C’est un tsunami qui dévaste tout sur son passage. C’est une tornade face à laquelle rares sont les adversaires à faire le poids. Le retail aura connu dans son histoire un « avant » et un « après » Amazon. Le modeste site de vente de livres lancé aux États-Unis en 1995 s’est transformé au fil des années en un monstre qui devrait, selon les experts, représenter un quart de l’e-commerce mondial à l’horizon 2026. En 2016, son chiffre d’affaires (CA) a bondi de 27 % pour atteindre le montant ahurissant de 136 milliards de dollars. Au troisième trimestre 2017, ses revenus ont encore explosé de 34 %, à 43,7 milliards de dollars. Sur le sol américain, la firme fondée par Jeff Bezos a englouti l’an dernier 44 % des parts de marché de l’e-commerce, soit six points de plus qu’en 2016, selon une étude de One Click Retail.
Amazon n’écrase pas
seulement les boutiques
« physiques » sur son
passage, Il étouffe aussi
de nombreux sites
de vente en ligne.
Sa capitalisation boursière atteint aujourd’hui 700 milliards de dollars, contre moins de 15 milliards pour Carrefour. Pour donner une échelle, avec près de 250 millions de produits en vente sur son site en France, Amazon écrase la seconde plus importante chaîne d’hypermarchés française (janvier 2018), qui propose en moyenne 80 000 références dans ses rayons. Bref, la walkyrie de Seattle a semé la zizanie dans l’Hexagone.
Le champ de bataille français
En 2016, le nombre de défaillances d’entreprise de commerce de détail dont le CA dépasse 10 millions de dollars a augmenté de 66 %. En France, le taux de vacance commerciale dans le cœur des villes de plus de 25 000 habitants a atteint 11,3 % en 2016, contre 7,2 % quatre ans plus tôt. Ce déclin est une conséquence directe de la chute du taux de rentabilité des commerces de détail – qui est passé de 5 % à 2,6 % ces cinq dernières années. Cette tendance lourde ne semble pas prête de s’inverser. À la fin de cette décennie, le poids des ventes en ligne dans les dépenses totales des ménages devrait atteindre 14,6 %, contre à peine 2,8 % dix ans plus tôt. Mais Amazon n’écrase pas seulement les boutiques « physiques » sur son passage. Il étouffe aussi de nombreux sites de vente en ligne, qui n’arrivent plus à lutter contre ses prix bas et ses livraisons assurées le jour même de la commande.
L’enseigne d’électronique Pixmania, qui avait vu ses revenus passer de 500 millions à moins de 200 millions d’euros en trois ans, a été placée en redressement judiciaire en 2016 avant d’être sauvée par Vente du Diable. Cdiscount et Rue du Commerce doivent, quant à eux, leur survie à Casino et à Carrefour, qui les ont rachetées pour se développer sur la Toile. Car le marché français est pourtant porteur. En 2016, les ventes sur Internet ont progressé de 15 %, à 72 milliards d’euros contre à peine 30 milliards six ans plus tôt, selon la Fédération e-commerce et vente à distance (Fevad). Pour survivre dans ce secteur et résister à Amazon, des recettes existent…
De la spécialisation
Les précurseurs ont souvent raison… Une des particularités des sites qui parviennent à progresser d’année en année est leur ancienneté. La plupart d’entre eux ont été fondés au début des années 2000 lorsque le géant américain était encore un petit poucet chez les Frenchies. Pris dans l’étau du cybermarchand de Seattle, qui ne cesse de se resserrer, les « irréductibles Gaulois » ont aussi compris qu’ils devaient se spécialiser dans un secteur et ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre.
L’exemple de Pecheur.com est, en ceci, particulièrement instructif. Fondé en 2002, ce site propose aux amateurs de leurres et moulinets plus de 162 000 références issues de 945 grandes marques. Chaque année, ses 700 000 clients lui commandent plus de 1,2 million de produits. Avec 49 salariés et un CA de 16,6 millions d’euros en 2016, cette plateforme a récemment été reprise par le groupe Centre France, qui édite huit quotidiens et onze hebdomadaires régionaux.
Aux États-Unis, le leader de la vente en ligne de rasoirs Dollar Shave Club a été croqué par Unilever pour la modique somme d’un milliard de dollars. Créé en 2001, Oscaro est, quant à lui, devenu la première plateforme de pièces détachées automobiles sur le Web grâce à son catalogue de 700 000 références. Ses relations avec les constructeurs et les équipementiers, et ses stocks sans équivalent en France lui permettent de répondre à presque toutes les demandes de ses clients en un temps record. Mais c’est surtout son centre d’appel qui aide la société à résister aux assauts des pure players de l’e-commerce. Ses 180 experts assistent les acheteurs depuis la recherche de la référence exacte de la pièce dont ils ont besoin à la façon de la monter dans le véhicule.
PRIS DANS
L’ÉTAU DU
CYBERMARCHAND
DE SEATTLE, LES
« IRRÉDUCTIBLES
GAULOIS »
ONT COMPRIS
QU’ILS DEVAIENT
SE SPÉCIALISER
ET NE PAS AVOIR
LES YEUX PLUS
GROS QUE LE VENTRE.
De l’humain
Le service est une des clés qui permet aux sites de contrer les salves en provenance de Seattle. LDLC l’a bien compris. Depuis son lancement en 1996, cette société lyonnaise – devenue le leader français de la vente de produits électroniques sur Internet depuis le rachat de son rival Materiel.net en 2016 – a « joué sur la qualité de service pour rassurer et se faire un nom », expliquait à BFM Business Olivier de la Clergerie, le frère du fondateur et directeur général du site. En 2018, ce groupe de 700 collaborateurs – qui attire 3 millions de visiteurs uniques par mois sur ses 6 sites marchands – a été élu pour la quatrième année consécutive par Le Parisien/Aujourd’hui en France « Service Client de l’Année » dans la catégorie Vente à distance de produits techniques. Déjà joignables 6 jours sur 7 par téléphone, par mail et sur les réseaux sociaux, ses 60 conseillers peuvent désormais répondre aux questions des internautes sur le live chat du site ldlc.com. 100 % des mails envoyés au site reçoivent une réponse en un jour ouvré, et le temps moyen de prise en charge par un conseiller au téléphone ne dépasse pas 15 secondes.
Un pas-de-porte
Pour se rapprocher encore plus de ses clients, ce spécialiste de l’e-commerce, qui expédie plus de 7 000 colis par jour et qui a affiché en 2016 un CA de 479,9 millions d’euros, a récemment choisi d’ouvrir… des magasins. Sa 27e boutique a été inaugurée le 1er décembre 2017 à Chambéry, en Savoie. Le groupe souhaite ainsi « tout simplement répondre aux besoins des clients, résumait, dans un entretien aux Échos de la franchise, Olivier de la Clergerie. Le magasin est un véritable lieu d’achat dans lequel le client vient chercher plusieurs services qu’il ne trouve nulle part ailleurs. C’est particulièrement vrai dans notre secteur d’activité, où 80 % des produits technologiques sont achetés en boutique et non en ligne. De plus en plus, on se rend compte que le tout-digital ne suffit pas et que l’avenir sera omnicanal. Pendant longtemps, beaucoup voulaient digitaliser le magasin, alors que nous, au contraire, souhaitons replacer l’humain au cœur. » Les acteurs de la vente en ligne sont ainsi nombreux à investir des espaces physiques pour se rapprocher de leur clientèle. Cette tendance touche particulièrement les secteurs de l’habillement (Spartoo, Sezane, Sensee) et de la décoration (Miliboo, Made.com ou La Redoute Intérieurs). Amazon n’a pas été long à s’aligner, et miser lui aussi sur le dur.
Les acteurs
de la vente en ligne
sont ainsi nombreux
à investir des espaces
physiques pour
se rapprocher
de leur clientèle.
Le géant américain a ainsi inauguré en 2015 sa première librairie à Seattle. En 2017, elle a racheté la chaîne américaine de supermarchés bio Whole Foods pour la bagatelle de 13,7 milliards de dollars. Et au mois de janvier 2018, la firme aux 310 millions de clients a ouvert sa toute nouvelle supérette « intelligente », où le client n’a plus besoin de passer à la caisse. Dans cette boutique d’environ 170 m2 qui propose essentiellement des produits alimentaires, les consommateurs, ayant au préalable scanné leur smartphone à l’entrée, peuvent remplir leur caddie comme dans n’importe quel supermarché et rentrer chez eux ; grâce à une technologie comparable à celle utilisée dans les voitures autonomes, les produits sélectionnés sont détectés, et leur paiement réalisé automatiquement. Amazon, qui a déjà prévu d’ouvrir 2 000 magasins en Amérique du Nord dans les prochaines années, n’a pas fini sa course.
frederic therin
Rédacteur
Illustration de Yoyo