Il faut rendre les mobilités plus douces et écologiques, développer le potentiel de l’intermodalité, améliorer le confort de nos véhicules et réduire les temps de parcours. Mais ces progrès ne bouleverseront pas notre rapport à l’espace ou au transport à moins de réussir enfin la téléportation. De nombreuses initiatives isolées questionnent pourtant déjà notre façon de voyager et d'envisager les déplacements. Le transport y est moins l’outil que l'objet de la mobilité. L'apprentissage et le voyage intérieur prennent le pas sur le cumul des lieux et des destinations.
Ce sont des enseignes comme Nature & Découvertes qui lancent une offre de « 250 sorties à la carte pour offrir ou partager des moments exceptionnels de découverte de la nature et de rencontre avec des passionnés ».
Des rêves de nature à vivre entre famille, amis ou avec les collègues et à composer sur mesure. Ce sont des expériences collectives qui envisagent la mobilité comme une occasion de rencontre.
Ce sont des guides de voyage crowdsourcés qui mobilisent des anonymes et permettent à chacun de voyager comme un local du pays. Ce sont des sites qui proposent des séjours/échanges en compagnie de guides amateurs. Demain, la mobilité sera sa propre cause.
UNE MOBILITÉ QUI RETROUVE DU SENS
Tout a commencé il y a quelques années avec le couchsurfing, cette nouvelle façon d’envisager l’hébergement dans un pays étranger : on s’invite chez un particulier pour quelques nuits en échange de... pas grand-chose : une conversation, une ouverture sur une langue et une culture étrangères, un échange amical. Dans la lignée de cette petite révolution silencieuse dont la force repose sur le web ont émergé Vayable et les Greeters.
Le premier, site à succès, permet à l’utilisateur de se laisser guider sur le chemin du voyage par un particulier passionné, expert dans son domaine. Il y avait les voyageurs qui suivaient leur guide papier traditionnel et savaient où le chemin les mènera, voici désormais ceux qui s'en remettent au hasard et à la générosité de ceux qu'ils croisent sur leur route.
Ceci a des conséquences importantes sur la mobilité car il ne s’agit plus pour l’usager d’aller d’un point à un autre. L’amoureux de la voile embarquera avec un skipper pour les îles, le fan de rando parcourra le Québec accompagné d’un héritier des trappeurs, et l’esthète du street-art déambulera dans les rues de Londres avec un artiste local.
La mobilité, autrefois outil du voyage, en devient la raison. Elle est chaque fois prescrite par un spécialiste et permet de sortir des sentiers battus pour vivre une expérience plutôt que de passer des plages ou des paysages en revue.
Même logique pour les Greeters, mais en version plus locale. Un Greeter est un urbain anonyme qui met sa connaissance d’un quartier ou d’une ville au service de visiteurs fatigués du prêt-à-voyager. Né à New-York, le Global Greeter Network met ainsi en relation des touristes avec les habitants de la ville. Ces derniers servent alors de guide et livrent à ceux qu’ils accompagnent des bonnes adresses inédites. Il y a désormais des Greeters dans presque toutes les villes du monde : Paris, New-York, Buenos Aires, etc.
LE CROWDSOURCING POUR PRESCRIPTEUR
Poussée à l’extrême grâce aux réseaux sociaux, la prescription de la mobilité devient crowdsourcée : on s’appuie sur les recommandations de centaines de spécialistes-amateurs désireux de partager leurs savoirs et leurs connaissances avec des voyageurs.
C’est le cas notamment des guides de voyage Nectar and Pulse. Le principe est simple, chaque futur-touriste se rend sur le site, où il choisit sa destination puis quelques habitants locaux. Le choix s’opère en fonction de leur profession, de leurs hobbies ou simplement de leur sourire sur leur photo. Il n’y a plus qu’à laisser la magie du net opérer après avoir fait chauffer la carte de crédit : ces personnes locales vont bâtir pour l’utilisateur un guide sur mesure, prescrivant déplacements locaux, musées, cafés et quartiers à visiter. Ce principe existe aussi sous forme d’application iPhone.
CrowBeacon fait la même chose pour les villes américaines et propose au voyageur de se laisser guider par les habitants. Connectés à l’appli, ces bénévoles du tourisme répondent en live à toutes les questions pour livrer leurs bons tuyaux. WizardIstanbul a développé le même concept pour la capitale turque. De quoi se déplacer dans un pays sans guide tout en épousant les mœurs et coutumes locales.
DU VOYAGE AU NOMADISME, LE CHEMIN DE LA LIBeRTé
Un futur possible de la mobilité ? Ne plus se déplacer d’un point à un autre pour une réunion, ne plus prendre l’avion pour se rendre en vacances, mais vivre la mobilité pour elle-même. Pour le bonheur de l’itinérance, pour le plaisir d’embarquer, et de prendre la route. Une tendance dont « On the Road » repris au cinéma récemment ou « Into the Wild » témoignent et qui correspond à une nouvelle exigence de liberté, valeur émergente majeure...
Christian Blankaert, Président du Conseil de surveillance de Petit Bateau, interrogé par Soon Soon Soon, le premier baromètre trimestriel des valeurs et des aspirations, en juin dernier confirme : « Nous sommes déjà des nomades mais nous allons l’être encore davantage : on pourra aller en 3 heures à Tokyo.
On va donc passer du stade de voyageur à celui de nomade. Et ça change tout : c’est un rapport au temps complètement différent. »
La réflexion sur la mobilité de demain ne peut donc faire l’économie d’un état des lieux sur la relation à l’espace et au temps. Or, selon l’écrivain Dany Laferrière, « il s’est passé quelque chose de semblable dans les années 60 déjà, quand brusquement, tout ce qui était connu et commercial est devenu désuet. Les gens étaient fatigués, tout simplement, et ils ont pris un autre rythme. Je pense que nous allons revenir à ce moment. Les gens voudront de ce luxe là ». Dans ce contexte, la mobilité deviendrait l’objet d’elle-même.
The Good Gym est une initiative anglaise qui illustre parfaitement cette nouvelle tendance. Ce site internet collaboratif doublé d’une communauté propose aux joggeurs de profiter de leur déplacement sportif pour livrer un journal à une vieille mamie, remettre un colis ou faire quelques courses pour une personne à mobilité réduite. Pour courir utile, 100% générosité.
The Good Gym se contente de mettre en relation les joggeurs avec ceux qui nécessitent un petit coup de pouce et aide les premiers à établir l'itinéraire le plus généreux. Un bel exemple de mobilité utile.
La réduction de la mobilité « point à point » à zéro, est-elle un projet réaliste pour le monde futur ? Si ce n’est un projet, c’est au moins une tendance, largement entretenue par les nouvelles technologies. Et si demain vous n’aviez plus besoin d’aller au travail, un robot le faisant à votre place ?
C’est ce que proposent les robots de téléprésence, comme Jazz. Ce robot à la tête d’E.T. en plastique blanc développé par la société Gostaï permet d’être présent au bureau tout en étant confortablement installé au soleil sur un banc dans un parc public. A travers lui, l’usager peut saluer ses collègues, aligner les blagues autour de la machine à café ou pousser des gueulantes électroniques. Le tout à hauteur de genoux.
Demain, il est probable que la mobilité sera contrainte de se redéfinir à l’aune de l’émergence de nouvelles valeurs. Exigence de liberté, nomadisme et lenteur influencent déjà notre conception de l’espace et des déplacements. Demain, nous n’irons plus d’un point à un autre, nous vivrons le mouvement.