INFLUENCIA : à quelles évolutions d’usages la mesure d’audience est-elle confrontée ?
Yannick Carriou : l’audience est de plus en plus la résultante de plusieurs occasions de consommer un média – et parfois des médias concurrents – sur différentes plateformes. Additionner les audiences et intégrer les nouveaux usages est toujours un défi. Un nouveau mode de consommation comme le preview doit être abordé d’un point de vue technique et conventionnel, avec la bonne granularité. Dans une économie qui se synchronise de plus en plus avec des usages fragmentés, la livraison quotidienne des audiences est un autre enjeu. En télévision, l’audience quatre écrans est mesurée mais il n’est pas simple d’accompagner les éditeurs dans leur stratégie quatre écrans sur tous les aspects (payant, gratuit, preview, catch-up…) et de livrer les résultats tous les jours. Cela passe par des phases d’industrialisation, d’automatisation, de contrôle et de sécurisation de nos process. La fiabilité, la régularité, la précision et l’exhaustivité de nos mesures permet aussi de donner le juste poids de ces différentes consommations et des usages qui évoluent, mais pas toujours à la vitesse que l’on croit.
IN : qu’avez-vous mis en place pour l’arrivée de la télévision adressée en 2021 ?
Y.C. : nos premiers outils et offres autour de la télévision et la publicité adressées sortent en début d’année. Pour que les annonceurs ne paient pas deux fois, il faut dans ce cas soustraire l’audience de la télé adressée de celle de la télé linéaire. J’espère que, d’ici fin 2021, nous aurons une offre commune avec les opérateurs pour ajouter de la précision à cette première offre.
IN : comment les évolutions réglementaires interfèrent avec la mesure d’audience ?
Y.C. : alors que les médias ont plus que jamais besoin de mesure d’audience, certaines législations rendent cette mesure plus difficile en nous embarquant par effets de bord dans des causes ou des débats qui ne sont pas forcément les nôtres. Le législateur ou le régulateur comprend parfois un peu trop tard que la mesure d’audience telle que nous la pratiquons est un bien de marché. Peut-être parce que nous ne faisons pas assez de pédagogie sur notre métier… La compréhension de nos enjeux évolue, notamment à la Cnil autour de la législation sur les traceurs, même si c’est loin d’être parfait. Les nouvelles contraintes vont renchérir considérablement le coût des mesures à un moment où aucun média ne peut le vivre sereinement. Au niveau européen, nous arrivons aussi à mieux faire comprendre notre rôle. En France, la régulation de l’Arcep sur la numérotation des centres d’appels cherche à encadrer le démarchage téléphonique abusif, mais nous impacte puisque – comme toutes les sociétés d’études – nous sommes aussi centre d’appel.
IN : dans quelle mesure la technologie aide à faire évoluer la mesure d’audience ?
Y.C. : on le verra prochainement sur la radio, dont la mesure d’audience était restée assez traditionnelle. Ce média est formidable par son impact – il touche trois-quarts des Français tous les jours – et sa diversité. Pendant des années, les évolutions possibles entre le déclaratif et la mesure automatique se sont enlisées dans un débat entre les Anciens et les Modernes. Dans les faits, aucune mesure dans le monde n’est 100 % automatique, mais certaines intègrent une partie d’automatique. En prenant les outils pour ce qu’ils font, il devient possible de bâtir des mesures hybrides qui valorisent et illustrent commercialement les stratégies des différents acteurs : exploiter des contenus patrimoniaux, créer de l’impact immédiat, mettre en avant du sport ou de l’événementiel… La mesure gardera un tronc commun avec différentes méthodes de collecte, et intégrera je l’espère de la mesure automatique, de la data… Le débat lancé et animé par Médiamétrie doit permettre de doser les différentes méthodes. Nous pensons trouver un accord en 2021 sur ce que sera la mesure de demain pour ce média.
IN : quel rôle joue la data ?
Y.C. : Médiamétrie a la capacité et même le devoir de promouvoir un écosystème de la French Data. La culture digitale irrigue tous les médias à des vitesses diverses. Il est important que nous rentrions dans cet écosystème en nous connectant au monde de la data et aux opérateurs qui ont de la data sur les audiences, sans sacrifier l’unicité et la robustesse de la mesure d’audience. Nous avons déjà entamé des discussions pas simples mais positives et engagées, dans lesquelles tout le monde comprend l’intérêt d’enrichir la mesure d’audience de nos apports respectifs. Hybrider la mesure avec les opérateurs permet de se rapprocher des retailers, de différents produits de ciblage qui font entrer les médias linéaires dans cette stratégie.