C’est dans son studio que tout se passe pour Joss. C’est là, qu’entre quatre murs, il fait ses textes, les dit, les monte, les met en scène et les envoie sur ses chaînes YouTube, Open Space et Jossspace. Il évoque sa ligne éditoriale : « C’est vraiment mon contenu qualitatif et mon style qui me permettent d’accéder à une audience aussi large. » Et c’est vrai qu’à l’écouter défendre ou contester tel ou tel joueur, un arbitrage, on sent qu’on a affaire à un expert. Et c’est ainsi que ses fans, et de foot et de rap, aiment à retrouver ses avis tranchés, son enthousiasme, et sa posture de journaliste ultra critique.
Joss enfant passe sa vie entre l’école, son club de foot et l’ordinateur. Pas le sien, celui de son père, gamer à ses heures perdues, voire des heures durant aux échecs en ligne. C’est donc dans une grande complicité et compréhension que se construit le futur Joss. Seule condition à cette addiction : obtenir un diplôme qui lui permettra d’avoir le choix dans la vie. Alors, cet autodidacte presque trentenaire aujourd’hui négocie finement avec ses parents : jeux à volonté et études de marketing digital, pour avoir un « vrai métier » entre les mains. Sa seule expérience « classique », il la fait chez IBM au cours de sa dernière année de master. « Une expérience intéressante… » On le sent très convaincu.
© Christophe Panepinto
À force de tests
Comme dans l’univers digital tout est possible, du moins quand on a 20 ans, son vrai employeur pendant des années c’est la FIFA. Il teste les jeux pour la Fédération, ce qui lui permet de payer intégralement ses études, sans demander un centime au paternel. Du coup, Joss explique assez bien ce profil qui est le sien : « D’un côté je suis diplômé, de l’autre je n’ai pas fait d’école de montage, de cinéma, de télé. J’ai tout appris grâce à des tutoriels sur Internet. » Plus étonnant encore, l’anglais qu’il parle très moyennement quand il est gosse, il l’apprend couramment en suivant ces tutoriels tout droit venus des US, et qu’il est donc dans l’obligation de décrypter s’il veut avancer dans son apprentissage. Alors, tout comme ses congénères, il n’a pas de plan de carrière : « Ce métier, je l’ai créé comme tous les jeunes de mon époque, en solitaire, sur un ordinateur. Jamais je n’aurais pensé gagner de l’argent avec ce passe-temps. Au final j’en vis depuis six ans. » « Ce n’est pas le Graal, poursuit-il, mais cela me permet de vivre bien, sans me priver, et de faire ce que j’aime. »
La suite ? Il n’en a aucune idée. Il voit les nouvelles générations arriver, bien plus professionnelles à son sens. Il sent bien qu’il faut être un bébé requin pour percer dans ce monde qui va vite, mais la passion est plus forte. Lorsqu’il crée l’Open Space sur YouTube, il a 25 ans. Et pas assez de followers pour attirer des pointures, il y va au culot. Il veut absolument inviter Hakim Jemili, footballeur rêvé devenu entre-temps humoriste. Un post sur Snapshat à l’intention de ses fans plus tard, l’affaire est dans le sac. Hakim le contacte, le rejoint dans un loft dans les Yvelines pour l’interview. Puis c’est au tour des footballeurs de répondre présent. Lorsqu’il interviewe le défenseur du PSG Thomas Meunier, Joss est même repris par les médias dits classiques, L’Équipe puis Le Parisien, parce que le gamin a réussi à inviter des joueurs qui, « c’est le deal de mon émission, parlent vrai, et dans la bienveillance ». Mais les deux quotidiens n’ont pas pu s’empêcher d’interpréter ses propos, et surtout n’ont pas cité leur source. « Il n’y a pas de respect pour l’information, surtout lorsqu’elle vient d’Internet », regrette Edy Rebus, son nom sur les papiers.
« Ce métier,
je l’ai créé comme
tous les jeunes de
mon époque. »
À force de buzz
N’empêche, à force de buzzer et de rassembler chaque fois plus de followers, Joss est contacté par Bruno Salomon, l’animateur de Tribune PSG sur France Bleu, qui lui propose d’intégrer l’émission. Et c’est ainsi que tous les lundis sur Facebooklive à 17 h 30, il commente les actualités footballistiques, et introduit sa rubrique pop culture « foot et rap ». Comme pour tous ceux qui ont aujourd’hui 30 ans et qui ont créé leur propre métier sur YouTube (ou les réseaux sociaux), à la mano, la question de l’avenir se pose sans ambiguïté : « J’essaye de rester actuel. Je n’essaye pas de rester jeune à tout prix, mais il faut que je passe un cap. » Comme dans la vraie vie. Car avoir 30 ans et être youtuber n’est pas incompatible, mais il faut forcément se projeter, se requestionner sur son futur, rester tendance sans devenir ringard. Or, Joss a la tête dans le guidon, et des followers qui attendent impatiemment ses chroniques. Alors, au boulot.
Cristina Alonso
Rédactrice en chef