IÑfluencia Comment La Voix du Nord aborde-t-elle la relation avec son territoire ?
Gabriel d’Harcourt Le territoire est au cœur de la vocation d’un quotidien régional et même sa raison d’être. Le journal crée du lien avec ses habitants, raconte la vie du territoire, est en phase avec une identité… À La Voix du Nord, ce lien ne cesse d’ailleurs de se renforcer. Les Unes des années 1960 étaient plus axées sur l’information nationale. Au fil du temps, le journal s’est rapproché de son territoire. Un quotidien régional ne doit pas être seulement un spectateur et un commentateur, mais aussi un acteur et un porte-drapeau de son territoire. Cela change considérablement la donne !
Lors des élections
de 2015, nous avions
une responsabilité
vis-à-vis du territoire…
Quand on pense qu’une
solution n’est pas la bonne,
il faut oser le dire.
IÑ Est-ce pour cela que le quotidien s’est engagé lors des élections régionales de 2015, en mettant en garde sur les conséquences d’une victoire du Front national ?
Gd’H Après quelques débats en interne, nous avons rapidement considéré que nous avions une responsabilité vis-à-vis du territoire et de ses habitants, et que la situation impliquait de prendre position. Quand on pense qu’une solution n’est pas la bonne, il faut oser le dire. La démarche n’était pas politique, mais celle d’un acteur qui veut œuvrer à l’amélioration de la vie des habitants et de l’économie. Il nous semble que cette région frontalière, dont l’histoire est liée à l’immigration, doit rester ouverte, car les flux économiques et les flux de personnes contribuent à son enrichissement.
Certains nous ont beaucoup reproché de ne pas être restés neutres et il y a eu quelques conséquences commerciales. Assez peu en fait… En revanche, cette prise de position a redonné un coup de citoyenneté sur la marque Voix du Nord. Cela a été très intéressant d’un point de vue marketing, car dans un paysage médiatique chahuté, c’est la neutralité qui est dangereuse. Or, à l’ère du digital, nos marques sont notre principal actif.
IÑ Comment la proximité se traduit-elle dans la ligne éditoriale ?
Gd’H Il y a trois ans, nous avons lancé une nouvelle formule qui changeait radicalement notre manière d’aborder l’information locale. Nous sommes davantage aux côtés des gens, avec une information plus incarnée et moins institutionnelle que par le passé. C’est sans doute un peu anecdotique, mais il n’y a plus de cravates sur les photos. Lors d’une inauguration, nous ne nous intéressons plus à ceux qui coupent le ruban, mais à ceux qui vivent à cet endroit. Nous proposons aux lecteurs de voir ce qui se passe dans leur quotidien, mais plus forcément dans leur commune. Ces changements ne sont pas faciles à opérer. Il faut que l’on soit encore plus près des gens, plus à l’écoute de leurs problèmes, afin de faire remonter davantage leurs attentes, quitte à secouer un peu…
IÑ De quelle manière le digital participe-t-il à ces évolutions ?
Gd’H Le digital bouleverse notre modèle économique et peut nous mettre en danger de mort, mais je préfère voir les opportunités que cela représente si on se concentre sur les attentes du public. La Voix du Nord avait démarré très tôt sur le digital et avait beaucoup progressé, mais nous étions arrivés à une asymptote avec 10 000 abonnés 100 % digitaux, contre 190 000 abonnés papier. Nous avions fait la partie la plus facile et il fallait passer à une nouvelle étape. Les 132 départs volontaires qui ont eu lieu à l’occasion du plan de sauvegarde de l’emploi et de la compétitivité [PSE signé en avril 2017, ndlr] étaient une étape indispensable pour poursuivre la transformation. Nous sommes en plein chantier sur le sujet. Les rédactions ont été complètement réorganisées pour produire des formats adaptés au digital : des récits avec de la photo, du son, de la vidéo…
Nous distinguons désormais deux métiers : les reporters qui font remonter l’information du terrain, et les éditeurs Web et print qui écrivent sur cette matière première. Ces contenus sont désormais mis à disposition des lecteurs, à l’occasion de la restructuration de notre offre numérique autour de deux nouveaux sites. Le premier, lancé en gratuit sous la marque dérivée La VDN, propose de « l’information machine à café » tout en restant dans la ligne éditoriale de La Voix du Nord. L’autre, lavoixdunord.fr, est un site premium sur un modèle de paywall [n’offrir qu’une partie d’un article et en monétiser la totalité, ndlr]. Grâce à une esthétique renouvelée, à la profondeur de traitement de l’actualité et à de nouvelles fonctionnalités comme des listes de lecture horizontales ou verticales, nous permettons à l’utilisateur de retrouver le lien privilégié, magique et charnel qu’un lecteur a avec son journal papier.
Ce site a été conçu comme une plateforme où l’internaute pourra s’inscrire en un clic via Facebook et bénéficier d’une expérience gratuite pendant un mois. Ensuite, nous proposerons des abonnements mensuels à 0,90 €, qui monteront au bout de deux ou trois mois jusqu’à 9,90 € ou 19,90 €, selon le profil de l’utilisateur.
IÑ VOUS diffusEZ sur une région à forte identité. Comment avez-vous accompagné SON changement de nom et de périmètre ?
Gd’H C’est une chance d’avoir cette identité régionale forte. Il y a une dizaine d’années, nous nous posions la question de savoir s’il fallait ou non jouer la carte Ch’ti. Puis, en 2007, la tornade de Bienvenue chez les Ch’tis a balayé tous nos doutes ! Ce territoire, qui avait souvent été dénigré, a retrouvé une fierté. La Voix du Nord doit évidemment accompagner cette dynamique. Quand la région est devenue les Hauts-de-France, le Nord-Pas-de-Calais a été associé à ses cousins picards, qui sont très différents. Il y avait pourtant une certaine logique, car les deux territoires ont des points communs, notamment une histoire et une langue commune. Cette nouvelle entité est d’ailleurs en train de prendre forme plus rapidement que ce que l’on pensait. Le nom plaît et a été adopté par les habitants, les institutions, les entreprises… Notre groupe de presse est présent sur l’ensemble de la nouvelle région, puisque nous éditons aussi Le Courrier picard. Pour rester au plus proche du nouveau territoire, nous adaptons notre manière de présenter les statistiques régionales ou de construire nos partenariats.