESS IS A MILD
CIGAR CALLED HAMLET.
En un craquement d’allumette, l’une des campagnes les plus célèbres de l’histoire de la publicité venait de naître. L’idée est lancée, le slogan est trouvé, Happiness is a mild cigar called Hamlet (« le bonheur est un cigare léger nommé Hamlet »), pour décrire toute l’absurdité de ces petits moments de malheur qui marquent nos vies. La bande-son, un arrangement d’un Air On A G String de Bach par le trio Jacques Loussier, ne changera plus.
Le tout premier spot est tourné dans les sous-sols de l’agence. Un homme immobilisé dans un lit, la jambe plâtrée, se désespère, jusqu’à ce que lui vienne une idée : allumer un petit cigare Hamlet et raviver sa joie de vivre. CDP, du premier coup, avait trouvé le filon d’une veine qui ne va plus se tarir. Désormais, tous les six mois, l’Angleterre retiendra son souffle en se demandant quelle nouvelle farce la marque allait bien leur réserver. Au total, l’agence réalisera une centaine de petits chefs d’œuvre mettant en scène des hommes aux physiques disons peu conventionnels, victimes de malchance ou bloqués dans des situations périlleuses, qui retrouvent la béatitude grâce à un cigare. Et parce que créativité rime avec efficacité, Hamlet en quatre ans deviendra la marque numéro un sur le marché des petits cigares.
CRÉATIVITÉ RIME AVEC
EFFICACITÉ : HAMLET EN QUATRE
ANS DEVIENDRA LA MARQUE
NUMÉRO UN SUR LE MARCHÉ DES
PETITS CIGARES.
Sans Hamlet, plus de bonheur…
Chacun défend sa campagne fétiche. On peut craquer pour le spot « tennis » : un homme dont les mouvements sont entravés par une minerve essaie de suivre les échanges de balles sur un court de tennis. Ou celui où le roi Hamlet (de Shakespeare) tente d’ouvrir les eaux de la Baltique, tel Moïse sur les bords de la mer Rouge. Mais le plus célèbre reste sans doute Photobooth en 1987 – un homme (le comédien écossais Gregor Fisher) tente de se coiffer avant que ne se déclenchent les flashs du photomaton –, qui a même été sacré « meilleure publicité de tous les temps » par les journalistes de tous les pays du monde à Cannes en 1997.
En octobre 1999, hélas, la pub pour le tabac est définitivement interdite. Hamlet prend sa retraite de la télé sur une dernière campagne qui laissera des millions de publiphiles, et moi et moi et moi… sur leur faim.
Isabelle Musnik
Directrice des contenus et de la rédaction