© Florian Olivo
Une partie de la génération des « seventies », la première, a baigné dans le monde du jeu vidéo grâce à l’avènement des consoles de salon comme l’Atari 2600, la Nintendo NES ou la SEGA Master System. Celle des millennials voit la Playstation et la Xbox se livrer (encore et toujours aujourd’hui) à une lutte sans merci. Pour la GenZ, friande de Fortnite ou Apex Legends, l’ubiquité est le maître mot : il faut pouvoir jouer en toute interopérabilité en mode multisupport. Au-delà des consoles de salon, le jeu vidéo a pris vie sur les ordinateurs et continue d’y croître.
Avec 7,5 %
des joueurs de
jeux vidéo
au monde fans
d’e-sports en 2019,
les opportunités
de croissance sont
gigantesques.
Une histoire
du jeu
La première compétition de jeu vidéo eut lieu en 1972 sur le campus de Stanford, au cœur de la Silicon Valley en Californie : 24 étudiants s’affrontaient alors sur Spacewar. Stewart Brand, un étudiant en biologie, remporta le premier prix. À l’époque, no money, mais un abonnement d’un an à Rolling Stone magazine, le seul et unique sponsor de l’événement.
L’e-sport venait de voir le jour en ce mois d’octobre 1972. Les années 1980-90 validèrent tout à fait sa démocratisation sur console et ordinateur. Le petit milieu d’initiés prenait de l’ampleur : on assiste à des rassemblements de plusieurs milliers de personnes, comme le fut le tournoi Space Invaders en 1981 aux États-Unis avec ses 10 000 participants. Puis, fin des années 1990-début 2000, l’Internet haut débit a permis aux joueurs du monde entier de jouer les uns avec/contre les autres à toute heure du jour et de la nuit, que ce soit sur Age of Empires avec ses prêtres légendaires ou Starcraft et ses guerriers Protoss. C’est à cette époque que l’on commence à s’organiser en créant des ligues professionnelles comme l’Electronic Sports League (ESL), aujourd’hui l’une des marques les plus puissantes et influentes dans le monde du sport, sur les talons de Nike ou Adidas et devant le championnat de Formule 1 ou le club de foot de Chelsea.
Depuis 2007, le mobile est devenu une plateforme de jeu également, bien plus complexe que le fameux Snake des Nokias 3310. À peine cinquante ans après la première compét’, le jeu vidéo représente un marché global de 70 Md$, la moitié provenant de nos smartphones (4,9 Md$ pour la France). Quant au sport électronique, il a réuni 100 millions de spectateurs en streaming pour les finales mondiales 2018 du jeu League of Legends. Soit plus qu’un match de finale de NBA (basketball américain) ou des finales de la MLB (baseball américain). D’ailleurs, Paris accueillera les finales mondiales de League of Legends en octobre 2019, à l’AccorHotels Arena. L’endroit idéal pour bien prendre conscience de cette mouvance « gaming » bien au-delà du buzz actuel.
De Michael
Jordan à Zlatan
Ibrahimovic,
les plus
grands sportifs
investissent dans
des équipes
d’e-sports.
Une histoire
de communautés
Au niveau mondial, il y a plus de 2,2 milliards de joueurs de jeux vidéo. La base des fans d’e-sports est de 167 millions, soit 7,5 % de la population de joueurs selon Goldman Sachs. Pour la banque américaine, d’ici à 2022, il y aura autant de fans d’e-sports que de football américain dans le monde, soit 276 millions. Avec 7,5 % des joueurs de jeux vidéo au monde fans d’e-sports, les opportunités de croissance sont gigantesques. Goldman Sachs prévoit un bond du nombre de fans de 14 % par an sur les cinq prochaines années. Selon Paypal, la France serait la 3e nation européenne d’e-sport derrière la Suède et la Russie en revenus générés. L’Europe réfléchit d’ailleurs actuellement à créer sa propre fédération pour organiser et maîtriser au mieux l’e-sport et ses millions… d’euros.
Comme lors des jeux Olympiques, il n’y a pas qu’un seul e-sport, mais bien des e-sports avec une multitude de jeux, dont les plus connus sont League of Legends, Dota 2, Counter Strike GO, FIFA, Overwatch, Hearthstone ou encore le très médiatique Fortnite. Chaque jeu a un univers et une communauté bien définis, tout comme les sports traditionnels. En France, les jeux plébiscités pour l’e-sport sont FIFA 19, League of Legends et Call of Duty. On compte 5 millions de fans d’e-sports et 930 000 pratiquants amateurs en compétition de FIFA 19 à Fortnite. Les consommateurs d’e-sports sont pour les trois quarts des hommes, mais pas forcément des adolescents prépubères comme on pourrait l’imaginer : ils sont adultes, de 34 à 49 ans, pour plus d’un tiers !
Les liens entre sports traditionnels et sports électroniques se sont tissés très naturellement. De Michael Jordan à Zlatan Ibrahimović, les plus grands sportifs investissent dans des équipes d’e-sports. Les équipes de football de la Ligue 1 française à la Premier League anglaise ont également leur équivalent en e-sport. La Orange e-Ligue 1 est d’ailleurs diffusée sur les chaînes BeIN Sports. Après avoir gagné la Coupe du monde de football en Russie en 2018, la France a également remporté la Coupe du monde d’e-football en 2019 sur le jeu FIFA 19.
De Mercedes
à Mastercard
en passant par
Coca-Cola,
les sponsors
des compétitions
d’e-sports se
démocratisent et
ne sont plus
forcément liés
à l’univers du
gaming.
Une histoire d’argent
Cela se passe au niveau de la ligue américaine de basket, la NBA, qui organise une compétition e-sport en 2018 avec le jeu NBA 2K afin de collecter et analyser les comportements et préférences de la GenZ. L’objectif à terme serait de faire basculer les fans de NBA 2K vers le vrai basketball et qu’ils deviennent des fans de la ligue américaine. Une ligue qui souhaite rajeunir la moyenne d’âge de ses spectateurs (qui tourne autour de 40 ans) et ne pas se retrouver comme le baseball avec un public de 60 ans en moyenne. C’est donc avec une véritable logique économique sur le long terme que la NBA a lancé une ligue électronique. La centaine de joueurs professionnels sélectionnés a été répartie sur 17 franchises. Chaque joueur a reçu un salaire fixe de 35 000 dollars pour six mois d’activité, tout en étant logé par les franchises NBA. Et tous ont été suivis par les préparateurs physiques (kiné, médecin et coach mental) des mêmes franchises. C’est une véritable structure professionnelle, à l’instar du sport traditionnel, qui accompagne aujourd’hui les plus grandes équipes d’e-sports.
Aujourd’hui, la monétisation de l’audience e-sport se fait principalement sur les supports en streaming tels que Twitch ou YouTube. Un environnement qui a son lot de stars (comme Ninja, très connu pour ses streams sur Fortnite) et que les marques ont également intérêt à investir. De Mercedes à Mastercard en passant par Coca-Cola, les sponsors des compétitions d’e-sports se démocratisent et ne sont plus forcément liés à l’univers du gaming. Carrefour, en France, en est un exemple. Paris, en accueillant la finale des mondiaux du jeu League of Legends, référence historique et mondiale de l’e-sport, espère démontrer aux dirigeants d’entreprise l’engouement autour de cette activité et pourquoi les marques doivent y prêter sérieusement attention, et rapidement… avant que le coût d’entrée ne s’envole.
Le vainqueur du championnat du monde de Fortnite empochera 3 M$, soit plus que le vainqueur de Roland-Garros (2,2 M€). Fortnite va d’ailleurs distribuer 100 M$ en 2019 à travers différentes compétitions en ligne. En France, c’est le joueur de Dota 2, Sébastien Debs (alias 7ckngMad) de la team OG qui caracole en tête avec des primes remportées en compétition évaluées à 2,325 M$.
Et si l’appli
Discord,
avec la montée
de la GenZ,
devenait une
menace
pour Amazon ?
Une histoire d’entertainment
En termes d’usage et d’aspiration, la GenZ représente la génération à suivre pour les équipes en charge de l’innovation marketing. Les natifs de l’an 2000 évoluent au cœur d’écosystèmes sociaux et d’espaces virtuels bien loin des déjà trop « traditionnels » Facebook ou Twitter. Pour cette génération, lien social rime avec Fortnite, Discord, TikTok. L’expérience ne sera plus O2O (Off line to On line et On line to Off line), mais augmentée et virtuelle. Qu’on se le dise.
Les millennials ne représentent plus le futur, mais le présent. Les GenZ sont très investis dans l’univers des jeux vidéo et de l’e-sport puisque 20 % d’entre eux consultent régulièrement Twitch. Twitch ? C’est la plateforme de streaming de jeux et de compétitions d’e-sports avec YouTube ou Facebook. Twitch compte 15 millions de visiteurs uniques par jour et 140 millions par mois… et a été racheté par Amazon en 2014 pour 970 M$. Mais lorsqu’il s’agit de jouer ou d’organiser une partie à distance avec ses amis, c’est l’application/réseau social Discord qui fait foi – concept hybride entre Slack et Skype qui permet donc de chatter, avec ou sans vidéo. Discord compte plus de 150 millions d’utilisateurs mensuels (dont 19 millions sont actifs quotidiennement) et est évalué à 1,65 Md$. Les joueurs peuvent y rejoindre des groupes publics ou privés, pour échanger sur leur joueur ou jeu préféré, mais aussi pour organiser des tournois de quartier ou entre amis.
Au sein de Discord, les sujets dépassent le cadre du gaming. On y trouve donc des serveurs dédiés aux mangas, aux cryptomonnaies voire aux rencontres. Il n’est pas rare non plus que chez certains étudiants Discord remplace Slack pour échanger sur des devoirs en commun. Chez Ubisoft, éditeur de jeux vidéo, Discord est utilisé dans ce sens et devient bureau de travail collaboratif sur des projets internes. À croire que Slack soit réservé aux plus de 30 ans, et Discord aux moins de 30 ans. Discord, c’est enfin un magasin de vente de jeux vidéo en ligne avec son tableau de petites annonces. En résumé, il n’y a qu’un pas pour que Discord devienne la market place des gamers en étendant son offre à d’autres produits tels que livres, musique, jeux de société… Et si, poussons la souris, Discord, avec la montée de la GenZ, devenait une menace pour Amazon ?
Jeux vidéo et e-sports sont très liés, mais pour autant le nombre de fans reste faible. Ce qui laisse une grande marge de croissance et donc d’opportunités aux marques. L’enjeu pour celles-ci aujourd’hui est d’entrer sur le terrain rapidement, que ce soit auprès de streamers, d’équipes professionnelles, d’événements ou même avec des placements de produits… au risque de n’avoir plus qu’à profiter du spectacle. À vos manettes pour que l’e-sport devienne le premier divertissement mondial d’ici à 2030 !
NICOLAS DIACONO
est diplômé de l’ESC La Rochelle. Il débute sa carrière dans une start-up biotechnologique puis rejoint un cabinet de conseil en innovation dans le domaine des biotechnologies et de la santé avant d’intégrer l’Échangeur by BNP Paribas Personal Finance. Depuis 2011, il est analyste senior sur les tendances technologiques et leurs impacts dans l’écosystème digital du monde du retail et de l’automobile.