Le fait qu’un individu heureux dépense plus est l’une des vérités les plus sous-estimées de la grande distribution. Les études montrent une corrélation claire entre la satisfaction des shoppers et le montant de leurs dépenses. À une époque où marques et détaillants se heurtent à un même problème de croissance, la portée de cet insight est capitale. Pourtant, peu d’entreprises s’attachent à rendre les shoppers heureux – bref, peu d’entre elles savent « comment » augmenter leurs dépenses.
Lorsqu’elles sont confrontées à un problème de croissance, trop d’entreprises prennent la question dans le mauvais sens. En se demandant « comment puis-je renforcer les ventes de ma marque ? » plutôt que « comment faire pour que les shoppers dépensent plus (chez moi) ? », elles détournent leur attention du shopper. Partant, voici ce que l’on observe : si ce qu’il veut acheter est différent de ce que l’entreprise veut lui vendre, tous les moyens seront mis en œuvre pour tenter de le convaincre de faire ce qu’il ne veut pas, plutôt que de chercher à le rendre heureux. Un détour inutile, l’action directe sur « l’état » du shopper, en se recentrant sur lui, révèle son efficacité, car
techniquement, la courbe de ses dépenses suit celle de sa satisfaction. Alors, quelle stratégie faut-il adopter pour inciter les shoppers à dépenser plus ?
LES SECRETS DU BONHEUR
En premier lieu, pour comprendre comment rendre les consommateurs heureux, il est nécessaire de se pencher sur les situations où l’exact contraire se produit. Faire ses courses n’est pas un plaisir. Les shoppers passent leur temps à éliminer grand nombre de produits afin de se concentrer sur ceux qui les intéressent vraiment. Cette recherche est donc surtout une expérience négative. Le shopper ne ressent d’émotion positive que lorsqu’il ou elle repère enfin le produit convoité. Cela nous amène à notre principe de base : pour rendre un shopper heureux, faire en sorte qu’il puisse trouver plus facilement ce qu’il cherche. Observons pas à pas le shopper à la supérette pour, en trois temps, prouver que, mathématiquement, un homme heureux en « vaut » deux !
Quelles sont ses raisons ?
Un même client va se comporter très différemment selon sa shopping mission. Les grosses courses hebdomadaires, par exemple, constituent une mission non comparable à celle qui consiste à courir chercher l’ingrédient manquant à la dernière minute. Et au cours d’une même visite, le shopper choisira des produits très différents en fonction de la façon dont il prévoit de les utiliser (selon qu’il s’agisse d’une grande occasion ou du repas quotidien familial).
Une segmentation des shoppers ne permet pas de voir que le comportement et les motivations de chaque shopper varient considérablement en fonction de ces critères. Il est essentiel d’admettre que les missions des shoppers et les destinations des achats envisagés sont les principaux moteurs de leurs comportements. La mission déterminera le canal que le shopper empruntera. La destination d’achat déterminera le choix de produits qu’il fera. Développer des opérations d’activation liant les missions du shopper à ses différentes destinations d’achat est clé pour créer des opportunités de croissance.
Quel est son comportement ?
L’attitude d’un shopper face au linéaire varie selon qu’il a déjà décidé ce qu’il veut acheter ou non. Le but de ceux que nous nommons « Décidés » est de trouver un produit donné. Ceux appelés « Ouverts » ont, eux, à faire leur choix en rayon. Le distinguo entre Décidés et Ouverts est la clé de la compréhension de leurs besoins.
Pour la majorité des shoppers, le processus d’achat n’a pas grand-chose à voir avec la prise de décision. Il s’apparente plutôt à la recherche de ce qu’ils ont décidé d’acheter. Les relevés de caisse montrent que 69 % des clients en GMS rachètent au même rayon la même marque que celle achetée la fois précédente. Ce n’est pas un hasard. Faire ses courses est un exercice routinier. De nombreuses décisions sont déjà prises bien avant qu’ils ne s’introduisent dans le rayon.
Les shoppers passent le gros de leur temps de courses à chercher les produits qu’ils veulent acheter. Et lorsqu’ils sont occupés à chercher ces produits, ils ne sont pas influençables. Ils sont comme aveugles à tout ce qui n’est pas utile à l’accomplissement de leur tâche. Lorsque les acheteurs sont en mode « recherche », ils ne voient pas ce qu’ils ne cherchent pas.
Beaucoup de responsables du marketing shopper s’ingénient à interrompre ce processus de recherche afin que le client se reconnecte au rayon tout entier. Le problème, ici, est que le client s’est donné une tâche précise à accomplir et que toute perturbation dans la réalisation de celle-ci risque de le retarder… et de créer chez lui de la frustration. Et rendre un shopper malheureux a des conséquences néfastes : plus un client met de temps à chercher un produit, plus la probabilité est grande qu’il quitte le rayon sans acheter. En moyenne, 30 % des acheteurs visitant un linéaire repartent les mains vides ; 20 % des articles que les shoppers ont prévu d’acheter ne finiront pas dans leur panier.
La meilleure façon d’ouvrir l’esprit à un Décidé n’est pas tant de l’interrompre ou de prolonger sa recherche, il faut au contraire l’aider à la mener à bien, travailler avec sa liste de courses plutôt que d’essayer de la modifier. Après, seulement, il aura le temps et l’envie d’envisager des achats supplémentaires. Pour cette raison, il est essentiel que l’organisation du rayon reflète bien la logique de circulation des Décidés. D’autre part, il faut aussi garder en tête que les plus grosses opportunités reposent sur les Ouverts. Ceux-ci prennent leurs décisions différemment : ils passent plus de temps devant les linéaires, sont plus enclins à lire les informations et ont des besoins différents de ceux des Décidés. Les call-to-action sur les emballages et la PLV doivent donc être conçus pour répondre aux besoins des Ouverts.
Pourquoi l’aider à réaliser son objectif ?
Rendre ses courses plus rapides et faciles est la meilleure chose à faire pour rendre un shopper heureux et multiplier ses dépenses. Comme indiqué précédemment, un shopper passe l’essentiel de son temps en magasin à chercher les produits qu’il veut acheter. Tout ce qui sera fait pour réduire ce temps et augmenter la vitesse avec laquelle il dépense augmentera les ventes.
L’efficacité de la distribution se mesure souvent en termes de « ventes au mètre carré ». Mais si nous pensons un peu moins à l’immobilier et un peu plus aux shoppers eux-mêmes, il semble plus pertinent de raisonner en termes de temps-par-shopper (le nombre de shoppers multiplié par le temps passé dans le magasin). De nombreuses stratégies sont fondées sur l’idée fausse que plus un client reste en magasin, plus il va dépenser. Pourtant, les études montrent exactement le contraire :
• il y a une forte corrélation entre vitesse des dépenses et taille du panier. Les shoppers à gros panier dépensent jusqu’à 10 fois plus vite que les acheteurs à petit panier. Plus un shopper dépense vite, plus il dépense ;
• 10 % du temps du shopper sont consacrés à la sélection active. Les 90 % restants sont passés à parcourir le magasin. Augmenter le temps passé en magasin signifie souvent augmenter le temps passé en frustrante recherche.
« BILAN DES COURSES »
En remplaçant l’objectif de rendre les marques heureuses par celui de rendre les shoppers heureux, le défi de la croissance devient tout à coup beaucoup plus facile à relever. La raison en est simple : les shoppers heureux dépensent plus.
Cette idée amène une recommandation claire : aidez les shoppers à trouver plus facilement ce qu’ils souhaitent et vous augmenterez vos ventes. Pour ce faire, il vous faut d’abord identifier les raisons pour lesquelles les shoppers font leurs courses, puis analyser les différents comportements en rayon, et enfin faire en sorte que leur quête soit résolue rapidement. C’est là que réside la véritable clé du bonheur des shoppers.
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ÉRIC MONTAZEL
Il est responsable de l’expertise Retail & Shopper au sein de TNS.
Il dirige un groupe d’experts spécialistes des shopper insights. Sa carrière dans les études consommateurs et clients s’étend sur plus de vingt ans.
Il a notamment été directeur Retail de Kantar Worldpanel en France, ainsi que chez Nielsen.
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En remplaçant l’objectif de rendre les marques
heureuses par celui de rendre les shoppers heureux,
le défi de la croissance devient tout à coup beaucoup
plus facile à relever.
Illustrations d’Alice Meteigner