La curation trouve ses origines dans le mot curateur (curator en anglais) qui désigne le commissaire d’exposition. Dans le monde de l’art, il trie, filtre, sélectionne et finalement expose les œuvres selon son professionnalisme et sa subjectivité. Ensuite il organise l’ensemble et c’est lui qui choisit l’angle sous lequel sera abordée l’exposition. Sa réflexion oriente celle des visiteurs. Mais son travail ne se limite pas à cela. Il doit rédiger des textes pour justifier son parti pris (cartons explicatifs, communiqués de presse…). Le curateur travaille donc à la fois sur l’argumentation de sa réflexion et sur sa vulgarisation. Il a un rôle pédagogique extrêmement important.
D’un point de vue marketing, les maisons de luxe, elles aussi, sélectionnent et diffusent du contenu. Leur démarche est similaire à celle du commissaire d'exposition à ceci près qu'elles doivent circonscrire leur réflexion à leur territoire de marque.
La curation est idéale pour les marques de luxe car ce sont de puissants réservoirs d’imaginaires, fourmillant d’univers, de matières et de personnalités fortes. Elles se recréent sans cesse grâce au contenu de leur propre curation.
Un luxe patrimonial
Le luxe est un secteur empreint de culture et de patrimoine. Les grandes maisons qui le composent ont toutes un univers créatif très riche et possèdent leur propre eco système de marque.
Grâce à la curation les marques se créent un véritable patrimoine qui succède au trop fade lifestyle. Preuve de ce patrimoine : « Les journées particulières » de LVMH en France, destinées à célébrer les différents métiers du groupe. En Italie, le joaillier Bulgari a également dévoilé son palais à Rome. Et l’année dernière les amateurs de whisky ont pu se rendre en Ecosse visiter la distillerie Glenmorrangie. LVMH ainsi s’inscrit dans une opération de communication originale. L’objectif est double : magnifier les savoir faire du groupe et répondre à minima à l’intérêt des consommateurs pour les coulisses et les « secrets de fabrication ».
Ainsi, les marques de luxe sont de plus en plus nombreuses à proposer de véritables contenus informatifs, divertissants et expérientiels ayant un lien plus ou moins fort avec le produit. Détentrices de leur histoire, de leur médiatisation et pourvues d’une culture patrimoniale réelle, elles peuvent donner libre cours à leur storytelling et enrichir à volonté leur communication.
Un nouveau mécènat win-win
Champs souvent préempté par la curation du luxe, l’art est à la fois cohérent avec le positionnement et avec la culture des marques de luxe. En devenant curateur, elles ont approfondi leurs relations (déjà intimes) avec le monde de l’art et les artistes.
Si ces derniers, historiquement ont d’abord été soutenus par le pouvoir religieux et politique, ce sont désormais les entreprises qui se sont attribuées ce rôle et beaucoup possèdent leur propre fondation.
Aujourd’hui les maisons de luxe se comportent un peu comme Louis XIV qui finançait largement les artistes pour magnifier sa cour et son pouvoir. Elles réinventent un mécénat dynamique, win-win, qui permet à ceux qu’elles sponsorisent de bénéficier d’une large médiatisation tout en se donnant une dimension artistique et bienveillante.
La curation culturelle crée un luxe de fond qui les positionne en mécène généreux et nobles. Elles parviennent ainsi à se donner un rôle sociétal et culturel qu’elles sont aujourd’hui prêtes à assumer.
À ce titre, le nouvel e-shop britannique de luxe, Avenue 32, est doté d’un concept simple mais innovant : laisser tous les pouvoirs aux créateurs invités sur le site. Chaque artiste choisit les pièces qu’il souhaite présenter et bénéficie d’un espace personnel qu’il aménage à sa guise avec des contenus éditoriaux pour préciser son univers et ses sources d’inspirations.
Le site renouvelle les codes du e-commerce et sort du simple site marchand pour proposer une véritable « curated on-line shopping expérience » inédite et devenir un lieu de culture.
Véritable agent culturel
Fortes de leur nouveau rôle de mécène, les marques de luxe, notamment françaises, investissent la culture jusqu’à devenir elles-mêmes de véritables agents culturels, au même titre qu’Alain Delon ou Paul Bocuse.
Si les Champs Elysées sont l’avenue la plus visitée du monde c’est au moins autant pour ces boutiques de luxe que pour son Arc de Triomphe. Les touristes n’hésitent plus à poser devant le flagship Vuitton ou Cartier.
Les grandes maisons de luxe françaises se doivent de vendre ce savoir-faire made in France auprès des nouvelles cibles du luxe que sont les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine). Vis à vis d’eux, elles deviennent de véritables encyclopédies culturelles du savoir-faire hexagonal. Pour ce public, une maison comme Hermès ou Chanel par exemple synthétise à elle seule l’identité de la France bien mieux qu’une ambassade.
Un storytelling embelli
La frontière est de plus en plus ténue entre ces marques de luxe devenues agents culturels et la Culture. L’exposition Louis Vuitton - Marc Jacobs, au Musée des Arts Décoratifs à Paris, qui met parfaitement en lumière le travail de chacun, embellit d’autant le storytelling de ces deux marques. À Rome, la maison Louis Vuitton (toujours elle) a installé sa dernière boutique dans l’un des plus vieux cinémas de la ville et l’a pourvu d’une véritable salle de cinéma, d’un programmateur dédié et d’une librairie consacrée au 7ème art. Ainsi, après avoir disséminé des œuvres d’art dans ses magasins, puis imaginé une galerie au dernier étage de son flagship sur Georges V, Louis Vuitton confirme la place de l’art et de la culture au cœur de ses espaces marchands. La marque française s’érige désormais en véritable parangon de la Culture avec un grand C.
Dès lors, grâce à la curation, les grandes maisons dépassent la simple valorisation marchande de leur image et ont acquis une nouvelle dimension. Mais à l’instar des fonctions de Christophe Girard, qui partage son temps entre LVMH (où il est directeur de stratégie du département Mode) et ses obligations politiques (conseiller de Paris et maire-adjoint du IVe arrondissement), on peut imaginer que de nouveaux ponts seront prochainement jetés entre les grandes maisons et la politique culturelle. Dans ce cas, la nouvelle responsabilité culturelle des marques de luxe leur donnerait aussi des devoirs comme par exemple celui d’accompagner leurs clients vers la culture. Alors à quand un Programme Louis Vuitton pour la France ?.