Pas facile de suivre… Les babyboomers ont toujours été d’avides consommateurs, et les personnes âgées de 50 à 64 ans représentent encore aujourd’hui « la génération la plus profitable de l’industrie du marketing », selon l’association de marketing et de recherche ThinkTV. En revanche, les 18-34 ans sont, eux, beaucoup moins dépensiers. Ils réalisent en moyenne 80 actes d’achat par an, contre 100 pour les 35-49 ans, 116 pour les 50-64 ans et 121 pour les 65 ans et plus. Les marques doivent donc se creuser bien plus les méninges pour apprivoiser – sans même parler de les fidéliser ! – ces consommateurs en herbe.
Leur éducation
a été très
permissive et axée
sur le compromis.
Leurs parents
ont constamment
cherché à les
séduire.
La France compte aujourd’hui 16 millions de millennials, et le monde 2,3 milliards. « Ces jeunes sont issus de familles qui ont eu en moyenne moins de deux enfants, rappelle Carol Allain, l’auteur de l’ouvrage Le Choc des générations [Éd. Château d’Encre, 2017]. Leur éducation a été très permissive et axée sur le compromis. Leurs parents ont constamment cherché à les séduire. C’est pourquoi je parle de “séducation”. Mais ces jeunes appartiennent aussi à la toute première génération qui est “mondialisée”. J’ai été frappé de voir des jeunes Marocaines ou quelques-uns des 100 millions d’enfants uniques chinois rechercher exactement les mêmes choses que les Canadiens. » Les millennials représenteront 75 % des actifs en 2030. Mais comment leur parler et quoi dire à ces « brebis égarées » pour qu’elles reviennent dans la bergerie de la consommation ?
I. De limite, tu n’imposeras point
Ne leur parlez pas de forfaits, de clauses non libératoires ou de contrats de longue durée ! Les jeunes veulent être libres comme l’air et faire ce qu’ils souhaitent quand ils le souhaitent. Cette soif d’indépendance se traduit par un comportement de « petite abeille » butinant d’une fleur à l’autre sans se soucier du lendemain. Dans l’Hexagone, 72 % d’entre eux déclarent avoir acheté une autre marque que celles qu’ils préfèrent habituellement lors des douze derniers mois, selon une enquête de l’institut YouGov pour GT Nexus. Ce chiffre est largement supérieur à celui enregistré en Allemagne (54 %) ou au Royaume-Uni (55 %). Ces jeunes « changent très rapidement d’opinion, prévient Carol Allain. Ils vivent sur le court terme et pour eux deux années représentent une éternité. »
Toute idée de limitation ou de contrainte les stresse aussi au plus haut point. « Lorsque nous avons travaillé pour RED by SFR, nous nous sommes aperçus que la question de la gestion de la batterie de leur téléphone créait une grande tension chez eux, raconte Sacha Lacroix, directeur général de l’agence de communication Rosapark. On pourrait même parler de névrose chez certains, qui développent des comportements irrationnels. Comme ces garçons sur Twitter qui disaient devoir rester un quart d’heure de plus chez eux avant d’aller en soirée pour s’assurer que leur batterie soit rechargée à 100 %, alors qu’elle l’était à “seulement” 97 %. Un tel constat nous a encouragés à faire des films drôles afin de montrer aux jeunes qu’on comprenait leurs craintes. »
II. Pour eux, partout tu seras
Ils se déplacent avec Uber ou Blablacar. Dénichent un lit grâce à Airbnb ou Couchsurfing. Comparent et achètent leurs billets d’avion sur Liligo.com. Mangent en passant commande chez Deliveroo et Foodora. Les moins de 34 ans ont la bougeotte et indiquent aux marques qu’elles n’ont qu’à s’adapter à leur style de vie. Ils souhaitent s’informer, acheter et se nourrir sans avoir à se déplacer. À la maison, dans les transports, au travail ou en vacances, ces consommateurs aiment être chouchoutés où qu’ils se trouvent. Un seul maître mot : mobilité.
III. De publicité,
point trop tu ne feras
Certains chiffres valent mieux qu’un long discours :
84 % des millennials affirment ne pas aimer la publicité, d’après une étude de l’agence de relations publiques McCarthy Group. S’ils devaient évaluer sur une échelle de 1 à 5 la confiance qu’ils portent aux campagnes des annonceurs, leur note ne dépasserait pas 2,2/5.
« Cette génération ne déteste pas les marques, résume Erin McPherson, la directrice du contenu de Maker Studios, producteur spécialisé dans les vidéos en ligne. Ce qu’elle n’aime pas, c’est la publicité… » François Phan, directeur de l’innovation de Buzzman, ne dit rien d’autre : « Les jeunes sont chaque fois plus réfractaires aux messages des enseignes. Ils sont confrontés tous les jours à de multiples messages : le dernier trailer, la dernière pub, la dernière story de leurs amis. » Les marques doivent prendre garde à ne pas les traiter comme de simples portefeuilles sur pattes si elles ne veulent pas tomber dans les abysses de l’oubli.
IV. Des modèles, tu donneras
Malheur à ceux qui leur tournent le dos. Les influenceurs, youtubeurs et autres instagrammeurs ont un énorme pouvoir de prescription auprès des jeunes. « Les Y ne voient pas les publicités sur le bord des autoroutes, ils n’écoutent pas non plus la radio et ne lisent pas les journaux, note Carol Allain. Le meilleur moyen de leur vendre un produit est de s’assurer que beaucoup d’individus le portent déjà. Pour les séduire, les marques doivent donc leur parler par personnes interposées et utiliser des influenceurs. »
V. Le buzz, tu feras
Les générations Y et Z apprécient le buzz, surtout si elles contribuent à son ampleur. Ces jeunes sont hyper connectés puisqu’ils passent en moyenne six heures par jour sur la Toile. Une énorme majorité des 18-24 ans (72 %) s’informent grâce aux médias digitaux (72 %) et ils aiment jouer le rôle d’ambassadeurs des marques qu’ils achètent. Coca-Cola et Nutella vendent donc comme des petits pains à ces amateurs les canettes et les pots de pâte à tartiner avec leur prénom inscrit dessus.
Une griffe ne doit pas non plus hésiter à solliciter les jeunes en leur demandant leur avis. Pour satisfaire leur appétence pour l’immédiateté, les entreprises s’ingénieront à leur concocter des jeux, des promotions et des offres limitées dans le temps… afin de les pousser à agir sans attendre. Les surprendre est une autre clé de succès. Fanta n’a ainsi pas hésité à insérer dans des magazines des publicités à manger, simplement pour faire découvrir le nouveau goût de sa boisson !
VI. D’authenticité, tu parleras
N’essayez pas de leur mentir en leur faisant miroiter monts et merveilles. Les 18-34 ans savent très bien s’informer et vérifier les promesses qu’on leur fait. Cette génération « no bullshit » est très attachée aux valeurs véhiculées par les griffes. Ils auront à 85 % une bonne image des sociétés qui soutiennent une cause qui leur est chère, selon une étude de l’agence de communication Cone. « Ces consommateurs sont très concernés par ce qui se passe en amont, dans les coulisses de la marque, à savoir comment notamment elle fabrique ses produits », expliquait au magazine LSA Guy Courtin, le vice-président de GT Nexus. Parmi les personnes répondant à un sondage effectué sur cette plateforme de supply chain, 17 % avouaient qu’elles iraient à la concurrence si leur label préféré ne traitait et/ou ne payait pas correctement ses employés, ou s’il ne faisait pas preuve de démarche écoresponsable. La RSE n’est pas un gadget pour les jeunes. Ne l’oubliez pas…
VII. La nature, tu protégeras
La protection de l’environnement est une priorité. Les enseignes qui le comprennent peuvent en tirer de gros bénéfices. Timberland a commercialisé une collection de chaussures, de tee-shirts et de sacs à dos fabriqués pour moitié avec du plastique récupéré dans les décharges à ciel ouvert d’Haïti. H&M a vendu une robe plissée en « Bionic », un polyester recyclé à partir de déchets collectés sur les littoraux. Adidas s’est associé avec l’organisation Parley for the Oceans pour mettre au point une chaussure entièrement fabriquée avec des filets de pêche et du plastique récupéré en mer. Le leader mondial des crayons cosmétiques, Schwan Cosmetics, cherche à remplacer les étuis en plastique de ses produits par des matériaux naturels comme le bambou et la canne à sucre…
Les « mauvais élèves » ont intérêt à ne pas rêvasser trop longtemps. Des associations comme Rank a Brand commencent en effet à dénoncer les sociétés qui ne se soucient guère de la planète qui nous abrite tous. Parmi les pires « cancres » figurent Daniel Hechter, Chloé, Geox, Vans, Ralph Lauren, Sloggi, Victoria’s Secret, Umbro, Crocs ou Quiksilver. Qu’on se le dise…
VIII. En magasin expérientiel,
tu accueilleras
On peut passer sa vie devant son smartphone et apprécier tout de même le shopping. Les jeunes aiment toujours se rendre en boutique pour y dénicher l’objet de leur désir. Selon une récente étude de l’IBM Institute for Business Value et de la National Retail Federation effectuée auprès de 15 000 Américains de la génération Z, 98 % des moins de 20 ans préfèrent se déplacer dans un magasin en dur pour faire leurs courses. Le mall à l’américaine ne les attire, en revanche, nullement. Le trafic des jeunes dans les centres commerciaux a chuté de 30 % ces dix dernières années, puisqu’ils ne s’y rendent plus « que » 29 fois par an, contre 38 fois en 2007.
Les lieux qui les attirent sont ceux dans lesquels les vendeurs les conseillent et les orientent vers ce qui correspond le mieux à leurs attentes. La mise à disposition d’outils digitaux pour améliorer l’expérience en magasin est également appréciée, tout comme la présence de produits exclusifs indisponibles sur la Toile. La réalité augmentée et « immersive » est aussi un « plus » important pour les jeunes. Ces sites physiques doivent aussi les rassurer. « Nous travaillons actuellement sur les angoissés de la caisse au supermarché, ajoute Sacha Lacroix de Rosapark. Poser ses articles sur le tapis roulant, c’est étaler toute sa vie privée devant les autres clients… Certains se sentent jugés à ce moment-là. Nous préparons donc, pour Monoprix, une campagne afin de calmer les craintes de ces consommateurs. »
IX. Du lien, tu créeras
Les jeunes sont constamment à la recherche « d’expériences » pour se fabriquer de bons souvenirs. Mais ils souhaitent que celles-ci soient authentiques. Pour s’informer, ils écoutent les opinions de leurs proches et consultent les blogs et les sites sur lesquels des personnes donnent leur avis sur les produits qu’ils recherchent ou les destinations qu’ils envisagent de visiter. « L’expérience prime sur l’achat aujourd’hui », constate Gurvan Prioul, qui codirige Publicis La pépinière, l’incubateur de jeunes talents créatifs intégré à l’agence Publicis Conseil. « Mais il ne faut pas forcément aller au bout du monde pour vivre une expérience, souligne son alter ego Nathanaël Rouas. Elle peut aussi avoir lieu chez vous. Netflix a par exemple totalement transformé notre rapport à la télévision. » Les marques doivent parvenir à maintenir un lien permanent avec les jeunes en leur promettant de vivre des moments uniques. « Il faut les embarquer dans un univers dès la première prise de contact, conseille François Phan de Buzzman. L’expérience d’une marque et d’un produit se fait en amont, pendant et après la rencontre avec le client. On doit les faire kiffer depuis leur domicile, pendant leur trajet jusqu’à nous et une fois rentrés chez eux. »
X. Les réseaux sociaux, tu investiras
Certaines « évidences » méritent d’être rappelées. Dans leur parade pour attirer les jeunes, les marques ne peuvent plus se contenter d’agiter les médias traditionnels. Les 15-35 ans sont hyper connectés. Les plus jeunes préfèrent Snapchat et les plus âgés privilégient Twitter. Si 56 % des Français sont membres d’au moins une communauté, 84 % des moins de 40 ans utilisent au minimum une plateforme, selon une enquête du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc). Chez les ados (12-17 ans), 60 % sont adeptes des messageries instantanées (contre à peine 32 % des Français dans leur ensemble) et pour 53 % d’entre eux, les réseaux sociaux sont l’un des deux services dont ils auraient le plus de mal à se passer (avec les films et les vidéos sur Internet). Un tiers des millennials (39 %) avouent même interagir davantage avec leur smartphone qu’avec leurs proches, si l’on en croit une enquête de Bank of America. Pour s’adresser à eux, mieux vaut donc les chercher là où il se trouvent : sur les réseaux sociaux.
frederic therin
Rédacteur