Les plateformes sociales et les moteurs de recherche sont basés sur des algorithmes censés nous proposer des contenus qui nous correspondent. Mais qu’en est-il du contenu qui ne nous correspond pas, mais pourrait nous intéresser, nous divertir ? Qu’en est-il de la diversification de nos horizons ? Comment ne pas se retrouver devant le miroir si peu déformant de nos envies supposées ? Le concept n’est pas nouveau, c’est le fameux enjeu de la Filter Bubble chère à Eli Pariser, auteur et notamment cofondateur de l’ONG internationale de cybermilitantisme Avaaz.org, suivi de près par les géants du Net, Bill Gates en tête.
Tyrannie de bulle
Les plus sceptiques argumenteront sans doute que ce sont surtout nos amis qui nous poussent du contenu via ces plateformes. Certes, mais les personnes et les contenus que nous voyons ne sont conditionnés que par les interactions qu’on veut bien y apposer.
QU’EN EST-IL
DE LA DIVERSIFICATION
DE NOS HORIZONS ?
Faites l’essai. Fouillez parmi votre liste d’amis sur Facebook, trouvez quelqu’un que vous avez l’impression de ne plus voir depuis longtemps et likez sa dernière publication. Vous verrez alors la magie de l’algorithme se mettre en place et, ô miracle, chacune de ses publications remonter maintenant sur votre fil. Et ne parlons pas de l’effet démultiplié s’il s’agit d’un média ou d’une marque ! Les réseaux sociaux ne sont que la face émergée de l’iceberg, les médias suivent petit à petit cette même logique automatisée : Netflix, Amazon ou encore le New York Times et le Huffington Post suivent la même logique de personnalisation de votre information et de votre divertissement.
La question n’est donc pas : comment trouver du contenu censé nous divertir ? Mais : comment trouver du contenu qui ne soit pas censé nous divertir, a priori ? un contenu qui nous surprenne vraiment, auquel on n’aurait jamais pu penser ? Finalement, n’a-t-on le droit qu’au divertissement que l’on mérite ? Il est temps de proposer des solutions, des approches différentes qui peuvent nous permettre à tous de découvrir du contenu divertissant d’une
autre manière. Quels que soient leurs producteurs (marques, médias, individus), ces contenus ont alors le mérite de venir à vous sans nécessairement avoir été « présélectionnés » pour vous par
une machine censée vous connaître. Le but : que nous redevenions les éditeurs de notre divertissement, les rédacteurs en chef de nos vies digitales, pour enfin espérer nous divertir par nous-mêmes et pour nous-mêmes.
Des généralistes aux spécialistes
Une première voie intéressante peut être celle de quitter les « généralistes » pour aller chez les « spécialistes ». En effet, il existe des sphères de contenus bien plus spécialisées que les plateformes sociales classiques. Des contenus qui ne jurent pas que par le reach (l’audience des abonnés) et donc l’algorithme. Ainsi, par exemple, l’évident Twitch TV (service de streaming et de VOD de jeux vidéo, de e-sport et d’émissions apparentées lancé en juin 2011) nous permet de nous plonger dans l’univers du social & live gaming. Avec plus de 10 millions d’utilisateurs actifs par jour et 2 millions de streamers, vous avez de quoi faire. Dans la même lignée, le secteur de la musique regorge bien entendu de ces réseaux spécialisés, du fameux Soundcloud à BandCamp, qui permet de découvrir des petits groupes indépendants autofinancés ou financés par la communauté, dans la lignée des projets « crowdfoundés ».
Du desktop au mobile
Une seconde approche peut constituer une alternative intéressante à la pression algorithmique : celle des contenus pensés directement pour mobile. Ces contenus sortent, pour le moment, des radars « classiques ». À l’instar des studios Blackpills (créés par Patrick Holzman, ex-Allociné, et Daniel Marhely, ex-Deezer, avec le soutien de Xavier Niel, patron de Free) ou Studio + (du groupe Vivendi), ces applications proposent chaque semaine de nouvelles productions de qualité pensées exclusivement pour la mobilité, à télécharger directement sur portable, accessibles hors connexion et sans algorithme – du moins pour l’instant. Il se murmure que, sur le sujet, d’autres grands acteurs français de la production de contenus seraient dans les starting-blocks.
INTERNET, C’EST MILLE
ET UNE FAÇONS DE SE LAISSER
SURPRENDRE.
Du local au global
Troisième option : la géolocalisation, qui peut également être un moyen pour découvrir du contenu divertissant, venu du monde entier. Snapchat, réseau social innovant dans le domaine, a ainsi lancé sa Snap Map en juin 2017, suite au rachat de la petite française Zenly, l’appli pour retrouver ses amis (et quand on est parent ses ados…) pour plusieurs centaines de millions d’euros. Elle permet donc de découvrir les snaps autour de soi, mais surtout en provenance du monde entier, en temps réel.
Autre démarche intéressante, celle de la branche TV de Vice Media Viceland et de sa myriade de déclinaisons thématiques (Motherboard, Noisey, Munchies, etc.), toutes autant dédiées aux 16-35 ans. Le magazine se présente comme une « encyclopédie de la contre-culture », vaste proposition alternative ! Un média qui a le mérite de multiplier les points de vue de journalistes majoritairement locaux, soit un angle et un traitement différents, même sur les sujets abordés dans les grands médias. Pas étonnant que ses dirigeants aient levé en juin 2017 450 millions de dollars pour monter Vice Studio et renforcer ainsi leur présence vidéo multicanale, et internationale.
C’est vous qui voyez
Rassurons-nous donc, le tableau n’est pas si noir. Bien entendu, il existe de nombreuses voies de découverte, mille et une façons de se laisser surprendre. Il semblerait simplement que les réseaux sociaux et les moteurs de recherche ne soient plus l’une d’entre elles. Vous et moi sommes les responsables du divertissement que l’on reçoit, pour le changer, il nous faut dorénavant être un peu plus proactifs dans nos recherches et un peu plus critiques dans nos choix.
Guillaume le Gorrec
Il est cofondateur de l’agence Sweet Spot, ex-directeur du planning stratégique chez Marcel. Maître de conférences à Sciences Po Paris, il est auteur pour Arte.