Ma ville, ma marque... Depuis une dizaine d’années, les dirigeants municipaux ont compris qu’ils devaient redoubler d’efforts et faire preuve d’imagination pour attirer les touristes mais aussi les cadres et les investisseurs. Pour conserver leur leadership, qu'il soit touristique, économique ou politique, les maires des grandes métropoles doivent aujourd’hui mettre au point un discours marketing et communicationnel très argumenté. De nos jours, les photos de jolies filles tout sourire devant un vieux monument ne font plus rêver personne... ou presque. Pour conserver leur attractivité, les agglomérations doivent posséder de nombreux atouts et les faire connaître au reste du monde. « La prise de conscience que la ville est devenue une véritable marque se développe », résume Boris Manaydier, un chercheur et consultant qui se définit lui-même comme « sculpteur de marques territoriales ». Logo, clip, plaquette, signalétique mais aussi présence sur les réseaux sociaux ou lors des salons professionnels, mise en place de comptoir unique pour les visiteurs ou les investisseurs, fusion ou mise en synergie des organismes en charge du développement économique et touristique... Les villes ne ménagent plus leurs efforts pour « rester au top », quitte parfois à se disperser dans trop de directions différentes. L’enjeu pour les mairies est, il est vrai, de taille... « La marque est un outil intéressant qui permet à une ville de développer une stratégie afin d’assurer son développement économique et de mieux se positionner vis à vis des autres agglomérations », résume Boris Manaydier, qui possède également un site sur la Toile spécialisé sur ce thème.
La marque rend la ville multi-facette
La naissance du « marketing territorial » est toutefois très récente puisqu’elle remonte tout au plus à une quinzaine d’années. Plusieurs facteurs ont encouragé cette (r)évolution. « Au début des années 90, la communication et le marketing étaient encore considérés comme des dépenses et cela ne plaisait pas aux financiers, juge M. Manaydier. Mais les gens ont compris récemment que la marque était bien plus que cela car elle est l’interface entre le territoire et l’ensemble de ses publics. Elle est nourrie par l'urbanisme, l'architecture, les entrepreneurs, le politique et n'appartient donc pas seulement au marketing et à la communication ».
« La marque est une boîte à outils qui permet à une ville de mieux se connaître et de mieux communiquer », complète Vincent Gollain, président du Club marketing Territorial de l'Association Nationale du Marketing (Adetem). La crise économique a également joué un rôle important car elle a fait comprendre aux villes que les touristes et les investisseurs ne viendraient plus chez elles sans efforts de leur part.
« Nous avons quitté les trentes glorieuses, prévient Vincent Gollain. Les villes sont davantage en compétition les unes avec les autres et leurs marchés se sont fragmentés. La demande s’est également raréfiée et la mobilité des personnes s’est accrue. Parallèlement à ces phénomènes, la décentralisation s’est accélérée, ce qui donne davantage de pouvoirs et de libertés aux autorités locales ». Des « clients » moins nombreux et plus exigeants pour des « offreurs » disposant de plus en plus de marge de manœuvre pour promouvoir leurs atouts. Les racines de l’essor du marketing territoire sont là...Comme souvent dans ces métiers, les Anglo-saxons ont montré la voie à suivre. Des villes comme Miami ou Manchester ont inspiré bien d’autres municipalités. Amsterdam et Barcelone font aussi figure de pionniers dans ce domaine. Mais se transformer en « marque » ne se fait pas du jour au lendemain pour une agglomération...
Créer et entretenir la valeur
« I Amsterdam a mis cinq ans pour faire connaître sa marque, calcule Boris Manaydier. La question de la notoriété d’une ville est plus complexe qu’on veut bien le croire. Il ne suffit pas d’avoir un nom connu dans le monde entier comme Paris ou New York pour se créer une véritable identité. Avant de faire quoi que ce soit, il faut se demander pourquoi on veut communiquer et définir les messages que l’on souhaite faire passer et les publics qu’on cherche à toucher. Le secteur public ne comprend pas toujours cela ». Vincent Gollain ne dit rien d’autre : « La véritable marque d’une ville c’est son nom historique, résume le concepteur-rédacteur du site marketing-territorial.org. Mais la difficulté est de mettre de la valeur et du contenu derrière elle ».
Certaines municipalités jugent qu’un joli logo et un nom « punchy » suffiront à accroitre leur notoriété et leur attractivité. Mais on peut se demander si « le carnaval de logos que l'on observe aujourd'hui apporte vraiment des réponses aux questions problématiques des territoires, s’interroge Boris Manaydier. Ou fait-on semblant, un peu par mimétisme et un peu par paresse ?
».
Le président du Club marketing Territorial de l’Adetem partage cette opinion : « Une communication axée sur un simple logo et du branding n’apporte pas grand chose, critique cet expert. Une ville doit aller plus loin en proposant un portefeuille complet de services et d’avantages ».
Pour être attractive, une agglomération doit offrir une bonne qualité de vie. L’offre culturelle attire également beaucoup de cadres bien formés ainsi que des visiteurs. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Abu Dhabi dépense de véritables fortunes pour abriter des antennes du Louvre et du musée Guggenheim dans son émirat.
« Mais les gens et les investisseurs ne choisissent plus aujourd’hui une ville où s’installer en feuilletant un simple catalogue comme peuvent encore le faire les touristes, ajoute Boris Manaydier. Pour séduire des salariés où des sociétés, une municipalité doit leur donner la possibilité de réaliser leurs projets. Je connais ainsi une designer qui s’est installée à Saint-Etienne, alors qu’elle avait une perception négative de cette ville, pour la seule et simple raison que cette commune abritait une bonne école de design et une biennale reconnue ». C’est souvent une conjonction de plusieurs critères qui convainc une personne à aller dans une ville plutôt que dans une autre. « Un choix se fait comme dans l’électronique autour d’un mélange de « hard » et de « soft », résume Vincent Gollain.
Le « hard », ce sont les infrastructures et la qualité de vie notamment. Le « soft », ce sont les services qu’une agglomération propose, comme l’aide à l’implantation. L’idée est d’agréger les services municipaux et de les rendre intelligibles par tous ». Au sein de son dispositif baptisé « Le Havre, Be Different », le port normand a ainsi mis en place un site Internet dédié (www.be-lehavre.com) qui propose une vue complète sur l'installation possible d'un salarié ou d'une famille dans la région. Pour les entreprises locales qui ont du mal à recruter des personnes de l’extérieur en raison du déficit d’attractivité dont souffre la ville, la municipalité met gratuitement à leur disposition un ensemble d’outils (photos libres de droit, clip, animation vidéo, plaquette, signalétique...) qu’ils peuvent intégrer à leurs propres dispositifs de communication de recrutement.
Le marketing des villes moyennes
Si certaines métropoles comme Amsterdam (www.iamsterdam.com), Miami (ourmiami.org), Lyon (www.onlylyon.org) ou Toulouse (www.sotoulouse.com) sont assez grandes pour développer une marque « globale », les plus petites villes doivent, elles, se concentrer sur des niches et développer une politique de marketing pointue qui vise exclusivement les cibles recherchées. Evry, dans l’Essonne, l’a parfaitement compris en se concentrant dans les biotechnologies (www.genopole.fr) alors que Dunkerque a préféré centrer sa marque « Made in Dunkerque » sur sa longue tradition industrielle (www.dunkerquepromotion.org). Une agglomération plus modeste « doit creuser son sillon en se concentrant sur un seul marché, recommande Vincent Gollain. C’est plus difficile à faire que de communiquer dans tous les sens car il faut faire des choix, mais les résultats sont souvent plus efficaces ».
Une marque territoriale ne peut aussi être efficace que si tous les acteurs de la ville travaillent main dans la main. « Une marque doit être portée par tout un ensemble d’intervenants, résume Vincent Gollain. À la différence du marketing d’entreprise, dans lequel le dirigeant de la société décide de tout, le marketing territorial fonctionne uniquement si l’acteur public parvient à faire travailler ensemble les politiques avec le tissu associatif, les entreprises et les gestionnaires de grands équipements comme les ports et les aéroports ». Un « mariage » compliqué à réaliser...
Ce marché est encore loin d’avoir atteint sa maturité. « Nous allons assister à un double mouvement, prédit le fondateur de www.marketing-territorial.org. Après avoir beaucoup trop investi dans des logos et autres signalétiques, les villes vont tout d’abord revenir aux fondamentaux en faisant des études de marché plus poussées pour connaître les désirs de leurs cibles. Parallèlement, la compétition entre les agglomérations est là pour rester et la poursuite de la décentralisation va réduire le nombre d’acteurs publics et accroître leurs moyens et leur puissance pour faire connaître leur marque ». Le marketing territorial a donc encore de beaux jours devant lui...
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frederic therin
Rédacteur
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