Reprenons la définition première de l’influence (lire page 24) : référence originelle à l’irrationnel, au pouvoir de comprendre les signes divins, à saisir leur impact sur nos esprits mortels. Irrationalité constitutive, substance hautement intuitive, l’influence relève originellement du champ émotif.
Reconnaissons aussi que le genre a un effet sur la personne, sur la personnalité, comme sur le processus cognitif des individus. Il est admis et biologiquement reconnu1 que les mécanismes cognitifs masculins et féminins diffèrent : là où la logique de rationalité domine chez le mâle, le processus cognitif féminin est plus axé sur la dimension instinctive et émotionnelle, à l’évidence corrélée à l’item de maternité. Si l’influence porte en son sein une dimension irrationnelle et subjective, le naturel féminin est lui aussi ex ante porté sur les logiques émotives et intuitives. L’influence et la féminité sont consubstantielles par nature, et le sont aussi du fait de la notion de protection ancrée dans les gènes, une notion de « care » au féminin très reptilien.
BRANDIR LES ARMES
Pour autant, ce postulat naturel n’a pas permis aux femmes de voir consacrer leurs rôles dans la société avant le siècle dernier, où il leur a fallu brandir les armes et parfaire les justes arguments pour légitimer leur existence citoyenne.
C’est dans la revendication violente, dans un prosélytisme féministe et frontal, que l’influence réelle des femmes a pu grandir. Mais cette influence féminine demeurait toujours assez relative, exprimée bien souvent « contre » le joug masculin… « contre les hommes, tout contre » pour paraphraser Sacha Guitry.
Continuons l’itinéraire étymologique de l’influence déclinée au féminin. Notons que la modernité lui confère au plan sémantique la notion de pouvoir. Dépassée l’unique considération divine, l’influence contemporaine est devenue « autorité, crédit, ascendant qu’un être a sur d’autres ». Et c’est aussi le glissement qui s’est opéré en matière d’influence des femmes, où nous sommes progressivement passés « de l’influence des femmes » (par rapport aux hommes, fondée sur la capacité émotive et irrationnelle) à l’apparition de « femmes d’influence » (êtres disposant d’une autorité, d’un crédit croissant dans la société, et parfois même d’un ascendant !).
ÉDUCATION, FÉMINISATION
C’est parce qu’elles ont su faire évoluer leurs objectifs et leurs pratiques, en menant une action moins virulente que par le passé – plus silencieuse et efficace car menée depuis l’intérieur de la matrice sociétale – que les femmes ont tfait changer le paradigme de leur influence. Éducation des femmes, féminisation des métiers, des fonctions. État de fait sociétal durable versus volonté revendicative spectaculaire.
Si la féminité naturelle de l’influence est un postulat, il fallait dépasser la guerre des genres et prendre des positions d’influence sur l’échiquier social. Voilà ce que les femmes ont fait, font depuis des dizaines d’années, et il serait titanesque de vouloir écrire la liste exhaustive de toutes celles qui l’illustrent de nos jours, de la patronne du FMI à celle de l’Unesco, en passant par tous les gouvernements et entreprises du monde.
GAGNER EN ABSOLU
Enfin, en cette époque follement médiatique, bavarde et expressive, où les réseaux sociaux et autres forums d’expression démontrent une tendance marquée au dévoilement de soi, le féminin sait peut-être mieux s’exprimer quand la pudeur ou l’orgueil masculins sont plus mal à l’aise. Il est dans la nature de la femme de savoir montrer, ou choisir de cacher, jouer de ce qu’elle montre, ou qu’elle ne montre pas, ce qui résonne fortement avec les modes de communication contemporains. Hier raillées comme autant de preuves ultimes de la faiblesse féminine, les larmes qui coulent sur les joues des ministres ou des députés femmes se transforment en atout dans une société moderne qui assume son dévoilement impudique et son émotivité, et peut-être même, en réalité, son humanité.
Si l’influence se conjugue naturellement au féminin, ce n’était pas suffisant pour consacrer vraiment l’influence des femmes, et c’est peut-être la marche de notre monde et l’air de notre temps qui vont finir de la consacrer. D’une influence relative naturelle, les femmes d’influence ont su dépasser les axiomes biologiques pour gagner en absolu. Elles ont été « derrière les hommes puissants », puis « contre ». Les voici résolument « devant » la scène du monde.
1. Lire « Cerveau d’homme et cerveau de femme : le câblage serait différent », par Janlou Chaput sur le site futura-sciences.com.
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Olivia Grégoire
Historienne, Sciences Po, Essec de formation, elle passe de nombreuses années dans le monde politique avant de créer son cabinet de stratégie d’influence OLICARE, pour accompagner les décideurs dans l’expression de leur leadership, au sein d’un univers médiatique saturé.
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