Le titre peut sembler un rien obscur. « Global brand design manager »... Le rôle de ces cadres est également assez... compliqué à comprendre pour les novices que nous sommes. « Mon travail est de rendre cohérente l’identité de la marque à travers tous nos supports, que ce soit notre identité visuelle, notre territoire graphique, nos sites sur la Toile, mais aussi sur nos stands lors des salons automobiles et dans nos concessions », résume Karine Buisson-Caillard, la Global Brand Design Manager de Citroën. Ce métier est considéré très stratégique par de nombreux groupes. Surtout depuis quelques années. « Les marques ont besoin aujourd’hui de consistance, résume Martin Piot, le directeur général de l’agence W. Le marché est de plus en plus émietté. On voit des petits acteurs comme Airbnb ou Uber tailler des croupières à de grandes multinationales, et ce phénomène est très déstabilisant pour elles. »
La fin du branding
Pendant des années, les entreprises se sont contentées de faire du branding, ce qui signifie littéralement « marquer au fer rouge ». Leur stratégie était de montrer le plus souvent possible leur logo afin de le faire entrer dans le crâne des consommateurs. Mais aujourd’hui, avec l’essor d’Internet notamment, il faut que les gens adhèrent à l’histoire que la société leur raconte. Afficher sa marque ne suffit plus. Les entreprises doivent suivre une démarche plus sincère et définir un récit et une ligne éditoriale qui se retrouvent à tous les stades de leur communication. « Mon métier consiste à faire le grand écart entre les services du design et ceux du marketing afin de m’assurer que tout le monde parle d’une seule et même voix, résume Mathieu Riou-Chapman, le Global Brand Design Manager de Peugeot. Il faut maintenir une certaine cohérence dans les messages que l’on souhaite faire passer. » Apple a montré l’exemple dans ce domaine. « Le responsable du design des produits à la pomme, Jonathan Ive, a ainsi un droit de regard aussi bien sur les produits de la marque que sur leur packaging, sur les sites Internet et sur la communication du groupe ou sur l’agencement des magasins, raconte Martin Piot. Dans certaines sociétés, le patron du style est ainsi devenu un des cinq dirigeants les plus importants de la compagnie. »
Un travail de fourmi
Pour provoquer des changements majeurs dans une entreprise, un nouveau design doit être le fruit d’une mûre réflexion et d’un travail de longue haleine... « Le point de départ, c’est la marque, son positionnement, son marché et ses cibles, note Mathieu Riou-Chapman. On peut ensuite élaborer la stratégie style en définissant les codes qui sont caractéristiques de nos produits. Chez nous, par exemple, on parle d’émotion, d’allure et d’exigence, et nous avons décliné autour de ces valeurs des applications que l’on retrouve dans l’ensemble de nos supports de communication. » Et le diable se cache souvent dans les détails...
Chaque filiale de Peugeot doit notamment respecter un cahier des charges très exigeant. Les voitures doivent ainsi toujours être photographiées de manière dynamique, avec des teintes désaturées et en utilisant un cadrage et une typographie précis. La répétition de ces codes permet aux clients de décoder la marque. Citroën suit une stratégie en tout point similaire. « Nous devons créer une alchimie pour que tout le monde dans le groupe adopte une même typologie de langage, souligne Karine Buisson-Caillard. C’est assez magique et passionnant. Nous avons pour cela mis en place un « guideline d’expression » dans lequel nous détaillons notre charte graphique, notre sémantique ainsi que la manière dont nos voitures et les personnes doivent être photographiées. Tous ces ingrédients permettent de définir une recette qui sera exclusive à Citroën.
Une stratégie mondiale
L’ensemble des filiales du groupe sont supposées se plier à ces règles strictes. « Les spécialistes du marketing ont toujours le vœu pieux de s’adapter aux spécificités locales de chaque marché, mais la force des grandes marques est d’être totalement référentes aux quatre coins de la planète », analyse Mathieu Riou-Chapman. Coca-Cola, Nespresso ou Apple utilisent les mêmes couleurs, les mêmes logos et les mêmes messages sur les cinq continents, et de cela procède – en partie – leur succès. La prise de conscience de ce « phénomène » explique l’apparition de plus en plus fréquente de global brand design manager au sein des organigrammes des multinationales.
« Le regard sur notre métier a beaucoup changé ces dernières années, reconnaît Karine Buisson-Caillard. Il y a vingt ans, on me considérait encore comme une « artiste », mais je ne ressens plus du tout cela aujourd’hui. Le plus dur lorsque j’ai commencé ce travail était de me faire accepter. Mais maintenant que nous avons mis plusieurs projets en place, les gens ont réalisé que nous servions à quelque chose et plus personne ne remet mon poste en question. Par le passé, on me demandait pourquoi j’assistais à une réunion, aujourd’hui on m’interroge sur les raisons pour lesquelles je n’y vais pas. C’est génial d’avoir vécu une telle évolution en quelques années à peine... ».
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frederic therin
Rédacteur
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