L’hypothèse de départ de cet article devait être que l’intimité et la confidentialité, biens rares dans un monde où les vies s’étalent sur les réseaux sociaux, étaient sur le point de devenir des privilèges réservés à une élite. Une forme de luxe. Hypothèse renforcée par l’arrivée de nombreuses innovations qui permettent de s’extraire du regard des autres ou de s’isoler pour échapper à la foule…
Mais un entretien avec la sociologue Annik Dubied de l’Université de Genève a changé la donne de départ. Selon cette spécialiste de la célébrité, des faits divers et des relations entre émotions, normes, intimité et identités, « l’intimité concerne toutes les classes sociales, donc elle n’est pas rare en soi. Et puis elle ne s’oppose plus à l’ostentation. L’intimité est désormais devenue visible, à tel point que le psychologue Serge Tisseron n’hésite pas à parler d’ex-timité ». L’intimité vue comme un bien cher, fausse hypothèse ?
LE VRAI LUXE : UN SAVOIR-FAIRE DE L’INTIMITÉ
Selon Annik Dubied, « l’intimité fait référence à ce qui relève de la vie privée, par opposition à la vie publique. Traditionnellement, elle permet l'expression des émotions, des besoins corporels, etc. ». Au cours du XXe siècle, la notion d’intime a considérablement évolué, et ses frontières ont été bouleversées par l’arrivée des réseaux sociaux : « Dans cette nouvelle configuration, on exporte l’intime vers les médias, on met l’intime au cœur du débat. C’est le principe de la téléréalité. […]Avec les réseaux sociaux, la norme est de montrer ce qui se passe dans sa sphère privée. L’intimité s’expose sans cesse, mais sans doute de manière partielle, choisie, limitée ». C’est là une nuance importante. Car si l’on s’expose, il y a des règles à respecter. Le luxe ne serait pas alors l’intimité elle-même en tant que ressource rare mais plutôt la capacité à pouvoir la « gérer ». Voilà la pépite : un savoir-faire qui permet de jongler avec son intimité, de choisir ses plages d’exposition pour la retirer aussitôt et la mettre à l’abri des regards.
VERS UN RETOUR DE L’ISOLOIR ?
Ce savoir-faire constituant le cœur du « luxe de l’intimité », tous les objets et systèmes qui en facilitent la gestion devraient devenir très recherchés. Cela s’incarne déjà dans le design de certaines innovations. À commencer par les isoloirs développés par le designer Alain Gilles. Les BuzziHoods sont des cocons conversationnels qui permettent de s’isoler à tout moment du brouhaha pour tenir une conversation avec son téléphone portable. Un peu à la façon d’une cabine téléphonique le BuzziHood maintient la confidentialité de la conversation tout en protégeant l’utilisateur de son environnement. Un moment d’intimité dans le vacarme de la vie quotidienne, avant d’y replonger.
Même volonté chez Veasyble, un accessoire de mode futuriste créée par le collectif GAIA réunissant quatre designeuses italiennes. Cet outil d’isolation urbaine portatif permet à tout moment de déplier autour de son visage un cocon de papier et polyéthylène afin de s’isoler de la foule et du brouhaha.