Grâce à l’adoption croissante des smartphones et du web mobile, plus d’un milliard de clients ont un accès à l’information comme jamais auparavant et ce jusqu’au dernier moment avant leur achat. Accès aux avis d’autres consommateurs, comparaison de prix, applications pour scanner un code barre et obtenir une analyse détaillée des ingrédients... la barre est définitivement montée d’un cran. Les consommateurs sont désormais connectés, informés et donc plus exigeants que jamais. Bienvenue dans la tyrannie de l’ultra-transparence.
L’enjeu de la proposition de valeur.
Pourquoi perdre son temps à faire du shopping dans un magasin au milieu de la foule ? Le web s’impose de plus en plus comme une alternative crédible au point de vente. Aux États-Unis, les chaînes Borders et Blockbuster, n’ont pas résisté à la concurrence d’Amazon ou Netflix (VOD). Taobao.com en Chine ou Rakuten au Japon et Ebay dans le monde profitent à plein de la croissance du ecommerce (plus de 50% par an). Et si les clients préfèrent encore les magasins à leurs déclinaisons Internet,l'étude annuelle du cabinet OC&C sur l'attractivité des distributeurs place cette année Amazon à la 1e place, devant L'Occitane et Yves Rocher. L'étude souligne qu'il est « important d'offrir aux clients une expérience multicanal (Internet et magasin) de qualité » car « les clients multicanal sont les plus satisfaits par leur enseigne ». Le retail se doit donc rapidement de repenser sa proposition de valeur.
Repenser la « shopping experience »
Comme tout secteur impacté par le web, c’est le milieu de gamme qui souffre le plus. Il faut donc choisir entre une offre basée sur la praticité / prix (pickup & drive, discounter, ...) ou le premium. Dans ce dernier cas il est vital de concevoir une shopping experience digne de mériter le temps et l’attention des consommateurs. Apple l’a parfaitement compris avec ses Apple Stores pensés avec une minutie sans pareil : du design, à l’expression du staff en passant par l’inclinaison des écrans des ordinateurs présentés... Et cela paie ! La marque génère 17 fois plus de revenus par mètre carré dans ses magasins que dans la moyenne des 160 chaînes les plus importantes des États-Unis.
Le luxe et la mode ne sont pas en reste. La visite des flagship store de Louis Vuitton, Ralph Lauren ou Abercrombie & Fitch montre que le retail tient de plus en plus du show-business.
Le magasin devient un lieu de vie mais aussi d’expérience
Le niveau d’interaction et l’utilisation du multimédia va également changer la donne. Il suffit de se promener sur les Champs Elysées chez Adidas pour tester Mi-Innovation, une plate-forme permettant de scanner en 3D son pied lors d’une course sur un tapis roulant pour commander une paire de chaussures sur mesure. Les façades de magasins se déguisent en espaces de projection (comme le 3D mapping pour Ralph Lauren), les rayons proposent de tester du maquillage en réalité augmentée, Tesco transforme les panneaux d’affichage du métro en rayons virtuels en Corée, et les QR codes fleurissent (même si 95% des campagnes sont encore des échecs, victimes d’une interface encore trop complexe pour le grand public en Occident).
Une évolution pas toujours sans obstacle
Les écrans interactifs hologrammes et autres tablettes envahissent les rayons et cela n’est pas toujours sans contraintes. Quelle marque n’a pas connu des lendemains difficiles pour mettre à jour une flotte d’iPad achetés avec un enthousiasme béat ? Tablettes souvent déchargées, recouvertes de traces de doigts et bien souvent déconnectées... Et oui tous les magasins sont loin d’avoir tous accès au wi-fi (surtout quand vous n’avez qu’un corner dans un point de vente qui n’est pas le vôtre) pour recevoir une mise à jour depuis le Cloud.
Certaines enseignes ont également vite abandonné les claviers tactiles ou les tablettes, bien trop lentes en période de solde, pour saisir les données CRM des clients...
Côté mobile le défi du splinternet n’est pas moindre : faut-il développer autant d’applications que de plates-formes (iPhone, Android, Blackbery,...) ou se limiter au HTML5 ? Cela peut avoir un coût important tout comme les futures évolutions... Enfin le digital ne doit pas faire oublier la valeur d’un bien tangible : l’échantillon de parfum n’est pas encore prêt de disparaître et le succès des cabines photos comme celle du célèbre studio Harcourt montre que nous apprécions encore un beau tirage malgré le succès d’Instagram.
Du client au membre et à l’abonné ?
S’il est une leçon qu’on peut retenir de l’écosystème mobile c’est le succès des applications. En effet les simples sites mobiles limités à une brochure en ligne ont souvent un impact bien décevant. Mais les applications offrant du divertissement ou du service à valeur ajoutée ont bien plus de succès, en particulier en ce qui concerne la fréquence d’utilisation. L’application Nike+ est un modèle du genre. En permettant aux coureurs de mesurer et sauvegarder les performances de leurs différentes courses (itinéraire, vitesse, ...) elle invite l’utilisateur à interagir régulièrement avec la marque. Mais avec Nike Golf 360° sa nouvelle application mobile pour les golfers, Nike va un cran plus loin. Les différentes données saisies et enregistrées pourront être partagées en magasin pour mieux conseiller le client. On pourrait bientôt imaginer un abonnement à ce type de service pour un suivi encore plus personnalisé.
Vers l’intégration du CRM à 360°
De nombreuses chaînes possèdent encore de nombreuses bases de données non connectées.
Le mobile devrait rapidement les forcer à connecter leurs bases CRM online et offline. Le mobile connecté au web est le parfait successeur à la carte de fidélité qu’on avait tendance à égarer au fond d’une poche. Avec la norme NFC (Near Field Communication i.e. échange d’information sans contact), il pourrait ainsi être possible (en proposant au client de garder le contrôle du niveau de confidentialité) pour un vendeur de reconnaître automatiquement un client, et ses derniers achats sans même avoir à lui reposer les mêmes questions. Ceci permet un gain de rapidité mais surtout de personnalisation dans le conseil prodigué. Le mobile devenant de plus en plus une sorte de carte d’identité numérique et une télécommande universelle pour accéder aux contenus et services dont nous avons besoin.
Connecter CRM et e-reputation en temps quasi réel ?
La base de données CRM se devra aussi de communiquer avec les outils de buzzmonitoring et de community management de la marque.
En effet il sera de plus en plus clef de détecter et d’essayer de traiter en priorité un avis négatif online d’un gros client existant. En pouvant instantanément consulter ses derniers achats et ses autres avis publiés précédemment, il sera bien plus facile de lui apporter la solution la plus adaptée et ce en temps quasi réel.
Le poids de Foursquare et des check-in Facebook
Les outils comme Foursquare ou les check-in Facebook permettent à tous les visiteurs d’une point de vente de publier un avis ou une critique qui resteront consultables via mobile par tous les visiteurs suivants utilisant l’application... un peu comme un énorme tag virtuel invisible pour le gérant de l’enseigne si celle-ci ne contrôle pas ce qui se dit via ce type d’application. Les rachats de Radian6, et Buddymedia par Salesforce ou Involver et Vitrue par Oracle illustrent bien le fait que la mesure et le traitement social CRM seront des enjeux vitaux dans les années à venir. Aux États-Unis il n’est pas rare que des clients se voient upgradés à l’annonce d’un score Klout signalant une influence supérieure à la moyenne.
Au Maroc le Royal Mansour de Marrakech interagit systématiquement avec chaque tweet ou check-in Foursquare de ses hôtes. On pourra imaginer aussi que certaines marques proposent une réduction à ses clients générant les meilleures recommandations des discounts ou avantages (un des principes de Foursquare). McDonald’s au Japon envoie ainsi certains coupons promotionnels via mobile à certaines heures en fonction de la cible.
Le challenge de la BIG Data
Cette explosion exponentielle du nombre et du volume de données disponibles pose le problème de leur exploitation. Des investissements considérables en datamining et R&D vont être nécessaires. Tesco, le numéro 2 du retail aux États-Unis a ainsi racheté Dunnhumby, un des leaders du traitement des données. Les entreprises à la pointe de ce domaine auront un signal avantage leur permettant d’adapter et de faire évoluer leur offre, leur stock,... basés sur les conclusions d’algorithmes poussés.
La révolution complexe du paiement et la bataille de la recherche
Un autre terrain de bataille va être celui du paiement. D’après Nielsen, 9% des acheteurs en ligne ont payé un produit ou un service sur le lieu de vente. Les acteurs bancaires n’auront guère profité de leur oligopole pour innover. Mais d’autres pure players comme Paypal et désormais le populaire Square (qui transforme les iPhone et iPad en terminaux de paiement) aux États-Unis sont en pleine explosion. Google Wallet, Amazon et Apple avec iTunes ou Facebook et ses Facebook Credits sont déjà tous en embuscade, espérant bien remporter une partie du gâteau.
Mais avant même de penser au paiement, il faut déjà être trouvable sur la toile ou le mobile. Amazon commence ainsi à combattre Google en remplaçant le moteur Google sur tous ses terminaux Kindle par des résultats Amazon... Google vient, lui, de rendre le référencement de produits payant pour les retailers dans Google Shopping. La guerre pour l’attention et le portefeuille des clients se promet d’être sanglante.
Le nombre d’innovations disruptives va exploser
Si le paysage semble déjà complexe, ce n’est rien encore par rapport aux prochaines années. La TV connectée va permettre de commander directement la robe de telle ou telle actrice. Le celebrity endorsement 2.0 pourra instantanément transformer un produit en bestseller après la publication d’une photo Instagram ou le Tweet d’une célébrité à ses dizaines de millions de followers à travers la planète. Le 3D printing permettra de téléporter certains produits directement chez les clients du monde entier.
Et certaines plates-formes comme Kickstarter (déjà plus de 300 millions de dollars levés !) permettront aux inventeurs de directement prévendre leurs produits aux consommateurs finaux. Le nombre de mobiles connectés sera bien plus important que celui des PC avec un potentiel énorme dans les pays en développement et en Asie.
Bref comme dans toute révolution, il y aura des gagnants et des perdants mais l’important sera d’être le plus agile et pas forcément le plus gros... et l'un des ingrédients du succès du retailer de demain sera certainement dans l’intégration pertinente du mobile dans sa stratégie.