Jacques Attali :
« L'altruisme est une forme intelligente d'égoïsme »
Propos recueillis par
Cristina Alonso
© DR
Entre action politique, art, économie et œuvre littéraire protéiforme (plus de 80 essais, romans, contes, etc.), Jacques Attali a tout de l’homme « augmenté ». Une intelligence hors norme, au sens humaniste du terme, qui le conduit depuis trente ans à penser l’économie de demain. [...]
 
Entre action politique, art, économie et œuvre littéraire protéiforme (plus de 80 essais, romans, contes, etc.), Jacques Attali a tout de l’homme « augmenté ». Une intelligence hors norme, au sens humaniste du terme, qui le conduit depuis trente ans à penser l’économie de demain. Une économie fondée sur l’intérêt général et l’intérêt des générations futures, destinée à organiser la transition d’un « modèle ancien fondé sur l’économie de la richesse », à un modèle dans lequel « les agents économiques auront d’autres obligations que le profit à tout prix ».

C’est au travers de sa fondation Positive Planet (anciennement Fondation Planet Finance) créée en 1998 qu’il agit avec ses deux cents salariés. Via cette organisation présente dans 40 pays, il mène des activités de conseil et de plaidoyer pour le développement de micro-entreprises positives et de l’économie positive, en particulier dans les banlieues françaises.

En 2011, il lance le Forum annuel de l’économie positive au Havre, dont la première journée de l’opus 2019 était consacrée aux enfants d’école primaire et aux lycéens. En 2019, il fonde l’Institut de l’Économie Positive, filiale de la Fondation Positive Planet. Sa doctrine : l’altruisme intelligent, qu’il ne cesse d’instiller dans toutes ses actions.



IÑfluencia Comment, selon vous, l’humain va-t-il parvenir à dompter ses émotions, réfléchir, avancer, être plus humain dans ce monde où tout est question d’urgence ?

Jacques Attali L’humanité est en état d’urgence en permanence. Cela tient à des choses extrêmement profondes que j’ai expliquées dans plusieurs de mes livres. On a décidé que la liberté individuelle était l’utopie absolue. Si l’on pousse très loin cette quête de la liberté, cela nous conduit au droit permanent de changer d’avis, donc à la précarité, donc à la déloyauté et donc au mal-être. Il y a une perversion de l’utopie qui est en cours aujourd’hui. La réversibilité absolue des choses, leur précarité, tient à cette utopie de la liberté qui est de mise aujourd’hui. Une utopie qu’ironiquement l’on retrouve dans tous les concepts qui fondent notre société actuelle : le moi d’abord. Dans la société de consommation, c’est le moi d’abord ; dans les discours populistes, c’est le moi d’abord ; dans les discours bouddhistes mal compris, c’est le moi d’abord ; et dans la psychanalyse tout aussi mal comprise, c’est le moi d’abord. C’est une sorte de coalition et de vulgarisation de tous les concepts qui règnent dans cette utopie narcissique et individualiste.


Les femmes qui se battent pour leur condition font aussi du « moi d’abord » ?

JA Non puisqu’en général elles ne luttent pas que pour elles-mêmes, mais pour les générations futures. J’avais prévu il y a très longtemps l’avènement du narcissisme et le fait qu’il deviendrait un jour une idéologie dominante. Nous y sommes. Après avoir vécu sous la domination des valeurs masculines, puis sous celle des valeurs féminines, il ne restait plus que la domination de l’être en tant que tel, désexué, asexué, et donc forcément narcissique puisqu’il représente un retour aux valeurs communes de l’enfance. Le moi d’abord qui est en cause aujourd’hui.

J’avais prévu il y a très longtemps l’avènement du narcissisme et le fait qu’il deviendrait un jour une idéologie dominante. Nous y sommes.



Comment dans ce cas penser « l’autre » aujourd’hui, et au futur si le narcissisme est tout-puissant ?

JA Il faut devenir soi, se trouver. Et pour ce faire il faut d’abord se trouver par rapport à soi, cela permet ensuite de comprendre son rapport à l’autre. Son utilité, son rôle. C’est très important de comprendre qu’on est seul, chercher ce qu’on a d’unique en soi, car c’est seulement alors que l’on comprend en quoi on peut être utile aux autres. C’est le sens de la vie aujourd’hui.


Comment appliquez-vous cette philosophie à votre mission humaniste ?

JA J’essaye de montrer que nous ne sommes rien aujourd’hui sans les générations futures. C’est ce que j’appelle l’altruisme intéressé. J’ai intérêt à être altruiste. Une fois que l’on a compris que d’une façon totalement égoïste on a intérêt à travailler au bonheur des autres, il y a un déclic qui vous permet de prendre conscience que le bonheur des autres nous rend heureux même si l’on n’en perçoit pas l’utilité.

D’une façon totalement égoïste on a intérêt à travailler au bonheur des autres.



On n’existe pas sans l’autre…

JA Il faut d’abord commencer par cette phase, où le devenir soi est indépendant des autres.


L’humanité va-t-elle dans ce sens ?

JA Oui, absolument. Même s’il y a des forces contradictoires et même si cette époque est très fragmentée. Même s’il y a du populisme, de l’autisme, du narcissisme généralisé… Des jeunes qui se renferment, vivent chez les parents, ne font plus l’amour. Il y a aussi ceux qui vont vers les autres, qui prennent conscience du monde et de la société. C’est cette conscience-là que je défends au sein de Positive Planet, ce que j’appelle l’économie positive. Travailler dans l’intérêt de l’autre. La ruse du basculement étant que, dès que l’on passe de l’autisme à l’altruisme, on accède à l’altruisme intéressé et par conséquent on comprend l’intérêt d’être altruiste.


L’économie manque-t-elle donc d’intelligence ?

JA Nous ne sommes pas encore assez convaincus par le fait qu’il est important de prendre en compte les intérêts des générations suivantes. C’est une erreur. Ce sont elles qui vont travailler pour financer nos retraites et toutes les choses dont les générations actuelles auront besoin plus tard. Nous devons comprendre que l’altruisme est une forme intelligente d’égoïsme, un choix tout à fait justifié du point de vue rationnel. C’est la fonction de la fondation Positive Planet. Nous organisons des forums sur ces questions. Nous faisons la promotion de l’altruisme auprès des plus jeunes. Des élèves de primaire et des lycéens étaient présents en septembre dernier au Forum du Havre.

Les artistes, qui sont eux-mêmes en parvenant à faire vibrer les autres, valent le coup que l’on sauve l’espèce animale que nous sommes.



Pourquoi ne pas enseigner l’altruisme intelligent à l’école primaire ?

JA Il le faudrait. J’ai découvert très, très tard que j’avais intérêt à travailler avec les autres. J’étais à l’école polytechnique, on était dans des dortoirs de six, avec les bureaux afférents, et dans une ambiance de compétition, et dans l’obsession du classement… Alors que j’étais premier, je me suis mis à poser des questions à mes condisciples. Ils ont fini par me répondre. Puis à mon tour j’ai répondu à leurs questions. Nous avons énormément progressé ensemble. Nous avançons bien mieux ensemble. Cela résume bien ce qu’est l’altruisme intéressé…


L’urgence, quelle qu’elle soit, est sur toutes les lèvres. Quelle en sera l’issue ?

JA C’est une bataille, un basculement idéologique. Cette guerre peut être perdue, mais – et c’est plus pervers – être perdue tout en étant gagnée. Je m’explique, elle sera perdue si l’individualisme, le cynisme, l’enfermement sur soi et la fermeture des frontières l’emportent. Mais ce qui est pire, elle peut être perdue (en étant gagnée) si l’altruisme l’emporte d’une façon manipulée, c’est-à-dire qu’une idéologie totalitaire s’installe au nom de l’altruisme. C’est ce que je crains le plus. C’est ce que l’on observe dans le religieux.


Êtes-vous optimiste pour ces prochaines années ?

JA J’ai espoir en la jeunesse. Nous sommes nombreux dans le monde à l’aider. Mais ce sont les jeunes qui vivront ce futur. Nous ne pouvons pas nous offrir le luxe d’être pessimistes. C’est trop tard. Il y a une très jolie discussion entre deux hommes d’État israéliens que je vais vous relater. Alors que Shimon Peres confiait qu’il préférait l’optimisme, cela lui permettait de se lever en forme tous les matins, David Ben Gourion lui répondit : « Je ne connais aucun optimiste qui soit sorti vivant d’un camp de concentration. » La morale est qu’il ne faut être ni optimiste ni pessimiste, il faut être positif, lucide, vigilant et trouver les bonnes solutions. Réconcilier le mondialisme et l’altruisme, telle est l’immense tâche qui nous attend. Sans oublier l’extrême importance de l’art. La meilleure façon d’être altruiste en étant soi-même c’est de faire de l’art. Les artistes musiciens, chanteurs, peintres, sculpteurs, qui sont eux-mêmes tout en parvenant à faire vibrer les autres, à communiquer leur singularité, valent le coup que l’on sauve l’espèce animale que nous sommes. Que l’on aime Bach, ou Dylan, peu importe.
Cristina Alonso
Rédactrice en chef
 
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