La musique n’est pas faite pour être écoutée sur Internet ? Ce postulat anachronique, Coldplay, Radiohead et les Black Keys en font le socle de leur combat très médiatique contre le numérique. Télérama parle d’une « nage à contre-streaming », INfluencia userait plutôt de l’adjectif « rétrograde » pour définir cette bataille d’arrière-garde, mais compréhensible. Les chiffres sont là, narquois et chafouins. Gravée dans le marbre, la tendance qu’ils démontrent dessine le futur de la musique, une industrie en transition liée aux innovations et aux usages de demain.
Pour anticiper son avenir dans dix ans, rappelons d’emblée un postulat essentiel : le digital maintient la tête de la musique enregistrée hors de l’eau. L’écoute en ligne sans téléchargement pèse désormais pour 50 % des ventes numériques en France au premier trimestre 2014 et 17 % du marché musical global, selon les chiffres annoncés le 1er mai 2014 par le Syndicat national de l’édition phonographique. Au niveau mondial, le numérique a progressé de 4,3 %, à 5,5 milliards d’euros, et représentait 39 % des revenus de l’industrie en 2013, selon la Fédération internationale de l’industrie phonographique.
Ce nouvel équilibre constitue la résultante prévisible de l’avènement d’une consommation globale connectée et digitale. L’avenir de la musique est mobile, plus aucun acteur de son marché ne dit le contraire, même ses plus pamphlétaires. « L’avenir du bien de consommation passe par la portabilité et l’accès en tous points. Le streaming, c’est le futur des industries culturelles », assure Alexandre Sap de Forward, agence de marketing culturel.
« LA MUSIQUE C’EST COMME L’EAU »
« Les objets connectés sont en train de prendre une place grandissante dans nos vies et la consommation de la musique doit s’adapter à ces nouveaux usages, commente Yann Thebault, DG Europe du Sud de Spotify, le célèbre service de streaming musical. La musique est une industrie en perpétuelle évolution et qui innove en permanence. Les mêmes questions se posent depuis des années sur les supports. Rappelez-vous quand iTunes et l’iPod sont sortis et ont commencé à exploser… on se demandait si les formats propriétaires n’étaient pas dangereux pour la musique ! »
Le constat de l’inévitabilité est encore plus véhément chez Marcel A. Wiebenga, directeur du développement musical chez Sizzer Amsterdam, pour qui, par définition, la musique peut se consommer en étant connecté. « Les développements technologiques ont toujours déterminé la façon dont les gens consomment et produisent de la musique. Comme le disait David Bowie, la musique est comme l’eau, elle sera toujours là quand vous en avez besoin, où que vous soyez. Nous devons embrasser le changement. »
Si la multiplication et la croissance des objets connectés vont changer complètement notre manière et nos attentes en matière de musique, sa consommation sera dépendante des évolutions technologiques et de la démocratisation du haut débit. Cette problématique n’est pas l’apanage de la musique, elle concerne tous les acteurs de la sphère digitale.
LA MUSIQUE DIGITALE EN QUÊTE DE CONVERSATIONS
Les trois questions que pose la réflexion sur le futur de la musique sont ailleurs. Primo, l’engagement des consommateurs et les services de customisation offerts constitueront-ils la base de son nouveau modèle économique ? « Dans dix ans, nous aurons sûrement des systèmes plus intelligents et instinctifs, qui anticiperont les musiques que nous voulons écouter en fonction de nos goûts, humeurs et envies. Je pense aussi, par exemple, que les consommateurs attendront que la musique qu’ils ont envie d’écouter se déclenche automatiquement au moment où ils auront envie de l’écouter », prédit Yann Thebault. « Deezer et Spotify sont le futur de la distribution. Le marketing d’aujourd’hui c’est le contenu de qualité délivré où et quand le veut le consommateur. Netflix avec “House Of Cards” n’a-t-il pas fait ses preuves ? » remarque Alexandre Sap.
Interaction et communauté, voilà les deux facteurs essentiels à la bonne santé économique de la musique numérique appelée à régner. Dans un entretien accordé à Motherboard, le cofondateur de SoundCloud Alexander Ljung appelle le marché à tendre vers la conversation bipartite : « Les services digitaux de musique satisfont encore mal les besoins humains d’interactions online quotidiennes. Il n’existe aucune connexion significative entre les fans et les créateurs, aucune communauté. Le futur de la musique est une interaction à double sens, artistes et labels commencent seulement à comprendre comment utiliser les nouveaux formats. »
SPOTIFY ET DEEZER SUR LES TRACES DE NETFLIX ?
La deuxième question qui se pose alors est double : les acteurs du streaming vont-ils imiter Netflix et devenir eux-mêmes producteurs ? Dans un paysage digitalisé, quelle sera la place des labels et du support physique ? « Spotify n’a pas vocation aujourd’hui à produire des artistes, répond Yann Thebault. L’enjeu actuel est de proposer une expérience enrichie à la fois à nos utilisateurs et aux artistes. Mais il y aura toujours des gens qui préféreront posséder la musique et qui l’achèteront en support physique. Peut-être que dans dix ans, ce sera le CD ou la cassette qui feront leur come-back, comme le vinyle aujourd’hui. » Les as du streaming en simples distributeurs, Alexandre Sap n’y croit pas : « Il est évident qu’ils vont produire des contenus propriétaires. Plusieurs producteurs de renom travaillent déjà en secret à la production d’artistes signés chez Spotify. »
Comme l’économie collaborative redéfinit le C2C et modifie profondément les rapports entre les marques et les consommateurs, le streaming oblige les maisons de disques à repenser leur modèle économique : « Les artistes les désertent et elles se restructurent en labels de services. Les maisons leur proposent de les prendre comme client pour gérer leurs actifs », constate Alexandre Sap. « Le métier s’est complètement réinventé, à mon sens, et la vieille école va peu à peu disparaître, confirme Julien Hohl, le fondateur de Deaf Rock Records, un label de rock indépendant strasbourgeois. L’artiste reprend plus de place dans ce schéma de la musique au consommateur et les nouveaux métiers vont se consolider. Il est certain qu’un label va devoir diversifier les activités entre l’édition, le management et la tournée. »
LES MARQUES, MÉCÈNES DES ARTISTES
Chanteuse du groupe français Cherry Boop, Aurélie Faller refuse d’opposer disque et digital. Les deux peuvent et vont cohabiter : « Le futur de la musique est d’être écoutée dans n’importe quel endroit, à n’importe quel moment, et avec n’importe quel appareil. Mais cela n’empêchera pas une partie des amateurs de continuer à acheter de la musique sur un support physique pour l’écouter chez soi, dans des conditions optimums, sans passer par Internet. »
Tendances revival ou pas, les marques et la pub sont-elles au cœur du futur modèle économique de la musique, plus que jamais contenu de divertissement ? L’interrogation est légitime. « La publicité ne sauvera pas les industries culturelles, mais elle y contribuera. Ce qui sauve la création artistique c’est de se libérer des contraintes du marché, de ne plus être esclave des radios et des médias, de rendre son art disponible pour tous, partout. La pub est un formidable vecteur de diffusion, les marques sponsorisent et représentent un véritable modèle économique pour les artistes », analyse le fondateur de Forward. Les marques seront donc vraiment bien les Médicis de demain !.
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benjamin adler
Rédacteur
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