PARADOXALES ENVIES
Le consommateur moderne, en pays industrialisé, qu’il soit asiatique, américain ou européen, est partagé entre deux grands types de désirs. Des désirs techno – cette irrépressible envie de communication, de technologies, de futur, d’objets design, sophistiqués et connectés (tablettes, smartphones, montres, lunettes, TV pour les plus courants, et 1001 autres, de la fourchette aux bijoux, de l’aspirateur à la litière du chat) – et des désirs nature – un besoin profond d’être relié à la nature, désir d’artisanat, de terroir, de régression, de nostalgie, de saveurs, de confort, d’authenticité, de matières, d’émotions, d’imaginaire et de réel... En termes de packaging, on suit donc logiquement ces deux grandes directions : emballages purs, intuitifs et design (à la Apple) pour les désirs techno, et emballages illustratifs, démonstratifs et narratifs pour les désirs nature.
LA TENDANCE : PLUTÔT ŒUF OU PLUTÔT POULE ?
On parle souvent des tendances comme étant la dynamique des marchés. Posons carrément la question : de l’œuf ou de la poule, qui vient au commencement ? Est-ce la tendance qui influence le consommateur ? le consommateur qui fait la tendance ? comment naît-elle, vit-elle, meurt-elle ? pourquoi des tendances fortes et faibles ? éphémères et durables ? ou encore locales et globales ?
Explication : aucun producteur n’aime perdre de l’argent. Lorsqu’il crée et commercialise un produit, c’est pour qu’il soit rentable. Et tous les coups sont permis. Il ne faut pas croire que seuls les Chinois copient ce qui marche, tout le monde copie tout le monde. Quand l’eau de coco plaît aux Français, par exemple, les petites marques fleurissent (VaïVaï, Zico, Vita Coco, Coco Juice de Dr Antonio Martins...), et si le phénomène dure, les grands groupes s’y mettent à leur tour en créant leurs propres marques – ou plus simplement en rachetant celles qui se démarquent. Il en serait de même si, demain, le wasabi était préféré à la moutarde de Dijon ! Quantités de marques et de produits feraient leur entrée sur le marché. On parlerait de tendance.
De fait, la tendance naît du succès d’un produit ou d’un style. Si le produit ou le style plaît, il est copié. Donc multiplié. Les fabricants, par peur de rater le coche, se lancent dans le secteur, la presse en parle et la tendance s’amplifie. L’hominidé doit descendre du mouton... Si la tendance se construit sur une base solide, elle sera durable ; si elle part d’une mode (gustative ou graphique), elle sera passagère. Et cela s’explique très bien en images. Pour mieux comprendre, arpentons les rayons des Pentawards, à la découverte des sept tendances qui font les packagings de qualité.
TATTOO
Voici l’exemple même d’une tendance naissante qui sera sans doute éphémère. Elle mise sur le retour d’un phénomène sociétal profond et universel, celui du tatouage. Quand on sait qu’aux États-Unis un cinquième de la population s’est fait tatouer au moins une fois, que l’on observe que les tatouages se portent de plus en plus visibles et qu’ils ont pour adeptes les stars de la musique et du sport, il n’est pas étonnant de les voir apparaître sur d’autres supports que le corps.
Un des tout premiers à avoir « osé » tatouer un emballage est Christian Audigier, de plus sur une bouteille de vin. Transgressif. Au Canada, les chewing-gums Stride (connus chez nous sous la marque Trident) se présentent dans de beaux packs tatoués dehors-dedans ; le dehors en couleur, le dedans en noir et blanc. Plus amusants sont ces gants pour faire la vaisselle ; de quoi rendre la corvée amusante... surtout en Russie.
En France, récemment, le whiskey J&B s’est offert les services du célèbre salon de tatouage parisien Le Sphinx (Sébastien Mathieu) pour réellement customiser 25 bouteilles recouvertes d’un film de latex imitant la peau : 20 heures de travail par bouteille, série limitée, sur une idée de William Black (Button Button).
FUNNY SHOCKING
Concept Just Laid par Springetts Brand
Design : représenter la ponte sur la boîte permet de reconnecter
le consommateur avec le processus naturel de fabrication
de l’œuf… Primé aux Pentawards 2014.
Nom d’un chien, par Marine Bacot. Projet de création de sacs amusants pour les promenades de votre chien. Primé aux Pentaward 2014
Est-ce un effet anti-crise, les créations qui jouent de l’humour comme expression sont de plus en plus nombreuses. Alors que le « politiquement correct » – sadly made outre-Atlantique – vient souvent nous empêcher de rire en rond, voilà des packaging designers qui osent (enfin) l’humour, auparavant l’arme fatale des publicitaires.
Un Platinum Pentaward a été attribué à une agence hollandaise pour une gamme de papiers pour imprimantes et copieurs. L’idée est très simple, les designers se sont eux-mêmes « photo-scannés » en écrasant leur frimousse sur la vitre du copieur. Effectivement, quoi de mieux pour exprimer parfaitement le produit ? Le résultat montre des visages déformés à la Jérôme Bosch...
En Russie, une gamme de vins utilise des étiquettes en forme de main basiquement attachées au goulot par un élastique. On est loin de la tradition qui veut que l’on affiche la gravure d’un beau château, sublimée par une typo ancienne couleur or, noir ou rouge.
Mais encore, un emballage d’œufs (en Grande-Bretagne) présente une poule en plein effort – l’œuf à moitié pondu – surprise elle-même de son exploit ; plus amusant encore, voire coquin, est le geste à faire pour ouvrir la boîte... Une gamme de chocolats (en Hollande) montre des bouches exagérément ouvertes, un chocolat entre les dents. Alors, que dire de cet emballage pour sac à crottes réalisé par Marine Bacot, étudiante à l’ECV Bordeaux ? Le trou par lequel on retire le sac ne pouvait être mieux placé...
PAPIERS FROISSÉS ET BOUTS DE FICELLE
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Dans cette tendance, on retrouve des désirs de matières, de toucher, d’authenticité. Les prémices sont apparues il y a quatre ans et la tendance croît sur les trois grands marchés (boissons, alimentation, électronique). Vu les coûts de production, ce style sied principalement aux produits haut de gamme et de luxe. Mais pas seulement.
Les papiers froissés sont souvent de belle qualité : papier de soie, papier de riz, mousseline, papiers craquants, papiers pelure d’oignon, etc. aux couleurs chatoyantes, imprimés ou filigranés. Les ligatures sont faites de fils, de raphia, de cordelettes et autres passementeries. Les trois flacons de Johnnie Walker destinés au marché russe et ces bouteilles de vin grec ou ces emballages de riz biologique chinois en sont l’illustration parfaite. Pour des jus de fruits de grande consommation, une agence de design hellénique a simulé le papier et la ficelle sur les briques, de quoi être tendance à coût zéro. Autres exemples : de Grèce ou de Chine, ces bouteilles d’huile d’olive se parent d'un col serti d’une cordelette pour joindre l’agréable à l’utile, le tissu jouant le buvard absorbant l’huile qui coulerait sinon le long du goulot.
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ARTISANAT ET TRADITION
Voilà bien la tendance de fond par excellence qui se décline selon les pays, l’artisanat étant bien sûr une question de culture locale. On décèle dans ce retour à l’artisanat un fond de nostalgie ainsi qu’une affirmation de sa propre identité culturelle, voire nationale. Mais aussi un besoin de reconnaissance des gestes ancestraux, du savoir-faire et des bonnes choses d’antan. Ces exemples viennent de Chine, de Norvège, du Japon, de Grèce, d’Angleterre...
PURE FORME
Sans doute initiée par les produits high-tech et l’envie d’objets design, cette tendance regroupe des emballages aux formes aussi simples qu’esthétiques.
SCRIPT
Alors que l’ordinateur offre au designer des milliers de polices de caractères différentes, naît un besoin de « fait main ». Plus la technologie offre de possibilités, plus l’humain aspire au naturel, sans doute pour montrer qu’en fin de compte, c’est l’homme qui est au centre du monde. Toujours le même paradoxe qui s’affirme par le fond comme par la forme.
SANS AMBIGUÏTÉ
Des emballages qui ne vont pas par quatre chemins. Ceci est une boîte à lettres. Ceci est une pantoufle et un journal pour Médor. Ceci est une pomme, une poire. Ceci est un verre à bière. Ceci est un lait corporel... La Goutte Evian, qui a été couronnée Best of the Show aux Pentawards 2014, est une pièce de choix.
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Jean-Jacques Evrard
Après 35 ans à la tête de son agence de packaging design, il fonde en 2007 les Pentawards, une compétition internationale consacrée uniquement au packaging design. Reconnue aujourd’hui dans le monde comme la référence.
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