Longtemps en France, les centres commerciaux se sont multipliés hors de la ville, en périphérie très éloignée des centres-villes, sur de vastes sites conquis souvent sur des terres agricoles que l’on ne pouvait atteindre qu’en voiture. Véritables « boîtes à chaussure », l’architecture et le design n’étaient pas leurs points forts - et ce n’est pas ce qu’on leur demandait - le consommateur étant alors surtout sensible à une offre large à prix bas, notamment alimentaire. Les élus se contentaient de signer les permis sans grand souci de schémas d’urbanisme ou d’impact sur l’environnement et leurs centres-villes. Depuis, avec l’évolution des comportements et des modes de vie, le modèle a changé.
Retour vers le centre-ville
« Pas de centre-ville sans commerce », souligne Laurent Lehmann, DGA, CBRE France. « Le commerce, c’est la vie », ajoute Cédric Ducrocq, fondateur et PDG de Dia-Mart. Jean-Michel Silberstein, délégué général du CNCC (Centre national des centres commerciaux) le reconnait : « La redynamisation des centres-villes est une vraie problématique pour les élus ». Longtemps, centre commercial et centre-ville ont semblé antinomiques. Aujourd’hui, l’urbanisme commercial est un facteur reconnu de développement territorial, et, comme le souligne Thomas Hebert, directeur du département Etudes & Conseils, Cushman & Wakefield France : « le centre commercial est l’élément clé d’une requalification urbaine ». Les élus sont désormais très attentifs à l’intégration des projets commerciaux très en amont des programmes de rénovation ou de développement urbains.
Le renouveau de Birmingham
Bullring (110 000 m2), à Birmingham, est un exemple flagrant du dynamisme économique et social que l’arrivée d’un centre commercial peut apporter à une ville. Détruite pendant la seconde guerre mondiale, Birmingham avait été reconstruite de façon catastrophique et sans âme. « Le projet commercial de Bullring, à l’architecture spectaculaire, a été voulu par les élus comme la pierre angulaire du développement de la ville et de la rénovation de son centre », explique David Aboulkheir, directeur adjoint, Chaire Attractivité & Nouveau Marketing Territorial, Sciences Po Aix. Aujourd’hui, Bullring est l’une des principales destinations shopping des Midlands et génère un CA annuel de plus d’1 Md£.
En France, les exemples sont nombreux
À Lyon, les projets de développement visant à tirer vers le haut le quartier d’affaires de La Part Dieu se font autour et avec le centre commercial de la Part-Dieu (130 000 m2) comme pivot.La rénovation actuelle du centre commercial Saint Jacques dans le centre-ville historique de Metz et l’ouverture prochaine du centre commercial Muse (en face du musée Centre Pompidou de Metz) dans le nouveau Quartier de l’Amphithéâtre ont également pour ambition de donner à la ville une nouvelle attractivité. À Marseille, Les Terrasses du Port (qui a ouvert fin mai 2014 sur 61 000 m2) est emblématique du projet de réunification de la ville avec son port. Beaugrenelle s’est inscrit dans un vaste projet de requalification globale du Front de Seine à Paris. Et les exemples de ce type sont innombrables.
Donner vie à une friche industrielle
La réhabilitation de friches industrielles situées dans le péricentre avec pour catalyseur un centre commercial est un autre schéma. À Paris, Bercy-Village a redonné vie aux anciens entrepôts de vin de la capitale. À Lyon, pour faire de la friche urbaine La Confluence un lieu de destination, un « pôle de loisirs et de commerce » a été construit, prélude à la rénovation urbaine. « Le centre commercial de la fin du 20e siècle et du 21e arrive d’abord, puis vient la ville » fait remarquer l’architecte Jean-Paul Viguier. En Pologne, à Lodz, le complexe commercial Manufaktura (centre commercial, théâtre, musées, galeries, restaurants, loisirs, cinéma, discothèque, hôtel,...), ouvert en 2006 sur le site d’une ancienne usine textile (27 ha), est devenu en quelques années « une ville dans la ville ».
À Bruxelles, sur le plateau du Heysel, site de l’exposition universelle comprenant le stade éponyme de sinistre mémoire, naîtra bientôt Europea, un nouveau morceau de ville à la programmation culturelle, commerciale (dont le Mall of Europe) et de loisirs inédite dans la capitale belge. « Rendre la ville meilleure est un grand sujet pour les architectes », souligne Jean-Paul Viguier, Maître Architecte du projet.
Créer de nouvelles centralités
Les centres commerciaux Ruban Bleu à Saint-Nazaire, Les Rives de l’Orne à Caen, Westfield à Londres, sont autant d’exemples de créations de nouvelles centralités urbaines, au cœur de quartiers en pleine restructuration ou de villes nouvelles en création, comme l’ont été en leur temps les centres commerciaux Val d’Europe, Carré Sénart ou Espace Saint Quentin. Quant aux centres commerciaux dans les gares en France (Saintt Lazare,...), en Italie, en Allemagne ou en Suisse, ils créent de nouveaux usages et de nouveaux flux à l’intérieur des villes.
Apporter de la valeur
« Les collectivités locales sont dans une logique de concurrence entre elles pour faire venir des talents, créer de l’emploi, renforcer l’attractivité, trouver de nouvelles sources de revenus. Tout ce qui touche au centre commercial est une question fondamentale », souligne Philippe Mirmand, associé, Kurt Salmon, car un centre commercial est fournisseur d’activité économique (de 100 à 300 M€ pour les plus grands). Son arrivée est créatrice d’emplois, souvent locaux, jusqu’à 1 500 à 2 000 sur un seul site.
Il est également créateur de valeur. Il transforme des quartiers urbains souvent déshérités en terrain à forte valeur ajoutée, avec des mètres carrés qualitatifs et des emplois pérennes. La proximité d’un centre commercial permet de mieux « vendre » un quartier, des bureaux, des logements à de nouveaux investisseurs, acquéreurs ou locataires. Encore faut-il que les transports en commun et les accès soient bien planifiés en amont, ce qui n’est pas encore toujours le cas, notamment en France.
Fournir des m2 au commerce
« Le centre commercial apporte un espace bien conçu, moderne, proposant aux enseignes de larges surfaces très difficiles à trouver en centre-ville », fait remarquer Jean-Michel Silberstein. Est-ce la mort des commerces existants ? L’ouverture de Zlote Tarasy à Varsovie n’a pas entraîné la fermeture des magasins de la rue Marszalkowska, bien au contraire. Elle a créé une offre nouvelle et complémentaire.
Le centre commercial Saint Jacques à Metz est l’élément central d’un plateau marchand en zone piétonne rassemblant 450 boutiques sur 500 m2 de cœur de ville. Et on peut poser la question, avec l’arrivée de Beaugrenelle, les rues Emile Zola et Charles Michels dans le 15e arrondissement de Paris pourraient-elles, un jour, devenir de nouvelles rues de la mode ?
S’intégrer dans la ville
Mais comment faire pour que les centres commerciaux deviennent passeurs de vie ? « Ils doivent être des lieux respectueux des consommateurs, des lieux de convivialité et d’émotion, notamment en centre-ville », explique Maurice Bansay. D’où l’attention particulière donnée aujourd’hui à l’écriture architecturale, au design, à l’ouverture sur la ville, le recours massif à la lumière naturelle et à la transparence, aux espaces verts.
Les ouvertures récentes (Qwartz, Aéroville, Beaugrenelle, Les Terrasses du Port) et à venir en France (La Vill’Up à Paris...), les rénovations de centres existants récentes (Les Quatre-Temps à La Défense, Les Passages à Boulogne-Billancourt, Toison d’Or à Dijon, Centre Jaude à Clermont-Ferrand,...) ou futures (Grand Cap au Havre, Forum des Halles à Paris, ...) en témoignent. « Les centres commerciaux doivent évoluer et innover pour capter des clientèles aux exigences multiples, apporter de l’esthétisation et un maximum de services pour répondre aux besoins des citadins et satisfaire des situations et des modes de vie divers », explique Danielle Rapoport, sociologue.
Un lieu de vie et de rencontres
Aller au-delà du simple consumérisme et se transformer en lieu de vie où l’on vient se détendre, flâner, échanger, seul, en famille ou entre amis ; tel est le nouveau modèle. La part des loisirs et de la restauration devient de plus en plus importante. « Au-delà de l’événementiel, le centre commercial doit également aller sur le terrain de l’éducatif (cours de cuisine, d’anglais, de danse...), voire l’associatif (lieu de rencontre des associations) et pourquoi pas de la santé » explique Eric Damiron, PDG de Corio France, qui met en place la stratégie de « Favourite Meeting Places » (Grand Littoral à Marseille, Navé de Vero à Venise). La programmation événementielle de Bercy-Village vient animer tout un quartier. « Pour nous, propriétaires et gestionnaires de Bercy-Village, l’appel aux événements culturels (musique, jazz, opéra, expositions, etc...) était évident pour faire revivre ce quartier », fait remarquer Jean-Luc Bougaci, directeur Centres Commerciaux chez Altarea Cogedim.
Désormais pour les élus et les gestionnaires de centres commerciaux, un seul mot d’ordre, résumé par Laurent Morel, Président du Directoire de Klépierre : « Nous voulons créer les conditions d’une expérience de commerce urbaine et humaine de qualité ». Et Jean-Pierre Lefebvre, président fondateur de AKDV, l’agence qui a réalisé la rénovation de l’Espace Saint Quentin renchérit : « Les nouveaux centres commerciaux ont créé des standards beaucoup plus élevés de services, de détente et de confort ».
Si dans le mot « ville », il y a « vie », le centre commercial dans la ville devrait avoir toute sa place pour y contribuer.
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anika michalowska
Rédactrice
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