« Los Angeles est une ville où les choses se font, une ville de makers. Il existe un rapport physique et profond avec la création, qui y est une réalité tangible. Ici, il y a des entrepreneurs qui se risquent, des artistes qui créent et des réalisateurs qui écrivent des histoires. Los Angeles sait raconter des histoires, c’est une ville de gossips, une scène de théâtre avec des personnages réels dans leurs rôles. » Philippe Vergne n’a pas attendu de prendre la direction du musée d’Art contemporain de Los Angeles (MoCA) pour s’émerveiller de la puissance créatrice de la Cité des anges. Auto-estampillée capitale mondiale du divertissement, la mégalopole californienne est devenue en cinq ans un hub de la créativité artistique et publicitaire.
« L.A. EST UNE ÉPONGE »
Dans la Mecque de l’image et du storytelling, le contenu créatif n’a jamais autant rapproché la pub de l’art. Restée longtemps dans l’ombre de New York, l’Européenne raffinée, prise au piège des préjugés que véhicule sa tendance futile à la starification, L.A. est aujourd’hui le nec plus ultra de la création de contenu. « Tous les artistes vous diront qu’il y a ici une inspiration quotidienne dans l’air », témoigne Jason Kramer, DJ et animateur sur la radio alternative et communautaire KCRW. « La richesse de son melting-pot culturel ne s’arrête pas à la musique. Des artistes français comme Thomas Canto et Speedy Graphito sont ici très populaires, leur travail est influencé par l’effervescence locale du street art et des graffitis. »
« L.A. est une éponge. Elle a énormément absorbé en ayant la chance de ne jamais être considérée comme un centre névralgique, permettant aux artistes de grandir par les synthèses de tous ces courants culturels différents. L’intérêt accentué sur la ville permet maintenant de constater que ces influences ont produit quelque chose », développe Philippe Vergne, qui parfois le week-end prend le pouls de la ville en y conduisant pendant des heures sans boussole. Le regard qu’il porte sur son pouvoir de création et d’innovation peut servir de postulat. Pour comprendre. Pour appréhender la spécificité d’une ville tentaculaire au sommet de sa hype.
« Que ce soit dans la mode, la musique, la photo ou l’art contemporain, la ville abrite aujourd’hui toute une industrie de création et d’innovation. C’est le fruit d’un long développement et d’une stratification progressive. Los Angeles a complété toutes ses phases de développement pour arriver aujourd’hui à une maturation où tout se cristallise autour d’elle. C’est là que s’installe le marché de l’art aujourd’hui. Entre les investissements étrangers et les espaces encore en friche du patrimoine immobilier du centre-ville, artistes, galeristes et collectionneurs peuvent y prendre des risques. Ce n’est pas une ville disciplinée, elle est encore un peu chaotique, avec des frictions et un urbanisme qui engendrent une dynamique intéressante et une atmosphère d’innovation. »
CUEILLIR LES FRUITS DU DIVERTISSEMENT
Que ce soit sur Sunset ou Hollywood Boulevard, Venice ou Playa Vista, la pub et le marketing rejoignent le mouvement. Eux aussi veulent en être. « Ce n’est pas seulement la culture du divertissement qui rend cette ville si exceptionnelle, mais la convergence d’une effervescence historique dans les milieux de la mode, de l’art, de la musique, de la gastronomie et de la technologie. Il est en train de se passer quelque chose d’assez extraordinaire, tout le monde veut y être, les agences comme les marques. Avoir une présence ou un partenaire à L.A. est devenu indispensable. C’est sur la côte ouest des États-Unis que tout est en train de se passer », confirme Luis DeAnda, le président de TBWA\Chiat\Day.
« Hollywood est ici, et ce n’est pas juste du cinéma, mais aussi de la publicité. L.A. est un endroit où il faut désormais être, car le contenu et le divertissement sont devenus incontournables dans la pub », ajoute Eduardo Marques, directeur créatif exécutif de 180 L.A., basée à Santa Monica. Hollywood ne possède plus le monopole sur les talents créatifs de la ville, le brand content et la co-créativité sociale sont passés par là. « La culture de Los Angeles nous aide beaucoup également. Énormément de boîtes viennent maintenant s’installer ici, YouTube, Snapchat, Google, Yahoo ! C’est vraiment une combinaison entre “Mad Men”, le divertissement hollywoodien et les nouvelles technologies de la Silicon Beach. Quand vous mélangez tout cela, vous arrivez à quelque chose d’unique », analyse Rafael Rizuto, lui aussi directeur créatif chez 180 L.A.
THE KEY HERE IS CINÉ + PUB + TECH
Et si on lui demande si ce mariage entre le digital, Hollywood et la pub n’en est encore qu’à ses prémisses, la nouvelle recrue brésilienne de l’agence de Santa Monica répond par l’affirmative : « Il y a quelques années, le cinéma détestait la pub, qui détestait la tech. Aujourd’hui, les agences comprennent l’importance de rassembler ces trois domaines. Nous avons l’impression de créer quelque chose de totalement nouveau. Il n’y a pas longtemps, une agence a reçu un Emmy Award pour un spot de RP ; on voit donc de grands réalisateurs se lancer dans la pub au lieu de faire un film par an. Ils y amènent un point de vue hollywoodien. » Pour les agences, le seul moyen de profiter pleinement de cette convergence inédite est d’attirer les talents dans une nouvelle capacité. Le storytelling change, et les créatifs possèdent aujourd’hui un canevas assez clair du contenu avec lequel ils peuvent travailler. « Si nous allons puiser dans le réservoir de l’industrie du divertissement, alors nous tirons vraiment avantage de Los Angeles. Il faut identifier les meilleures personnes pour produire le contenu adéquat, et elles ne seront pas toujours au sein des agences », confie Luis DeAnda. « Il faut que nous devenions davantage des storytellers. C’est aujourd’hui le plus grand marché de contenu et de divertissement », martèle Eduardo Marques.
« Los Angeles est l’épicentre du changement.
nous ne sommes plus du tout dans une industrie
unidimensionnelle » K. Costello
Illustration de Laura Ancona
L’intégration des mastodontes de la Silicon Beach dans les processus de création est également un défi majeur pour la créativité publicitaire « made in L.A. » Leurs technologies digitales peuvent aider les agences dans leur storytelling, surtout l’émotionnel. Le digital peut servir de levier d’interaction avec l’audience. « Il y a des agences qui s’inspirent des start-up, mais n’ont pas la connaissance du brand content et du storytelling. D’autres sont très douées pour le storytelling mais n’ont pas la technologie », reconnaît Rafael Rizuto. Quand l’union fera la force, les agences et leur approche customer-centric pourront presque rivaliser avec les studios. Quand une marque voudra produire son propre long métrage, comme Virgin Airlines l’a déjà fait, pourquoi ne passerait-elle pas par son agence plutôt que par un studio ou une société de production externe ? Ce n’est pas un hasard si Deutsch L.A. est en train de se doter d’un studio de production in house.
« Le fait qu’autant de talents se réunissent au même moment à L.A. est en train, je pense, de créer quelque chose de spécial. Quand on pense à comment CAA (la plus grosse agence « développeur de talents », ndlr) s’est invitée dans le jeu du contenu, c’est révélateur du phénomène, analyse Karen Costello, EVP de Deutsch L.A. Les talents des start-up, des réseaux sociaux ou des boîtes de production passent aussi par les agences et amènent leur expérience. Les gens qui arrivent à Los Angeles apprécient la qualité de vie et ne veulent plus bouger, tous ces talents contribuent donc à la scène locale du contenu. Nous-mêmes avons engagé des gens qui avaient écrit des séries pour la Fox, des comédiens de stand up, des anciens employés de CAA et vice-versa. Il y a des gens d’ici qui se tournent vers CAA ou d’autres métiers du divertissement. Il y a une imbrication entre ces différents métiers qui est typique de L.A. Nous comprenons tous que nous jouons dans la même cour et que nous avons besoin d’intégrer le même genre de démarche créative, que ce soit dans la musique, le cinéma ou la publicité. Los Angeles est l’épicentre de ce changement. Nous ne sommes plus du tout dans une industrie unidimensionnelle. » La pub change donc et, n’en déplaise à Don Draper de « Mad Men », c’est à Los Angeles que les nouveaux cadres se construisent.
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benjamin adler
Rédacteur
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