La vie était plus simple lorsque l’intelligence artificielle ne faisait pas partie de nos vies. Il y avait d’un côté la science-fiction avec les robots d’Isaac Asimov qui nous faisaient trembler, de l’autre l’informatique, nouvelle science obscure aux mains d’esprits qualifiés de « binaires » parce qu’ils pratiquaient l’encodage, un métier qui ne semblait guère passionnant. Puis les ordinateurs sont venus remplacer les machines à écrire. Les smartphones ont fait vibrer nos heures du soir au matin, les aspirateurs sont devenus autonomes. Peu à peu, l’informatique a donné naissance à cette chimère protéiforme qu’est l’IA. Aujourd’hui, ce terme tout droit venu d’Amérique est sur toutes les lèvres, a intégré notre vocabulaire, transformé notre façon de penser, de cuisiner, de voyager.
Mais chacun en a une idée approximative. « Il paraît que l’on peut soigner l’autisme avec l’IA… », « les GAFAM sont les maîtres absolus de l’IA », « les chirurgiens vont bientôt être remplacés par l’IA… », « voyager dans une voiture autonome, sans conduire ? », « j’ai parlé avec un robot au salon VivaTech, il comprenait tout ce que je disais… », « les avocats ? On n’en aura bientôt plus besoin ! » « regarde le film Her, Joachim Phoenix tombe amoureux de la voix de son téléphone », « j’ai offert l’enceinte Google Home Mini à mon fils… Je ne servirai bientôt plus à rien… » Il semble qu’il soit temps de mettre les points sur les IA avant de plonger dans la revue.
La notion voit le jour dans les années 1950 grâce au mathématicien Alan Turing (Computing Machinery and Intelligence), qui soulève la question d’apporter aux machines une forme d’intelligence. Mais c’est John McCarthy, autre mathématicien, qui la baptise AI, « Artificial Intelligence », en expliquant à Dartmouth en 1955 que « l’IA est une machine destinée à résoudre des problèmes généralement réglés par des hommes et des femmes grâce à leur intelligence naturelle. Dans l’idéal, son rôle est de progresser d’elle-même, pour les résoudre ». À cette même conférence, où sont réunis une vingtaine de chercheurs, McCarthy édictera les conditions auxquelles l’IA sera vraiment une… IA ! Ainsi, elle devra simuler les fonctions principales du cerveau humain. Programmer un ordinateur pour traiter du langage naturel. Organiser des neurones « hypothétiques » de manière à leur faire former ensemble des concepts. Déterminer et mesurer la complexité d’un problème. S’auto-améliorer. Développer la faculté d’abstraction au niveau des idées et non des faits, ce qui serait trop simple.
Au principe était le cerveau
Une fois l’intelligence artificielle définie, encore faut-il savoir ce que l’on entend par intelligence humaine (IH), car l’une ne va pas sans l’autre ! Et là c’est Jack Copeland, professeur de philosophie et auteur de The Essential Turing qu’il faut écouter. L’humain sait généraliser à partir de cas (comme le fait la reconnaissance d’images en IA), il a la faculté de réagir, avec son expérience passée, à une nouvelle situation présente. Il raisonne, puisqu’il tire les conclusions appropriées à chaque situation. Il résout des problèmes, sait poser une équation et trouve le x de l’équation en question. Il perçoit, en analysant un environnement, et sait créer des relations entre les objets observés. Il comprend toutes sortes de langages.
Une fois définies IA et IH, poussons plus loin, car l’humain distingue différents niveaux d’IA. L’IA forte simule un cerveau humain dans la construction de sa pensée. Elle n’existe pas – et c’est tant mieux – malgré les fantasmes de certains prédicateurs excessivement imaginatifs.
Une fois
l’i.A. définie,
encore Faut-il
savoir ce que
l’on entend par
intelligence
humaine, car l’une
ne va pas
sans l’autre !
L’IA faible est celle dont on parle communément. Elle se comporte comme l’humain, mais ne calque pas le mode de fonctionnement de son cerveau. Ainsi, lorsque Deep Blue d’IBM remporte sa partie d’échecs contre Gary Kasparov, il s’agit pour lui de faire le calcul de tous les possibles déplacements avant de jouer chaque coup. Victoire mathématique.
Et puis il y a la Middle Intelligence Artificielle. Concrètement, le robot IBM Watson qui, comme un humain, lit des informations, reconnaît des tendances, réunit des preuves, dit « j’ai bien analysé les données, je suis sûr à 67 % que la solution est celle-ci » et remporte le jeu télévisé Geopardy en 2011.
En quoi cela nous concerne-t-il ?
Au sein de cette Middle Intelligence Artificielle, deux termes sont désormais incontournables dans les milieux du marketing, notamment de l’expérience client : le machine learning et le deep learning. L’apprentissage automatique (machine learning) détecte des schémas dans les données et ajuste son fonctionnement en conséquence. Par exemple, le fil d’actualité de Facebook évolue suivant les interactions de l’utilisateur avec ses homologues. Si un utilisateur identifie fréquemment un ami dans des photos, écrit sur son mur ou « aime » ses liens, le fil remontera un plus grand nombre d’activités de cet ami, supposant qu’il s’agit d’un ami proche de l’utilisateur.
L’apprentissage profond (deep learning) est dérivé du machine learning ; la machine est capable d’apprendre par elle-même, contrairement à la programmation où elle exécute à la lettre des règles prédéterminées. Concrètement, personne ne sait créer un programme qui permette à la machine de reconnaître des images de chats. En revanche, en lui fournissant des milliers d’images de chats, elle proposera une image… de chat… sans savoir ce qu’est un chat ni à quoi ça sert !
Depuis les années 2000, l’IA étend ses tentacules à des secteurs de l’économie aussi divers que la finance, l’assurance, la médecine, l’automobile, le terrain militaire. Sans oublier l’utilisation à outrance qu’en font la publicité, le marketing ou les réseaux sociaux. Avec à la clé l’apparition du data scientist, profil le plus recherché et le mieux rémunéré dans le secteur informatique. Sur la planète, le marché de l’intelligence artificielle génère 7 milliards de dollars aujourd’hui. Et on prévoit qu’il pèsera 90 milliards de dollars en 2025. Il vaut mieux en être.
Cristina Alonso
Rédactrice en chef