La formule est empruntée au maître en la matière, David Ogilvy, et pourrait résumer l’ensemble de cette sélection 2019 qui célèbre le grand retour du concepteur-rédacteur dans l’affichage. On voit là des publicités faites d’aphorismes, de jeux de mots, de captures de textes et de petites histoires, sans qu’il s’agisse pour autant d’affiches pleinement typographiques. Très narratifs, le concept et sa formulation, plus que le visuel publicitaire, sont au premier plan, mais ne s’y substituent pas complètement. Effet de mode ? Nouvelle génération de créatifs ? Recherche de popularité ? La crise économique, la défiance des consommateurs et l’essor de médias qui chahutent les conventions langagières sont aussi passés par là : aucune créativité n’est gratuite en matière de publicité. Pour la première fois cette année, les dépenses sur les réseaux sociaux ont pris le dessus sur celles du print. Ces nouveaux enjeux économiques, environnementaux et sociétaux dans un monde saturé d’images renouvellent l’exercice. Implicitement, des visuels apparemment moins travaillés et des choix de polices d’inspiration manuscrite ou sans empattement donneraient l’impression d’une plus grande transparence : rien que la vérité. L’économie de moyens affichée est résolument délibérée. Elle répond à une attente d’authenticité, de naturalité et de responsabilité à l’égard des marques. Inversement, c’est tout l’art aussi de raconter des histoires.
Europe 1 - ROMANCE
La radio se joue des sens pour la compréhension du message, celle d’un média qui agit dans un monde qui change. On pourrait presque lire : « Écoutez ! Changer. » La taille des caractères dit le cri, le murmure et l’urgence. À l’affiche, les visages ne sont pas les voix de la radio. Le monde est bien le sujet. En sortant des codes de l’image de studio, la radio donne à voir le réel. Et cherche à exprimer son ouverture.
Danette - BETC
Clin d’œil aux années « Culture pub » pour cette marque qui traverse les générations ? Pas seulement. Deux mots changent tout : « Toujours debout. » Malgré les injonctions à ne pas grignoter, à manger des fruits et des légumes, face à la baisse du pouvoir d’achat aussi, ce n’est pas une raison pour se priver de dessert ! Les gourmands sont toujours debout et bien vivants. Le message est dans l’équilibre. C’est malin.
Zalando - WE ARE SOCIAL
Sortir les griffes pour être soi : c’est à cette expérience que la marque invite. L’agencement des différentes couches de discours est complexe. Au pied de la lettre, Zalando voudrait être la marque qui déchire. Par une action dans le monde physique (arracher le papier), on accède à une réalité colorée et en relief. Performatifs, le message et le médium ne font plus qu’un.
Winamax - TBWA\Paris
Des lettres qui dégoulinent, du noir sur du blanc, un parlé cash : c’est gros, voire grossier, loin de la doxa et l’esprit de Coubertin, c’est le but et le pari de la marque. Droits télé, salaires des joueurs, sponsors, etc. : le sport est devenu un business. Et alors ? Réservé aux gros bonnets ? Non, tous à la caisse ! Une inversion des valeurs calculée pour un message d’insoumission.
Planète Enfants & Développement - BRAINSONIC
Cette campagne affiche sans complexe son utilitarisme : obtenir des dons, peu importe ce qui les motive. Le cynisme des slogans ne fait pas appel aux bons sentiments et le parti pris minimal a l’efficacité d’un numéro d’urgence. Assumée et grinçante, elle n’est pas sans rappeler la célèbre formule : « Votre argent m’intéresse. »
Ensemble contre le sexisme – NUDE
Ces affiches couvrent un spectre large de discriminations sexistes au sein d’un même univers de référence, celui de la mort. Les codes de la plaque commémorative sont activement détournés, comme ceux des produits customisés d’un prénom. Le regardeur oscille entre sourire et prise de conscience. La victime, à la fois nommée et anonymisée, permet l’identification. Paradoxalement, l’inscription dans le marbre joue un effet miroir…
Honda - DDB
En s’affichant en lettres cursives et enfantines, comme une lettre au père Noël, cette publicité pour le come-back d’une moto culte joue la carte de la nostalgie, mais pas seulement. Ode à l’immaturité autant qu’invitation à céder à ses caprices, l’affiche entretient parfaitement un double discours : s’adresser à l’enfant qui sommeille dans l’adulte… qui a les moyens. L’allure est insouciante, l’immaturité, réhabilitée : c’est l’expression de l’adulescence.
KissKissBankBank - ROSAPARK
Ce manifeste évoque très fortement la couverture de Storytelling, le livre de Christian Salmon paru en 2007. Au début de toute aventure entrepreneuriale, il y a un pitch. Si le récit interpelle, c’est son alliance avec la célèbre Futura boldée et les jeux de capitalisation qui en fait un manifeste de l’engagement entrepreneurial. Par association d’idée, un message pour celles et ceux qui ont du caractère.
Naturalia - Altmann + Pacreau
Pour Naturalia, le vrac is the new black. Des recherches universitaires sur le langage ont montré que l’ordre des lettres dans un mot importait peu, pourvu que la première et la dernière soient à leur place. Ici, les lettres sont en vrac, comme les produits proposés. Cependant, l’analogie va plus loin : la confusion est aussi celle du consommateur devant l’urgence écologique. En modifiant jusqu’à son logo, Naturalia introduit un message d’exemplarité.
E.Leclerc - BETC
Le ticket de caisse, vestige matériel de l’argent dépensé, est utilisé comme signal de lecture continu dans la campagne. Aux jeux de mots répond un graphisme épuré. La simplicité est maîtresse, quitte à bricoler, comme pour ce mobile fait main. L’économie de moyens est à l’œuvre. Et avec la promesse de prix bas, c’est exactement le message que l’enseigne veut faire passer.
Catherine Malaval
Elle a eu l’idée de créer Motamorphoz® en travaillant sur les grands projets urbains Réinventer Paris et Métropole du Grand Paris, auprès d’architectes, d’entreprises innovantes ou de lieux culturels. Docteure en histoire (EHESS), diplômée de journalisme et de sociologie, elle est également fondatrice de Neotopics, agence-conseil et maison d’écriture.