Les notions de design, d’ergonomie et d’esthétisme ont envahi la banalité quotidienne quand il s’agit de parler d’objet. Et nous employons à tort le mot « design » pour qualifier ainsi l’esthétisme des choses les plus futiles soient-elles : une bouteille d’eau, un réfrigérateur, un balai, un carnet de notes. Le consommateur d’aujourd’hui veut du beau partout. Cet abus de langage prospère dans notre société où la culture de l’image est omniprésente ; aucune photo publiée sur le réseau Instagram n’est faite à la légère, sans un travail esthétique poussé, même s’il s’agit de partager la photo d’un caillou sur le sol.
Un retour aux choses simples
À trop vouloir esthétiser le quotidien, le terme de design se trouve corrompu. L’expression no design serait la voie à suivre. Comme un retour aux choses simples permettant de contrer cette stylisation outrancière. Et si ce no design était le vrai design que l’on recherche ? Pas la « simplicité », mais ce design qui fait appel au sens premier du terme ? Le design thinking comme l’appellent les Anglo-Saxons ? Ou alors serait-ce juste un terme à la mode ? Pas si simple.
Lorsque Nicolas Minvielle, responsable du MSC et de la majeure marketing design et création de l’école Audencia, parle de l’approche du design chez Apple, c’est pour nous expliquer que la marque joue sur les deux registres, design et no design. Apple s’est toujours érigé en marque pionnière et différente. Son créateur Steve Jobs a développé des produits fondés sur une véritable stratégie du design ; rendre la vie plus facile à l’utilisateur en lui proposant de nouvelles fonctionnalités habillées d’un esthétisme élégant et simplissime. Une véritable approche no design très actuelle. Mais en faisant adhérer le plus grand nombre à sa philosophie du produit, la marque à la pomme est devenue une icône de mode, dont les objets statutaires incarnent parfaitement l’idée du design esthétique tant recherché aujourd’hui.
Le no est à la mode...
Certains arrivent à garder une posture no design. Un « design with vision » (signature de l’agence de Jean-Louis Fréchin spécialisée dans l’innovation et le design numérique appelée Nodesign...) qui s’attache à satisfaire le consommateur sans artifice. Comme la marque automobile Škoda qui applique une vraie stratégie de design sur l’ensemble de sa gamme. Elle propose à ses clients des véhicules pour se déplacer avec tous les éléments essentiels de confort, de sécurité, au juste prix, discrètement, sans renvoyer une image statutaire et sociale. Et si ensuite les conducteurs souhaitent évoluer vers une Škoda plus haut de gamme (prix) avec une esthétique plus marquée (statut social), alors ils partiront chez Audi !
Quand le no design s’installe, le design n’est jamais très loin. Ikea a réussi à devenir une marque design esthétiquement parlant sans oublier sa stratégie design. Elle est devenue incontournable dans l’univers de la maison, comme Apple dans la téléphonie mobile, l’aspect statutaire en moins. On ne se vante pas de se meubler suédois !
... et il fait vendre
Cette culture du non a la cote. Ce n’est pas nouveau, mais elle n’agit pas sur les mêmes registres de nos jours. Nous sommes bien loin aujourd’hui du no future scandé par le mouvement punk des années 1980 et chanté par les Clash. Le no se veut plus ancré dans l’objet de consommation. Le no est à la mode et il fait vendre. Les blogs et autres magazines fashion adorent parler de ces contre-courants pour des lecteurs soucieux de se sentir différents... Le no gluten pour ceux qui ne croient plus dans l’alimentation, le no make-up pour ceux qui aiment le naturel [...], le no logo pour ceux qui n’aiment plus les logos, le no poo pour ceux qui ne veulent plus tuer leur chevelure avec trop de shampooing.
Bref, tout peut devenir le « no » de quelque chose ! Nous atteignons le paroxysme du paradoxe avec le courant Normcore détecté par l’agence new-yorkaise K-Hole dans l’univers de la mode, ou comment le fait de s’habiller de manière neutre, le plus « mainstream » possible, devient hype. En gros, refuser l’esthétisme et devenir esthétique. Du no design premier degré qui devient design. Compliqué. Et l’un des meilleurs représentants de cette (no) mode demeure feu Steve Jobs et son combo jeans mou/T-shirt noir manches longues col cheminé/baskets de randonnée. Steve Jobs, l’homme du no design devenu design... Cela ne s’invente pas !.
« If everyone is special then no one is », disait David McCullough Jr., professeur, à des élèves diplômés. C’est identique en matière de design.
À tout vouloir qualifier de design, plus rien n’est design. No design.
|
guillaume cadot
Consultant pour des marques qui veulent comprendre la consommation, concepteur-rédacteur pour agences en mal de concepts, créateur des vêtements CADOTTM pour l'homme en mouvement, bloggeur pour MyVision. mylabstudio.com
|