Les marques se sont contentées jusqu’à présent d’êtres bien inspirées. Prime à l’idée créative, ciblage habile des émotions, jeu d’esprit, séduction des images, réinterprétation constante des grands mythes et des archétypes de personnalité, telles sont encore les recettes efficaces de ce marketing destiné à susciter le désir d’achat.
« I don’t always drink a beer but when I do I prefer Dos Equis », déclare de sa voix de séducteur aguerri le personnage créé par la marque de bière du même nom. Il est réputé the most interesting man in the world en usant d’une séduction à contre-courant. C’est drôle, c’est du second degré, c’est mémorisable, ça crée le buzz sur les réseaux et dans les after. Voilà une façon de nous renvoyer à l’idée qu’on se fait du séducteur et de sa propre relation à la séduction. Inspiration superficielle, mais pour se lancer sur le marché de la bière et exister à côté de Heineken et des milliers d’autres marques, mieux vaut faire preuve d’une créativité bien inspirée.
L’inspiration des marques est l’éternel recommencement de la créativité : il s’agit de surprendre un consommateur embrigadé dans les repères des autres marques. La bagarre des parts de marché ne peut se passer de l’idée, c’est ce que nous avons tous appris et fait. C’est quoi l’idée ? comme disait Philippe Michel ou, pour parler comme Nicolas Bordas, il s’agit de trouver l’idée qui tue !* Avec le risque pour une marque d’user jusqu’à la corde l’idée inspirée du début : Goude et les Galeries Lafayette par exemple. Il est des marques qui expirent (communication répétitive des marques automobiles), et des marques qui soupirent : Redoute, quand redeviendras-tu mieux inspirée pour être plus inspirante ?
La bagarre des parts de marché ne peut se passer de l’idée.
PLUS DE STYLE
Un certain nombre de marques cherchent à inspirer au lieu d’être simplement inspirées par de bons créatifs. Nike s’est construit en affinité avec la communauté afro-américaine et a fait de la rue une nouvelle source d’inspiration par opposition au stade et aux dieux olympiques d’Adidas. Marque inspirante pour toutes celles et tous ceux qui ont hybridé vie quotidienne et attributs sportwear.
Just do it. Une marque ne pouvait s’exprimer sur un mode plus engageant, ni plus performatif. L’essayer c’est l’adopter, Love it or leave it : les formules ne manquent pas pour nous engager. Nous engager à adopter le style de vie prôné par la marque, nous inciter à nous conformer à sa vision du monde. Smart a joué avec les recettes de l’inspiration au point de proposer à ses fans de créer ses slogans pour sa campagne « Déjouez Paris » : Tu montes chéri, y’a pas de place rue Saint-Denis, mais y’en a chez moi ; On connaît la musique, il est très difficile de se garer avenue Mozart. On n’achète pas une Smart, on est soi-même smart en conduisant une Smart. On se gare en épi quand les autres font la queue leu leu. On se faufile quand ça bouchonne. On circule à plein quand les autres véhicules ont trois places vides. Une marque faite pour les urbains ? Plutôt faite par les urbains. Bien inspirée d’impliquer la communauté dans sa communication et inspirante par le style de vie qu’elle propose, par opposition au modèle encore dominant de la voiture à cinq places. Smart, c’est conduire autrement, mais c’est surtout vivre autrement, être encouragé à l’exprimer et à le revendiquer.
Smart, une marque faite
pour les urbains ?
Plutôt faite par les urbains.
MOINS DE LOGOS
Marques inspirées d’hier, marques inspirantes d’aujourd’hui, et demain marques inspirationnelles. Les marques devront toujours être susceptibles de parler à nos désirs, d’être en affinité avec eux, mais elles devront aussi nous inspirer un mode de vie plus aspirationnel. Le désir à générer sera celui d’un autre monde. Il leur faudra se faire plus invisibles, comme le packaging neutre des paquets de cigarettes, s’effacer derrière le projet d’une vie différente dont a besoin le monde.
Ce que j’aime en tant que client d’AirBnb c’est qu’il n’y a pas de logo au-dessus de la porte d’entrée. Ce que j’aime chez Uber, c’est que la voiture est banalisée et qu’aucun signe n’indique que je voyage en Uber. Ce que j’aime avec BlablaCar, c’est que personne ne me remarque quand je covoiture… Une vie plus neutre, moins logotypée, moins enrubannée, plus axée sur les causes d’époque à servir, voilà ce que j’appelle une marque inspirationnelle.
Plus invisibles,
les marques s’effaceront
derrière le projet
d’une vie
différente
dont a besoin
le monde.
Car les enjeux que les marques devront relever sont de taille : faciliter la mobilité, manger partout comme chez soi, se loger comme dans une famille, gâcher moins, partager plus, transporter dans les délais, s’engager sur la qualité, collaborer avec les communautés, instruire mieux, favoriser l’accès aux soins, prendre en charge des solutions environnementales... Une marque inspirationnelle cherchera à se démarquer non plus seulement
par rapport à ses concurrents, mais prendra une place plus utile dans le paysage, répondra aux besoins profonds de l’époque et apportera sa pierre à l’édifice.
Ce mouvement d’indignés
a déjà donné naissance à des « start-up d’État » inédites.
« MARQUES DEBOUT »
Shar’Eat permet de commander de bons petits plats faits maison entre particuliers et de mieux se nourrir pour un coût réduit. La promesse est grande, la tenir sera un challenge dans un contexte sécuritaire. Seule une marque nouvelle, fruit d’une start-up, pouvait s’attaquer à la malbouffe, hybrider cuisine familiale, proximité et communauté. Idée inspirée, marque inspirante pour les consommateurs, combat inspirationnel, car la marque s’attaque à un grand défi. Questionnant pour les leaders comme Danone et Nestlé !
La marque inspirationnelle pensera plus par « rêves » qu’en objectifs immédiats : comment changer ce qui ne va pas dans le monde, avant de se demander comment prendre plus de parts de marché. Sa motivation sera tirée par des moonshots, ces grands défis qui font sourire ceux qui pensent petit, mais qui embarquent ceux qui ne se satisfont plus des storytellings vides de sens.
Une marque cherchera
à se demarquer
non plus
seulement
par rapport
à ses
concurrents,
mais prendra
une place plus
utile dans
le paysage.
La marque inspirationnelle se nourrira aussi de l’indignation suscitée par des problèmes insupportables à vivre dans des sociétés qui se revendiquent démocratiques, participatives, à l’écoute. Ce mouvement d’indignés a déjà donné naissance à des « start-up d’État » inédites qui deviendront des marques de la vie quotidienne. Data.gouv.fr est une plateforme ouverte regroupant les données publiques françaises. Marchés Publics Simplifiés permet de répondre à un appel d’offres public avec le seul numéro SIRET. Le portail Mes-aides.gouv.fr facilite la connaissance de toutes les aides auxquelles on a droit. Qui a dit que les marques administratives orientées vers l’usage des citoyens ne pourraient exister ?
Ce n’est ni une remoralisation,
ni une substitution
aux politiques, c’est innover
en pensant le futur.
PENSER « HtoH »
La marque inspirationnelle sera éco-centrée, numérique et proche, ne pensera plus avec les catégories BtoC ni B2B, mais HtoH (human-to-human). Posture révolutionnaire, au sens où le réclamait Marx pour engager les philosophes à l’action : « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter diversement le monde, ce qui importe, c’est de le transformer. » Idem pour les marques.
Car c’est bien ce que nous attendons : un engagement plus profond contre les déchets, contre les gaspillages de toutes sortes, contre l’obsolescence programmée, contre des innovations qui excluent, contre les inégalités dans l’accès au soin, contre la malbouffe, contre les « allégations » santé... Ce n’est ni une remoralisation des marques, ni une substitution aux politiques, c’est innover en pensant le futur, en s’adaptant au monde qui émerge, en étendant le domaine d’intervention traditionnel de la marque. C’est aussi rappeler que s’attaquer à la résolution des problèmes peut faire rêver et décevoir peut-être moins que les histoires bien inspirées des marques « belles » et « fortes ».
Inspirées, inspirantes, inspirationnelles, la mutation
est toute tracée.
Inspirées, inspirantes, inspirationnelles, la mutation est toute tracée. Les marques qui ne voudront, ni ne sauront prendre part à la construction d’un monde inspirant et aspirationnel ne marqueront plus leur époque et sortiront du paysage comme des fossiles inanimés. Celles qui chercheront et feront page blanche du passé repartiront dans une dynamique entrepreneuriale. Ce qui départagera les premières des secondes sera la force de leur désir, la puissance de leur optimisme et leur appétit de faire autrement.
*Titres de leurs ouvrages, parus respectivement en 2005 et 2009.
PIERRE-LOUIS DESPREZ
DG de Kaos. Conseil innovation & marque. Il tient le Carnet des Marques des Échos et a publié le Traité de tous les noms (Descartes), Petits cycles de bonheur (Arléa), La Marque (Vuibert). Cycliste avec âme, mélomane sans faille.
« The most interesting
man in the world »,
une campagne cas d’école
de la marque Dos Equis.