N’avez-vous jamais eu le sentiment d’être observé et épié ? N’avez-vous pas l’impression parfois que vos moindres faits et gestes sont analysés ? Craignez-vous certains jours d’être suivi ? La bonne nouvelle est que vous ne souffrez pas de paranoïa aiguë ou d’hallucination préoccupante. La mauvaise est que vos habitudes de consommation sont collectées par les distributeurs et les grandes marques pour mieux cibler leurs offres et vous « encourager » à acheter leurs produits.
Big Retailer is watching you.
Recueillir
des data est
une Chose, mais
savoir les utiliser
en est une autre…
Imaginez-vous au volant de votre berline dans le centre d’une grande ville. Soudain, un message apparaît sur votre pare-brise, grâce à l’affichage tête haute dont est équipé votre véhicule, qui vous annonce une promotion exceptionnelle sur un produit dont vous avez justement besoin dans un magasin situé à 150 mètres de là. Votre réflexe sera naturellement d’aller acheter cet article, surtout si le magasin vous indique une place de parking où vous garer et si les données qu’il a récoltées sur votre vie quotidienne lui permettent de savoir que vous avez quelques minutes devant vous avant d’aller chercher le petit dernier à l’école maternelle. Voilà, tout du moins pour la théorie…
Les data sont encore mal utilisées
Aujourd’hui, les retailers ont en effet (plutôt) tendance à utiliser les nouvelles technologies pour vous bombarder de messages publicitaires et de « promos extraordinaires », à tout moment de la journée, et le plus souvent dans des lieux aucunement liés à l’offre diffusée. Pour les consommateurs, l’utilisation du Big Data par les marques est aujourd’hui surtout synonyme de big problem.
Chaque individu est devenu une mine de données sans cesse plus riche. Nos téléphones enregistrent chaque sinuosité de nos déplacements, les sites sur la Toile sont au courant des pages que nous lisons et du temps que nous passons sur chaque article, les commerçants en ligne connaissent les produits qui nous intéressent, ceux que nous achetons et à quelle fréquence, les distributeurs repèrent ce que nous aimons manger et boire, les opérateurs détectent les personnes avec qui nous communiquons le plus, et les réseaux sociaux ont souvent une idée plus précise de nos centres d’intérêt que les membres de notre propre famille.
Recueillir des data est une chose, mais savoir les utiliser en est une autre… Ces dernières années, les géants de l’informatique ont englouti plus de 15 milliards de dollars dans l’achat de compagnies spécialisées dans la gestion et l’analyse des données. Ce marché, qui progresse de 10 % par an, soit deux fois plus rapidement que les ventes de logiciels, représente déjà près de 100 milliards de dollars selon The Economist. Mais les commerçants ont encore du mal à gérer ces informations et à diffuser des messages ciblés aux consommateurs.
les retailers
ont tendance à utiliser
les nouvelles technologies
pour vous bombarder
de messages publicitaires
et de « promos
extraordinaires ».
Les beacons ont fait un flop
« Lorsque vous passez dans la rue devant une pizzeria à 16 heures et que le restaurant vous envoie sur votre portable une promotion, l’impact de ce message sera complètement nul, car vous ne voulez pas manger une Margherita à ce moment de la journée », explique Daniel Lucht, directeur chez ResearchFarm, une société anglaise de conseil en stratégie de commerce de détail. Le lancement en 2013 des premiers beacons par Apple était, lui, supposé « révolutionner les points de vente en créant un lien fort entre le digital et le brick & mortar », nous rappelle une étude de 2016 de L’Atelier BNP Paris, « Beacons : quel avenir après les pilotes ? » Ces petites balises Bluetooth de géolocalisation devaient permettre d’attirer les curieux à l’intérieur des boutiques grâce à la distribution de promotions ciblées. Certaines offres pouvaient se limiter à un rayon, et même à un seul présentoir. Plusieurs enseignes américaines comme Macy’s et American Eagle ont testé à grande échelle ces boîtiers, tout comme Orange, qui a équipé 3 800 installations.
Le succès n’a toutefois pas été au rendez-vous. « Les utilisateurs n’ont pas suivi, car les agences ont vu le beacon comme un moyen de pousser de la publicité sur les smartphones des clients, expliquait à L’Atelier BNP Paris Arnaud Decherf, le fondateur de The Beacons, un fabricant de balises basé à Paris. Cette méthode est très intrusive et les utilisateurs désactivent les notifications. » Les retailers ont pris, peu à peu, conscience des dangers (les leurs) liés à l’utilisation des données.
DEUX TIERS
DES CONSOMMATEURS
ANGLAIS REFUSENT
D’UTILISER LEUR
SMARTPHONE DANS
UN MAGASIN, ET
ILS N’AIMENT
PAS RECEVOIR SUR
LEUR PORTABLE DES
OFFRES DES ENSEIGNES.
Je t’aime, moi non plus…
« Le gros risque du Big Data est que le client se sente touché dans son intimité, retient à L’Atelier Philippe Courbois, le directeur de l’innovation chez Auchan Retail France. C’est quelque chose que l’on redoute. Donc, dès qu’on a des solutions soit commerciales, soit d’usage où on se dit qu’elles pourraient être intrusives, on ne les utilise pas. Et le deuxième danger est que la pression commerciale soit trop forte. On préfère qu’un client ne soit pas trop souvent sollicité et qu’il le soit uniquement quand cela lui rend vraiment service. C’est très facile de capter une adresse e-mail, mais c’est encore plus facile pour un client de dire : je me déconnecte de ce distributeur. »
Une enquête du magazine britannique Drapers montre que les deux tiers des consommateurs refusent d’utiliser leur smartphone lorsqu’ils sont dans un magasin, et qu’ils n’aiment pas recevoir sur leur portable des offres des enseignes. Mais dans le même temps, près d’un quart des personnes interrogées (24 %) avouent qu’elles ont plus de chances d’acquérir un produit auquel elles n’auraient pas pensé lorsqu’une marque leur suggère cet achat après avoir analysé leurs habitudes de consommation.
Paradoxal ? « Les consommateurs sont complètement contradictoires, analyse Yves Puget, le directeur de la rédaction de LSA, le magazine spécialiste de la grande distribution. Ils ont envie d’être reconnus comme clients, mais lorsque les enseignes deviennent trop intrusives, ils se plaignent. L’équilibre est difficile à trouver » – pour les retailers. L’équation paraît pourtant simple.
Simple comme un bouton
Pour être efficace, l’offre d’une enseigne doit apporter un réel avantage aux particuliers. « Les marques de vente au détail doivent s’assurer que les expériences qu’elles proposent dans les magasins ou sur la Toile procurent un véritable plaisir, sinon les consommateurs peuvent avoir l’impression d’être la cible d’un coup de pub ou d’une ruse », prévient une étude du cabinet de conseil Ovum-RHK, spécialisé dans l’analyse stratégique concernant l’industrie des réseaux et télécoms. Les entreprises auraient aussi tout intérêt à collaborer plus étroitement pour rendre leurs annonces plus efficaces. « Imaginez-vous aller au bureau un matin sous une pluie battante en écoutant Spotify sur votre portable, raconte Daniel Lucht. La plateforme est capable de vous géolocaliser et de savoir le temps qu’il fait. Rien ne l’empêche de partager en temps réel ces informations avec le Starbucks le plus proche, qui diffusera sur votre smartphone une annonce pour un café chaud. Lorsque l’offre n’est plus une simple publicité, mais une recommandation que vous jugez utile, elle fera mouche. »
La technologie est aussi appréciée lorsqu’elle simplifie la vie du grand public. Les membres d’Amazon Prime peuvent notamment acheter aujourd’hui un appareil connecté au wifi qui leur permet de commander leurs produits préférés d’une simple pression. Chaque « Dash Button » – 4,99 euros remboursés dès le premier achat – est associé à un article choisi par l’internaute. Quand le produit vient à manquer, il suffit d’appuyer sur le bouton pour que la commande soit automatiquement passée. Ce sont 56 marques (Signal, Gillette, Ariel, Nivea, Tassimo, Whiskas, Pampers, Duracell…) qui se sont déjà associées à ce service en France. Chaque minute, quatre boutons sont pressés, selon Amazon. Les technologies les plus simples sont parfois les plus efficaces…
frederic therin
Rédacteur