De la même façon que de nombreuses marques de luxe adoptent le streetwear, « dans l’ère du temps » selon Virgil Abloh, le directeur de la création de Louis Vuitton, la mode de l’athleisure (contraction des termes athlete et leisure, « loisir »), un mot très en vogue outre-Atlantique, a modifié l’offre et le visage de marques connues pour leur héritage. Certes, la tendance ne date pas d’hier. Les marques de vêtements sportifs ont longtemps répondu à un besoin lié à la pratique. Le vêtement de sport était technique, et c’est tout ce qu’on lui demandait.
Les choses ont évolué peu à peu. Les marques de prêt-à-porter jusqu’à la plus haute couture ont pris le virage. L’athleisure s’inscrit plus largement dans le mouvement de la « healthy attitude ». Les marques de luxe intègrent progressivement des éléments de bien-être à la fois dans leurs offres et dans leur marketing pour attirer des clients aujourd’hui très soucieux de santé. Le secteur accompagne dorénavant volontiers des styles de vie plus trépidants demandant une mode fonctionnelle, confortable, mais néanmoins… à la mode.
En 2014, Beyoncé dévoilait les premières images de sa marque de vêtements d’inspiration sportive. © Photo presse Ivy Park
Un destin partagé
Le sport et le luxe se sont rencontrés pour la première fois grâce à Jill Sanders en 1998, qui a été la première créatrice de mode à lancer pour Puma une collection de vêtements alliant mode et sport. Depuis, les marques de luxe n’ont cessé de piocher des idées dans la culture du sportswear. Selon le cabinet Bain, l’athleisure a contribué à faire progresser à l’échelle mondiale les biens personnels de luxe de 5 % en 2017, pour un montant estimé à 309 Md$.
La collaboration luxe et sport a commencé généralement par l’emblématique basket : Cortez, Air Max, Air Jordan, Vapormax. Aujourd’hui, on s’est emparé des sneakers, avec une gamme de prix démarrant à 350 € et qui peut atteindre 8 500 €, parfois plus pour des éditions limitées. Le créneau représente ainsi un segment à part entière et est devenu un moteur de la croissance de cette industrie. Selon Bain, ses ventes atteignaient en 2017 déjà 3,5 Md€.
Le vêtement
de sport était
technique, et c’est
tout ce qu’on lui
demandait.
Le partenariat Adidas by Stella McCartney illustre ce destin partagé entre le luxe et le sport et demeure l’un des plus innovants et complets. Depuis 2005, la marque produit une garde-robe féminine haute performance qui comprend de nombreuses disciplines : running, yoga, tennis, natation… Le style colle aux gènes de la maison et respecte l’engagement de sa fondatrice, à savoir le développement durable. La collection fait d’ailleurs partie du programme « Better Place » d’Adidas. Dans un récent entretien, la créatrice précisait être « très fière du fait que plus de 70 % de la collection S/S 2019 soient durables. »*
Aujourd’hui, de plus en plus de maisons de luxe donnent naissance à des collections directement inspirées des athlètes eux-mêmes : Vera Wang, Urban Outfitters, Cynthia Rowley, Stella McCartney et bien d’autres. Certaines allant jusqu’à les inviter à défiler. Au-delà du luxe en tant que tel, les célébrités dessinent aussi leur marque : Beyoncé, sa propre ligne de sportswear (Ivy Park), et l’actrice Kate Hudson, en conjuguant sa passion du fitness et de la mode et cofondant Fabletics en 2013, une gamme sportswear de luxe innovante.
© Fendi
Jusqu’à l’autodérision ?
Les maisons se consacrent au développement de ces lignes dédiées, constituant parfois une marque ou une sous-marque distincte. Ainsi aujourd’hui existe-t-il Versace Gym, Moncler et sa collection Grenoble, Fendi et « F is for… Fendi Mania », une capsule apparue à l’automne 2018 mariant Fendi et Fila, imaginée par l’artiste instagrammeur Hey Reilly, détourneur de logos à ses heures. La marque du patrimoine italien offre une touche de luxe aux vêtements de sport. Elle revisite tout : des leggings aux tank tops, t-shirts, blousons et même coques de téléphone !
L’athleisure
a contribué à
faire progresser
à l’échelle
mondiale les biens
personnels de
luxe de 5% en 2017.
Dix commandements marketing expliquent les attraits d’un
tel rapprochement
au sport :
1. Il adresse une tendance de fond : fonctionnel et stylé.
2. Il profite d’un engouement inédit vis-à-vis de la mode urbaine dite streetwear alliant le sport, la mode et la rue.
3. Il touche de nouvelles cibles et constitue parfois un point d’entrée dans la marque.
4. Il rajeunit et rend la marque attractive, créative.
5. Le sport apporte une nouvelle énergie à la vie des marques de luxe en leur donnant également un sens. Celui de répondre à une vie plus active et plus saine.
6. Il complète le vestiaire des marques, augmentant par là même leurs revenus, et leurs marges !
7. Il peut capitaliser sur un héritage de marque. Avec sa collection Grenoble, Moncler est dans la droite lignée de ses origines et de son héritage.
8. Le sport donne un champ d’expression créatif très riche à des marques qui elles-mêmes n’ont jamais été autant créatives. En 2014, déjà, Karl Lagerfeld faisait parader Cara Delevingne pour le défilé haute couture S/S en précisant que « les sneakers aujourd’hui ne sont plus essentiellement liées au sport, elles évoquent la vie de tous les jours, la rue ».
9. Il permet de se réinventer. Balenciaga n’a jamais été aussi audacieuse et en croissance depuis qu’elle a adopté dans les gènes mêmes de son histoire cette composante de sportswear.
10. Il permet de créer une communauté de gens qui partagent la même passion pour un style de vie actif, accroissant ainsi leur engagement et leur loyauté.
Cette étroite relation qui s’est nouée entre le sport, la mode et le luxe s’inscrit dans un mouvement plus large qui lie le luxe au streetwear. En 2017, la collaboration entre Louis Vuitton et l’iconique marque de skate Supreme, avec l’ouverture d’un pop-up store commun à Paris, marque un point culminant de partenariats crédibles et rencontrant leur public entre le luxe et le monde du « sport de rue ». Une mixité qui donne un nouveau souffle créatif au luxe. Selon certaines sources, ce succès a été tel qu’il a représenté 23 % du revenu total de LVMH pour le premier semestre de 2017, atteignant 23 Md$ de revenus*. Cela n’a donc rien de confidentiel.
*Livre sur le luxe de l’auteur, chez Dunod,
à paraître fin 2019.
YVES HANANIA
est fondateur de Lighthouse, cabinet de conseil en stratégie de marque spécialisé dans la mode et le luxe. Il est titulaire d’un MBA de la Kellogg Business School. Il est membre des conseils d’administration de la société Krewe (marque contemporaine de lunettes) basée à la Nouvelle Orléans, et de Maison Floret Paris (création de robes de mariée sur mesure). Il est membre de la communauté d’entrepreneurs et d’influenceurs Summit aux États-Unis. Il est co-auteur d’un livre sur le futur du luxe à paraître à l’automne 2019 chez Dunod.