12 juillet 2024

Temps de lecture : 6 min

Yves Del Frate (CSA) : « les plus belles rencontres de ma vie, ce sont les écrivains »

Il aurait aimé être Tarzan, il se déplace de liane en liane dans la jungle des études. Le CEO de CSA chez Havas, Yves Del Frate, répond au « Questionnaire d’INfluencia », autour d’une madeleine et d’un thé, au sein de l’hôtel Swann* – Proust oblige

INfluencia : votre coup de cœur ?

Yves Del Frate : il est pour la France unie… avec les agriculteurs. Jusqu’à neuf Français sur dix, début 2024 étaient derrière eux, dans une rare et belle unité autour de ces femmes et ces hommes qui cultivent, qui élèvent et qui ne demandent qu’à pouvoir vivre de leur travail. C’est quelque chose qui me touche personnellement. Beaucoup d’amis qui ont fait des études aux États-Unis ou au Canada, ont pris la décision de revenir à la terre et dans leurs terres, et d’élever des animaux dans le coin où ils sont nés. Ils font des métiers incroyables. Cultiver et élever ce sont pour moi des mots qui ont de la valeur. Et quand je vois le travail qu’ils font et ce qu’ils gagnent, cela me révolte ! Je trouve génial que les Français soient unis autour d’une profession qui a contribué à façonner nos territoires, notre culture, nos mentalités.

 Pourquoi n’y a-t-il pas un ministère de la Terre ?

Mais, de l’autre côté, on a les mouvements écologistes qui ont finalement le même objectif, parce que tout le monde a besoin de prendre soin de la terre. Les agriculteurs ne sont pas là pour la détruire et les écologistes non plus. Or il n’y a pas de pont entre les deux. Pourtant, si on met ensemble les 9 Français qui soutiennent les agriculteurs et les 10% qui soutiennent les écologistes, cela fait 100% ! D’un seul coup, en reformulant le sujet et se mettant d’accord sur un programme commun, on fédère l’ensemble des Français et on règle l’agenda écologique de la France. Pourquoi n’a-t-on rien fait en ce sens ? Pourquoi n’y a-t-il pas un ministère de la Terre ? L’agriculture et l’écologie qui feraient cause commune, et fonderaient ensemble le Parti de la Terre pour prendre soin du lieu de vie de nos enfants et conjurer une mondialisation devenue malheureuse, ce serait formidable. Enfants de la terre unissons-nous !

 Nous ne sommes plus Charlot et de moins en moins Charlie

IN. : et votre coup de colère ?

Y.D.F. : l’humour attaqué de toutes parts, au pays de Voltaire, défenseur de la tolérance, de la liberté d’expression, pourfendeur du fanatisme religieux et des injustices. (Je précise pour ceux qui confondent encore avec la marque de mode…).

L’humour a disparu de la couverture de nos grands quotidiens. Où sont passées les caricatures de mon enfance et celles qui ont animé nos grands moments de crises sociales et politiques : Révolution française, Monarchie de Juillet, Affaire Dreyfus… On fait la guerre à l’humour alors que c’est l’arme nucléaire contre l’extrémisme religieux. Aujourd’hui la presse et ses canards donnent l’impression d’être réellement enchaînés. Nous ne sommes plus Charlot et de moins en moins Charlie.

Dans la même ligne éditoriale, en plus de la liberté de rire, j’ai la désagréable impression qu’aujourd’hui la liberté d’expression, la liberté de pensée et la liberté de création sont attaquées en France, pays où l’on éteint progressivement les lumières… Je ne dis pas bien sûr que nous sommes en dictature mais on ne supporte plus le débat. D’ailleurs, vous avez des nouvelles de la statue de Voltaire après son retrait du square Honoré-Champion, dans le VIe arrondissement de Paris, à l’été 2020 ? Voltaire porté disparu, à Paris !

 Je trouve que les écrivains ne sont pas suffisamment valorisés dans notre société

IN. : la personne qui vous a le plus marqué dans votre vie ?

Y.D.F. : pas une mais des personnes. Les plus belles rencontres de ma vie, ce sont les écrivains, géniaux pilotes de ces machines à rêves que sont les livres. Je suis fasciné par le pouvoir de l’écriture. Quand on se met dans un livre, papier ou digital, on part ailleurs. La lecture a un pouvoir imaginaire mille fois plus puissant que toute la vidéo du monde parce que l’on se fait ses propres images. Je trouve que les écrivains ne sont pas suffisamment valorisés dans notre société.

De Alexandre Dumas à Émile Zola, de Jules Vernes à Asimov, de Jules César à Ernest Hemingway, d’Oscar Wilde à Georges Sand, d’Emily Brontë à Françoise Sagan, de Marcel Proust à Marcel Pagnol, Stendhal et Tolstoï – je suis en train de relire « La Guerre et la Paix » -, ce sont autant de rencontres marquantes qui font de chaque acquisition de livres un petit événement pour moi.

 Je n’ai jamais trouvé d’école qui forme à l’héroïsme

IN. : votre rêve d’enfant 

Y.D.F. : quand j’étais petit, au Luxembourg, j’habitais à côté d’un kiosque à journaux et donc j’y allais. Mes parents m’avaient ouvert un crédit illimité, notamment sur les BD. Leurs personnages ont peuplé mon enfance. Et quand j’étais gamin, je n’imaginais pas ma vie autrement que de devenir un héros, je rêvais de devenir Tarzan, Rahan, ou D’Artagnan.

Mais je n’ai jamais trouvé d’école qui forme à l’héroïsme, car, il faut bien l’avouer, j’étais très peu enclin à subir la discipline des armées ou des pompiers, derniers moules où l’on fabrique les héros (rires). 

Alors, je me suis mis à lire, encore et encore – j’adore les biographies – pour vivre un temps la vie des Chateaubriand, Napoléon, Lafayette, Churchill, Mermoz… sans oublier Corto Maltese, on ne se refait pas.

J’ai le défaut d’être un golfeur passionné

IN. : votre plus grande réussite ? (pas professionnelle)

Y.D.F. : “You’ve got to find what you love”, disait Steve Jobs. Donc, en plus de mes mariages et de mes enfants, ma plus grande réussite est due à un équilibre quotidien dans ma tête entre mes différents métiers – ce qui fait que je ne m’ennuie jamais et que j’ai toujours envie d’en découvrir d’autres – et ma vie personnelle. Entre les disciplines de Bill Bernbach, Marshal McLuhan, ou Georges Gallup, mais aussi celles de Tiger Woods – j’ai le défaut d’être un golfeur passionné – et Shiva (le premier à avoir initié il y plus de 15 000 ans la pratique du yoga, que j’ai découvert grâce à mon épouse et que je pratique tous les jours). Je suis assez fier d’avoir réussi à trouver cet équilibre dans un monde assez déséquilibré. « Stay Hungry. Stay Foolish ».

IN. : votre plus grand échec ?

Y.D.F. : ma tentative tardive et laborieuse de me mettre aux échecs, plusieurs années après mon fils : échec et mat ! Il a aujourd’hui 20 ans mais à 12 ans il me battait déjà à plates coutures. C’est humiliant. Le roi est mort, vive le roi ! C’est une never ending story. Je ne le rattraperai jamais à moins que je m’y mette comme un dingue. Ce n’est pas dans mon programme aujourd’hui, mais après tout, la vie est longue (rires).

Je me dis que même l’intelligence artificielle aura du mal à rattraper la bêtise humaine

IN. : que vous dites-vous tous les matins en vous rasant ?

Y.D.F. : en écoutant la radio, je me dis que même l’intelligence artificielle aura du mal à rattraper la bêtise humaine. Quand je vois la politique de la terre brûlée, l’esprit va-t’en guerre de retour, les politiques qui ne parlent plus à l’intelligence des Français, ces gens si bien formés qui ne savent plus compter que jusqu’à 51 %, l’école cernée par les parents, la politique et la religion, une justice qui sort de son droit, l’Iran d’airain, l’ONU de plus en plus nulle… je me dis « ouf, il reste les entreprises ! ». Quand je rencontre des clients, je suis heureux de voir qu’on est quand même dans un monde qui continue à oser, à entreprendre et à investir. Et je me dis que ce métier de communication est quand même un beau métier de lien.

IN. : la décision la plus difficile que vous ayez prise  

Y.D.F. : répondre sincèrement à vos questions dans un monde de plus en plus insincère, où postures riment avec impostures, EDL (éléments de langage) à l’appui. Cela rejoint ce que je disais sur la liberté d’expression. À force de répéter : « je ne peux pas dire cela », on ne dit plus rien. J’aurais pu ne pas vouloir révéler que je voulais être Tarzan quand j’étais petit par peur du ridicule et choisir d’affirmer que mon rêve était de devenir Victor Hugo parce que c’est le plus grand écrivain français. La barbe me serait très bien allée (rires).

IN.: un projet personnel pour plus tard 

Y.D.F.: quelques leçons de natation… Je nage comme un caillou alors que je me suis marié à une sirène. 

J’ai toujours été fasciné par les Indiens d’Amérique

IN. : quel animal emmèneriez-vous sur une île déserte

Y.D.F.: c’est une question difficile parce que je ne suis  pas très « animaux ». Mais j’essaierai d’emmener un animal magnifique auquel je n’ai pas été confronté : un cheval. Le cheval a toujours été très important dans la vie de l’homme et dans l’histoire. J’ai toujours été fasciné par les Indiens d’Amérique, j’ai cette image des Indiens dans leurs prairies qui chassent les bisons à cheval. J’essaierai de découvrir cet animal, de comprendre comment il a pu autant influencer l’homme et de voir si j’ai envie de le discipliner, de le monter ou non. Après, par sûr que le cheval soit très utile sur une île déserte. Mais ça ferait une très belle image (rires).

En savoir plus

L’actualité de Yves Del Frate, CEO de CSA chez Havas :

–      Développe les applications de l’intelligence artificielle chez CSA Research. Une innovation structurante est prévue pour la rentrée.

–      Développe CSA Data Consulting à l’international.

–      Lance, avec CSA Geo Stratégie, une joint-venture avec Havas : Havas GeoTech, une agence de marketing local organisée autour de la data mesurée localement et de l’IA.

–      Conseille des grands clients chez Havas dans leur transformation media (ROI, RSE).

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