Moins créatives, tu meurs ! Essen, Bilbao, Cracovie, Lille... quels points communs ? La créativité et la culture bien sûr ! Ce concept de villes créatives, forgé par les travaux de Charles Landry et Richard Florida dans les années 80, désigne les potentiels de la culture à transformer la créativité en prospérité durable pour les populations urbaines. Devenu label ou facteur d’attractivité, il a connu depuis une stimulante postérité. « L’importance culturelle des villes mondes va de pair avec leur statut financier ou commercial, souligne le rapport « Culture dans les villes mondes » du World Cities Culture Forum (WCCR, 2012). Les activités culturelles et créatives sont aussi des instruments précieux de régénération urbaine ». À tel point que toutes les initiatives urbaines deviennent « créatives » : de la création d’un équipement ou événement culturel... à la gestion des automobilistes ou des ronds points !
Villes créatives et économie créative sont indissociables
« Un territoire qui investit dans une implantation culturelle est plus dynamique que ses bassins de vie témoins, et la prise d'initiatives dans le champ culturel est sans doute une des composantes d'une dynamique de performance socio-économique », constatait cliniquement le récent rapport de l’inspection des Ministères de la culture (IGAC) et de l’économie (IGF). S’il couronne les études qui soulignent le rôle de la culture comme un initiateur immatériel de nouveaux procédés sociaux, il insiste aussi sur le fait que la corrélation est loin d’être automatique, appelant à l’élaboration d’outils fiables : « Compte tenu des exigences d’efficience imposées à toute politique publique, la méthodologie d’évaluation de l’impact d’un investissement culturel pourra, à terme, permettre d’éclairer les décideurs afin de dégager les profils culturels ayant le plus d’effets sur le développement des territoires, et éventuellement de privilégier le financement d’un certain type d’implantation, afin de maximiser à la fois l’apport culturel et son impact économique ».
Etre « smart »
En plus d’être « créative », la ville doit aussi être « smart », concept récent qui ajoute à son attractivité sa capacité à valoriser les données produites par l’écosystème urbain pour lui proposer de meilleurs services : « Au sein d’un projet de Smart City, souligne Philippe Torres de l’Atelier BNP Paribas, dans son étude Big Data = Big Culture , les industries de la culture peuvent trouver un axe de développement économique en symbiose avec ceux des autres secteurs d’activités, publiques et privées, avec les entreprises de toutes tailles et avec la population, locale ou étrangère. Pour donner ou faire redécouvrir à la ville et sa région un attrait, une dynamique et peut-être même une raison d’être, profondément cachés dans leurs « origines ».
Des origines qu'on peut espérer retrouver, en s’intéressant à l’information qui leur permet de s’exprimer ».
Innovation et créativité, deux attraits majeurs de la ville de demain
Pourquoi ? Pour fidéliser, attirer et séduire les ménages, les entrepreneurs, les étudiants, les touristes, et par ces temps de disette budgétaire publique, les investissements. Très attendue par tous les professionnels du tourisme, de la communication et de l’image et par tous les acteurs qui militent au quotidien pour la défense du rang international de leurs villes, la concurrence entre les indices – et les villes classées – s’exacerbe, entrainant la multiplication des critères quantitatifs et qualitatifs, à mélanger sans modération, mais avec justesse.
Des index pour mesurer l’attractivité urbaine
À la suite de ses travaux pour le Forum d’Avignon sur la culture map , le « Creative Cities index » de Charles Landry évalue et mesure « l'impulsion imaginative de villes » à partir de 10 critères comme le caractère distinctif du cadre politique et public, la diversité, la vitalité et la liberté d'expression, la confiance, la tolérance et l’esprit d'entreprise... Parmi les 17 villes adhérentes, les villes d’Helsinki, Gand et San Sébastien tirent leur épingle du jeu.
Dans un autre registre, la 6e édition de « Cities of opportunity » conçue par PricewaterhouseCoopers, met une trentaine de « villes-mondes » en comparaison à travers 60 critères comme la qualité de la vie, le système éducatif, la protection de l’environnement, la préservation du milieu naturel, les transports en commun et les embouteillages, les difficultés à se loger, le prix de la vie « ville la plus chère au monde ». À cette grille, Londres devance New York, Singapour, Toronto et San Francisco... Et les auteurs soulignent la descente de Paris dans le classement : « S'il devait y avoir une reprise plus marquée de la confiance, la capitale aurait tous les atouts pour attirer les investisseurs », a commenté Bernard Gainnier, président de PwC France et Afrique francophone à l'AFP. Chacun peut même à travers un outil interactif choisir sa ville de vie en fonction de ses propres critères... « Le futur rôle de la culture et des industries culturelles dépend de sa façon à contribuer à l’innovation ».
Nourrir la diversité plus que la concurrence
Plus que de renforcer une concurrence entre les villes avec une notation soi-disant d’excellence, forcément subjective selon les motivations d’une part et accentuant les effets de mode d’autre part, alors que les investissements engagent pour 20 à 30 ans. Une coopération entre l’économie, l’industrie, le tourisme, l’innovation, le développement urbain et régional et l’urbanisme doit être renforcée, même si les exemples de Bilbao, d’Essen, de Metz ou de Lens démontrent déjà ce que la culture peut transformer. « Aujourd’hui, nous valorisons les villes en tant qu’espaces d’apprentissage social, plus que comme des espaces touristiques souligne Bernd Fesel, conseiller principal d’ecce et du Forum d’Avignon Ruhr. Nous nous concentrons sur la stratégie et le renforcement des processus de développement, avant de financer des projets uniques et d’avoir un retour sur investissement ».
Plaidoyer pour une « écologie créative »
Dans une ère ou tout est « post » : industriel, analogique, démocratique, partum, scriptum,... il est temps d’inventer le « pre » culturel et de s’y plonger avec délectation. Quand les structures sociales et communautaires semblent organisées pour résister au changement, la culture peut répondre à la complexité des demandes individuelles et des défis collectifs. Il s’agit de conjuguer culture, économie et social, en agitant et combinant les facettes de la diversité. L’économie créative constitue un moteur essentiel... Ses parties prenantes devront être notamment des innovateurs numériques, s’appuyant sur de nouvelles formes culturelles comme le jeu vidéo ou le street-art ou sur les nouveaux métiers de la culture : responsable de laboratoire de fabrication numérique, forgeurs numériques, game designer, architectes d’histoires, gardiens du temple des données culturelles numériques, ... Mais aussi seront-elles sans doute poussées à changer et à élaborer de nouveaux modèles économiques et culturels – comme ce fut le cas dans l’industrie de la musique, du cinéma ou du livre.
L’écologie créative, dans la ville, nourrit également l’ambition de mesurer et de valoriser une « empreinte culturelle » pour les générations à venir sur le modèle de l’ « empreinte écologique », mesure ambitieuse qualitative et quantitative qui s’inscrit dans la droite lignée des travaux de Sen – Stiglitz – Fitoussi qui visent à définir l’impact de la culture « au delà du PNB ».
La culture comme catalyseur de l’énergie des villes urbaines et des territoires créatifs
« Les villes ayant le bon angle stratégique, la faculté de se concentrer à long terme sur des perspectives tournées vers l’avenir, seront capables, rappelait le regretté Iñaki Azkuna, maire de Bilbao (1999-2014), en présentant le Forum d’Avignon Bilbao 2014, d’exceller en dehors des dynamiques globales. Une culture d’ouverture et de curiosité, adoptant une éthique qui valorise le débat, la pensée critique et l’apprentissage est essentielle pour mettre en place un « cerveau pensant » pour la ville, capable d’être à l’écoute des meilleures initiatives du monde, et d’essayer d’aller au-delà ».
Cette vision rejoint celle de Paul Valéry qui rêvait à une autre échelle l’Europe « comme une ville gigantesque. (...) assez petite pour être parcourue en un temps très court (...) assez grande pour contenir tous les climats ; assez diverse pour présenter les cultures et les terrains les plus variés. Au point de vue physique, c’est un chef-d’œuvre de tempérament et de rapprochement des conditions favorables à l’homme. Et l’homme y est devenu l’Européen ».
1-The Creative City : A Toolkit for Urban Innovators Routledge, 1995. 2-Culture dans les villes mondes’ du World Cities Culture Forum, 2012, version française 2014, co-redigé avec Grand Londres et Institut d’aménagement et d’urbanisme, Ile de France. 3-L'apport de la culture à l'économie en France, 2013. 4-Voir les 25 études du Forum d’Avignon : Kurt Salmon, Tera Consultant, EY, Bain & Cie, L’Atelier BNP Paribas, Louvre Alliance et spécifiquement Attractivité culturelle du territoire et cohésion sociale. 5-Big Data = Big Culture ? Le pouvoir grandissant de la Data et ses perspectives pour l'économie de la Culture, étude de l'Atelier BNP Paribas pour le Forum d'Avignon 2013. 6-Creativity, culture and the city, étude de Charles Landry pour le Forum d’Avignon 2011, enquête sur six villes européennes dans le cadre du partenariat entre le Forum d’Avignon et le Forum d’Avignon RUHR / ECCE. 7-Note (ou l’Européen), Paul Valéry, 1924
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laure kaltenbach
Elle est DG du Forum d’Avignon, laboratoire d'idées sur les liens entre culture et économie, et anime le blog culture is future. Elle a publié Les nouvelles Frontières du Net - Qui se cache derrière Internet ? ( Ed. First 2010 ).
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