Le design a toujours transformé les contraintes techniques, économiques ou culturelles qui lui étaient imposées en leviers de création pour les marques. Une raison suffisante pour envisager l’avenir avec optimisme, estime Christophe Fillâtre, président de l’agence Carré Noir.
IÑfluencia Quelles sont les conséquences de la révolution digitale pour le design ?
Christophe fillâtre En conduisant les marques à travailler avec un nombre croissant d’agences, souvent des pure players, et alors que les points de contact se multiplient et se dématérialisent, la révolution digitale peut mettre à mal la cohérence nécessaire à l’expression des marques. Plus que jamais, il nous faut donc être des brand angels, nous assurer qu’au travers de créations fortes et cohérentes, nous puissions dire en quoi une marque est unique. Nous devons d’autant plus le faire qu’une pratique forcenée du benchmarking a conduit certaines marques à oublier l’idée majeure qui est à l’origine de leur création. Lorsque l’on est la « voiture du peuple », est-il légitime de vouloir ressembler à une marque de voiture premium, je ne le crois pas. Notre rôle, c’est construire des identités de marques tellement fortes qu’elles pourraient être reconnaissables sans logo. D’être en capacité permanente à dire l’intention originelle de la marque et traduire ses différences.
IÑ C’est quoi cette idée originelle ?
CF C’est le fait pour un homme, une entreprise, d’apporter au travers d’un nouveau produit, service, une réponse à des problèmes que les consommateurs n’ont probablement pas encore identifiés. Sans design produit, il n’y a pas de design de marque. Le succès de Dyson est d’abord dû au fait qu’il a introduit une innovation produit sur un marché, une innovation qui a affranchi les consommateurs de la gestion du sac à poussière. De cette idée, il a fait un bel objet qui n’a plus besoin d’être caché au fond d’un placard. Dyson a imaginé quelque chose de cohérent sur le fond et sur la forme.
Dans un autre registre, Orange a bâti son écosystème autour du design. De son siège social à son identité graphique et sonore, tout a été pensé autour de ce que la marque apporte en termes de créativité et d’innovation aux consommateurs. Tout en ayant l’humilité d’être en retrait par rapport à ce qui a été créé, l’agence de design doit rendre identifiable et remarquable ce « qui je suis » de la marque.
IÑ La simplicité est un concept dont le marketing s’est saisi ces dernières années pour reconquérir le consommateur. Comment le design le traduit-il ?
CF Le design naît des contraintes. Il en a besoin pour bien s’exprimer, et s’il n’y a rien de plus compliqué que de faire simple, c’est dans le brouhaha que le silencieux est le plus remarquable ! Nous l’avons vu dans le domaine de l’électroménager pour des marques comme Braun ou Seb, pour qui nous travaillons. Là encore, l’essentiel est de revenir à l’idée originelle, à la vérité de la marque. Lorsqu’elle n’a pas de pilier, la forme ne peut plus l’aider. Elle le pouvait hier, plus aujourd’hui face à un consommateur mieux informé qui exige des raisons valables pour acheter une marque plutôt qu’une autre.
IÑ L’état de santé de la planète oblige les humains à davantage de sobriété. C’est une chance pour le design ?
CF Personne ne peut nier les risques écologiques, la nécessité de consommer mieux. Pour autant, il y a encore un énorme décalage entre les souhaits exprimés et la réalité. Au Japon, où Carré Noir est implanté depuis des années, nous avons dû intégrer les contraintes écologiques dans notre travail. Nous avons monté une offre d’écodesign, noué des partenariats, nous nous sommes préparés pour pouvoir travailler en amont à ces questions et notamment à celles relatives au recyclage et à la gestion des déchets. Nous sommes donc prêts à faire face à ces nouvelles exigences, qui sont des sources de créativité. Elles le sont d’autant plus qu’elles nous donnent les moyens de démontrer que le design n’est pas une affaire de jetable. Il permet à une personnalité de se réinventer, d’être la même qu’à l’origine tout en étant dans l’actualité. Notre société vit une crise profonde, se projeter dans le futur est un exercice qui fait peur tant l’avenir semble sombre. Dans ce contexte, le design, parce qu’il vise à améliorer l’existant, est porteur d’optimisme.