La volte-face des grandes surfaces et des centres commerciaux
pascale baziller
« Février sans supermarché ». Quatrième édition en 2020 de cette opération qui consiste à éviter autant que possible les supermarchés et grandes surfaces durant un mois. L’enjeu est de sensibiliser à une consommation plus réfléchie, favoriser les circuits courts, soutenir les commerces indépendants… Big challenge?
 
Une tendance se répand actuellement dans plusieurs pays occidentaux et sur les réseaux sociaux. Elle traduit un changement dans le comportement des consommateurs, qui expriment de nouvelles attentes en matière de consommation. Alors, qu’attendent les citoyens aujourd’hui des centres commerciaux et autres hypermarchés ? Comment ces « temples de la consommation » se positionnent-ils face à leur remise en question ? Comment se repensent-ils pour mieux répondre aux enjeux de marché et devenir dans ce contexte un levier d’attractivité locale et d’innovation sociale pour les territoires ?

La justesse et la frugalité

Ce sujet était au cœur des réflexions des professionnels du secteur et des acteurs terri­toriaux lors de la conférence intitulée « Nulle part ailleurs » dans le cadre de la Maddy Keynote 2020 le 31 janvier 2020.

Tout ce qui était le modèle d’après-guerre, fondé sur un imaginaire de l’opulence, de la gourmandise, de la richesse et de l’accès… cet imaginaire se sature.


En premier lieu, c’est le rapport entre le consommateur et le commerce qui permet de mieux comprendre les mécanismes qui se jouent dans les centres commerciaux. « L’acte consommatoire tel qu’il apparaît dans les centres commerciaux et les grandes surfaces a vécu une transformation profonde et radicale cette dernière décennie. Tout ce qui était le modèle d’après-guerre, fondé sur un imaginaire de l’opulence, de la gourmandise, de la richesse et de l’accès… cet imaginaire se sature. En lieu et place, on va rechercher des choses nouvelles chez le consommateur occidental, qui sont l’idée de la justesse, de la frugalité et d’une relation différente à la fois au territoire mais également avec les autres consommateurs, l’histoire collective que propose le produit comme médiateur avec une histoire locale », explique Stéphane Hugon, sociologue et CEO d’Eranos.

En effet, au-delà du produit, la dimension relationnelle avec le territoire est de plus en plus appréhendée par les centres commerciaux dans leur gestion et leur stratégie de développement. « 75 % des consommateurs sont plus enclins à venir et revenir dans un centre commercial qui fait attention à son empreinte environnementale et fait quelque chose en matière territoriale. Il n’y a pas encore si longtemps, on avait un modèle tourné sur lui-même, sans lien avec la ville et les acteurs alentours », indique Julien Goubault, directeur de la communication du groupe Klépierre, qui est gestionnaire et propriétaire d’une centaine de centres commerciaux en France et en Europe. Le groupe a revu sa politique événementielle pour mieux répondre à la demande de la clientèle (65 % des consommateurs attendent que les centres commerciaux innovent et sortent de la standardisation en élargissant leur offre à de nouvelles activités, selon l’étude Retailscope 2018 réalisée par Hammerson et Odoxa), et s’ancrer dans les territoires. « Nous avons compris qu’il fallait retrouver la fonction sociale dans nos centres et en faire des lieux de rencontre. Nous essayons de faire des événements localisés qui fassent intervenir des associations et des entrepreneurs locaux. Chaque centre doit trouver ce qui va donner localement plus de sens. Ce sont les équipes in situ qui peuvent agir de manière efficace. »

Une mutation concrète et palpable

Dans un environnement où les attitudes des consommateurs et les modes de vie commencent à changer, les centres commerciaux suivent et participent de fait à ces mouvements. Ils travaillent sur des problématiques tant économiques et sociales (emploi…) qu’environnementales propres à leur écosystème et les régions où ils sont implantés. « Nous sommes entrés dans une logique de consommation plus raisonnée, d’attente en termes de responsabilité sociétale et environnementale (RSE) dans l’exploitation des centres commerciaux, de la distribution, mais également de l’expérience en magasin et dans la gestion des déchets. Les consommateurs ne sont plus dupes. On a dépassé l’ère de la RSE et du développement durable défensif et compensatoire. Tout doit être concret et tangible, sinon ça sonne creux ! » souligne Jean Moreau, cofondateur et président de Phénix, qui développe des solutions innovantes pour bâtir un monde sans gaspillage, dont les épiceries Nous antigaspi (lancées à Melesse en mai 2018, puis à Rennes, Saint-Malo, Cherbourg, Laval et à Paris depuis novembre 2019). Un concept qui fait sens sur bien des terrains.

« L’immobilier est un outil qui permet de rouvrir des lieux de vivre-ensemble »


Villages Vivants

« La folle aventure », librairie coopérative qui a ouvert à Trévoux (Ain) en mai 2019, porte bien son nom. Elle est née de la volonté d’un collectif d’habitants de faire renaître un commerce dédié au livre. Le projet a vu le jour grâce à l’achat du local (une ancienne pharmacie) par des investisseurs de l’économie sociale et solidaire, dont Villages Vivants. « Nous sommes partis du croisement de deux constats : d’une part la vacance commerciale et la dévitalisation des centres-villes avec des services du quotidien et du vivre-ensemble qui disparaissent, et d’autre part la résilience sur les territoires avec des initiatives un peu partout portées par des usagers. C’est ce mouvement que nous voulons soutenir », expose Raphaël Boutin Kuhlmann, cogérant de Villages Vivants, qui achètent et rénovent des locaux puis les louent à des loyers préférentiels pour des activités à visée coopérative et sociale. « Bien souvent, ces initiatives sont freinées par un immobilier dominé par une logique de spéculation. Nous nous inscrivons dans un modèle qui accompagne les porteurs de projets à fort impact social. L’immobilier est un outil qui permet de rouvrir des lieux de vivre-ensemble et de services de proximité où les habitants sont acteurs de leur quotidien. » Trois projets situés en Auvergne Rhône-Alpes ont vu le jour depuis la création de la société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) en 2017. En 2020, une deuxième levée de fonds de 1,8 million d’euros (la première était de 845 000 €, dont 250 000 € des citoyens en titres participatifs) permettra six nouveaux achats. L’ambition est d’atteindre un rythme de dix acquisitions par an et d’ouvrir des antennes dans d’autres régions à partir de fin 2021.

« ce modèle est destiné à soutenir l’économie locale des territoires »


Comptoir de Campagne

Redonner vie aux villages désertifiés. C’est la mission que s’est donnée Comptoir de Campagne en développant des commerces multi­services physiques et connectés sur ces territoires. « Un village sur deux n’a plus de commerce aujourd’hui en France et se transforme en cité dortoir. Or, de plus en plus de gens font le choix d’habiter en zone périurbaine et veulent consommer différemment. Notre projet est de proposer une solution qui s’appuie sur les nouveaux modèles et comportements de consommation en utilisant aussi des outils actuels comme une boutique en ligne », présente Virginie Hils, fondatrice de Comptoir de Campagne. Le réseau compte aujourd’hui neuf magasins (la première ouverture datant de 2016) commercialisant des produits locaux en circuit court, des services de proximité (pressing, cordonnerie, bureau de poste…) et une offre de petite restauration. Un modèle destiné à soutenir l’économie locale des territoires, créer des emplois et favoriser le lien social. « Ce sont des lieux de vie et de partage où sont organisés des animations et des rendez-vous avec des professionnels. Nous travaillons sur un partenariat avec des banques et assurances pour mettre en place un système de visioconférence. »

La start-up de l’économie sociale et solidaire soutenue par différents acteurs (fonds d’investissement, BPI, La Poste et autres financements participatifs) prévoit l’ouverture d’une centaine de comptoirs d’ici à cinq ans et de démarrer une offre de franchise en septembre 2020. À date, elle cherche ses derniers partenaires pour sa levée de fonds, soit 3 millions d’euros…
pascale baziller
Journaliste
 
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