La santé est un secteur en pleine mutation qui réalise à la fois que l’ère des blockbusters est (probablement) terminée et que d’énormes potentiels demeurent sous l’angle des services. Des utopies1 y naissent, en particulier grâce à l’essor des technologies G.R.I.N. (Génétique, Robotique, Internet, Nanotechnologies, selon l’acronyme de Joel Garreau, journaliste américain, observateur de la culture, des valeurs et des changements à travers le monde). Loin d’être du ressort de la science-fiction, les avancées que nous voyons poindre à court et moyen termes alimentent tant les espoirs que les craintes de dystopie2 (ou contre-utopie). Nous vous proposons un parcours non exhaustif au cœur de trois tournants majeurs qui se dessinent.
UNE MÉDECINE PLUS PROACTIVE
Premier tournant : la santé de demain sera plus proactive et moins réactive. La constitution d’un monde d’applications, de gadgets et d’outils simples d’utilisation permettant à chacun de mesurer et de consulter ses données santé, de s’autodiagnostiquer et de prévenir maladies ou épisodes de crise esquisse une transformation majeure de notre rapport à la santé : à l’avenir, il deviendra d’autant plus possible à chacun d’être un acteur éclairé de sa propre santé.
Ces solutions s’appuient sur une armée de biocapteurs toujours plus miniaturisés, plus précis et moins onéreux qui équipent progressivement nos objets et lieux du quotidien, enregistrant constamment notre activité biologique et suppléant parfois à des équipements lourds. TellSpec est un exemple concret de leur champ d’application : ce petit scanner miniature lié à une application smartphone permet à chacun de déceler les allergènes, nutriments et molécules chimiques présents dans les aliments.
Notre pouvoir d’agir sur notre santé sera d’autant plus grand à l’avenir que la nouvelle génération d’applications et de technologies connectées permettra d’agréger et de corréler les données captées par différentes solutions, qu’elles soient biologiques, émotionnelles ou environnementales, qui demeuraient cloisonnées dans leurs systèmes respectifs. Le service CarePass, proposé par l’assureur américain Aetna, nous en donne un avant-goût : il permet à ses utilisateurs d’agréger les données de leurs dossiers médicaux ainsi que toutes celles issues de leurs appareils connectés, et de se fixer des objectifs dont l’évolution est suivie (ex. : perdre du poids). Ces solutions – qui pourraient devenir des prérequis pour les assureurs santé – délivreront ainsi aux patients et aux professionnels de santé une information portant sur le style de vie au sens large, favorisant d’autant la prévention. Elles seront en outre plus aptes encore à tirer de façon autonome la sonnette d’alarme si une intervention était requise.
Cet univers de données favorisera l’épanouissement d’intelligences artificielles à même d’assister le personnel soignant, voire de remplacer tout ou partie de ses tâches. Le super-ordinateur Watson d’IBM peut ainsi d’ores et déjà établir des diagnostics et suggérer des traitements, qu’il transmet pour validation à des médecins de chair et d’os. Imaginez que de telles intelligences artificielles puissent accéder aux masses de données créées par les biocapteurs et aux connaissances médicales les plus récentes : elles pourraient alors devenir de précieuses assistantes ou de sérieuses concurrentes… A minima, la corrélation des données issues des dossiers médicaux par ces intelligences artificielles permettra une prévention et une gestion en temps réel améliorées des épidémies.
En sus des biocapteurs et autres systèmes d’intelligence artificielle, les avancées rapides en termes de séquençage du génome contribueront à accélérer davantage encore l’avènement de cette santé proactive. Le coût d’un séquençage complet a été divisé par 10 000 depuis 2011, passant de 100 M$ à moins de 10 K$ en 2013 (National Human Genome Research Institute, 2013), et pourrait même tomber à 1 K$ avec les nouvelles machines commercialisées par Illumina depuis janvier 2014. Plusieurs milliers de personnes auraient déjà fait séquencer leur génome, dont Angelina Jolie, qui a décidé une mastectomie après que l’analyse de son génome a révélé des risques élevés de cancer du sein. La popularisation de tels services, sous l’effet de leur médiatisation et de la baisse de leurs coûts, devrait permettre dans un futur proche une meilleure prévention des risques, car à la fois personnalisée et à grande échelle.
DES SOINS PLUS QUALITATIFS GRÂCE À DES ROBOTS AUTONOMES
Deuxième tournant : le développement de la robotique permettra d’accéder à des soins plus qualitatifs, du moins endiguera la dégradation de la qualité des soins. La santé est probablement l’un des secteurs que la robotique devrait le plus transformer ces prochaines années. Actuellement, des robots télécommandés sont utilisés pour assurer la téléprésence de soignants ou l’opération de patients à distance, tandis que des robots-infirmiers effectuent de façon autonome des tâches hospitalières et médicales de routine telles que le transport de médicaments ou la toilette des malades. Les robots Hopi et Ri-Man au Japon sont ainsi capables de veiller à la médication des patients et de les aider dans leurs déplacements.
D’ici à une décennie, des robots seront capables d’effectuer en toute autonomie des tâches bien plus complexes : certains réaliseront des opérations chirurgicales de routine sous la surveillance non d’un chirurgien, mais d’un technicien, d’autres seront équipés de biocapteurs leur permettant d’assurer l’administration de traitements comme les injections. Ces avancées pourraient permettre au personnel médical de disposer du temps qui leur fait défaut actuellement pour mieux accompagner et suivre les patients. Elles pourront de plus permettre de ne pas compromettre la santé du personnel médical dans des zones sinistrées ou à risque.
DES HUMAINS RÉPARÉS AU MOYEN D’IMPLANTS ET DE PROTHÈSES SYNTHÉTIQUES
Troisième tournant : les humains seront « réparables » au moyen de technologies bioniques qui se fondront dans notre physiologie. Les technologies robotiques et électroniques couplées à la biologie humaine – la bionique – revêtiront une importance majeure à l’avenir, car elles permettront de pallier peu ou prou tous les handicaps au biais de prothèses et d’implants se comportant comme des membres ou des organes normaux contrôlés par des impulsions nerveuses. Songeons à la première prothèse oculaire Argos II, qui permet aux aveugles de recouvrer une vue artificielle qui, bien que limitée aujourd’hui (600 pixels), pourrait à l’avenir devenir aussi précise voire meilleure que la vue naturelle.
Ces développements s’accéléreront au fil de l’avancée des recherches sur les matériaux biocompatibles, essentiels pour éviter le rejet des implants ou prothèses par le système immunitaire, et les batteries. Les espoirs se tournent notamment vers les nanotubes de carbone, qui pourraient servir d’interface entre composants électroniques et système nerveux. Les nouvelles batteries, plus petites, flexibles et durables, offriront quant à elles des potentialités nouvelles pour les implants actifs (ex. : pacemakers). Nous pourrions même nous en dispenser avec les matériaux piézoélectriques, qui puisent leur énergie dans les mouvements du corps.
Si ces technologies en sont encore à leurs prémices, elles pourraient devenir accessibles dans une quinzaine d’années, à mesure que leur coût baissera, tant leur intérêt pour la société est fort. Cette baisse de coût pourrait intervenir avec l’impression 3D, qui permet actuellement l’impression de prothèses et de squelettes artificiels sur mesure à bas coût et qui s’oriente résolument vers l’impression de tissus et d’organes artificiels biocompatibles.
Pour les patients rétifs à ces technologies invasives demeure la solution des exosquelettes mécaniques, qui permettront à terme de faire se mouvoir pleinement des membres paralysés. Quelle que soit la voie privilégiée, ces possibles technologiques donneront davantage d’autonomie, si ce n’est une autonomie complète, à toute personne souffrant d’un handicap qui (re)deviendra ainsi un citoyen pleinement productif. Ils permettront alors à la société d’économiser d’importantes ressources.
Le réel rattrape une fois encore ce qui relevait il y a peu de la science-fiction, la transformant en actualité brûlante suscitant l’intérêt d’une variété d’entreprises. La refondation nécessaire de notre système de santé, associée à de nouveaux possibles technologiques et à des utopies sociales fortes, offre un champ d’innovation d’une vastitude inégalée dans le secteur de la santé, ouvrant ainsi la porte à de nouveaux acteurs. La santé devient notamment un enjeu stratégique clé pour Google et Apple, alimentant chez certains la peur d’une dystopie. Entre une utopie dans laquelle la technologie et l’humain cohabitent harmonieusement ou une dystopie dans laquelle la technologie a remplacé le contact humain, le choix est nôtre. Gageons que nous travaillerons à réaliser la première !.
1. Rappelons ici qu’une utopie n’est pas quelque chose d’irréaliste, mais de non réalisé. 2. L’exemple typique d’une dystopie est l’accident à grande vitesse, avec l’invention du TGV.
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adrien senez
Il est consultant chez Tiltideas, conseil en stratégie spécialisé en prospective, marque et innovation ; qui éclaire les enjeux futurs pour donner un cadre à la mission de marque, incarnée par des innovations « héros ».
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