Il répond aux questions d’INfluencia, sa petite fille de six semaines dans les bras, de chez lui en télétravail après son mois de congé paternité, Wale Gbadamosi-Oyekanmi ,un vrai papa des temps moderne. Avec plus de 90 salariés aujourd’hui l’agence Dare.Win créée il y a dix ans, alors qu’il n’avait que 28 ans, est faite de diversité à tous les niveaux. Féru de digital, des médias et de l’entertainment comme il l’explique, le boss de Dare.Win nous dit beaucoup de notre époque.
INfluencia : que vous inspire le métier de publicitaire tel qu’on le connaît à l’heure où Internet rebat les cartes ?
Wale Gbadamosi-Oyekanmi : pour être tout à fait honnête, je n’ai pas passé assez de temps dans le monde des agences de pub pour avoir la prétention de vous dire ce que j’en pense. J’ai commencé à travailler pendant cinq ans dans l’univers de l’audiovisuel, avec un passage chez Endemol notamment où je produisais des contenus audiovisuels. Puis j’ai fait un tour de dix mois en agence de pub, chez Buzzman, pour ensuite monter Dare.Win. Mon parcours fait que je ne suis pas un héritier de la culture d’agence telle qu’on l’entend. En créant Dare.Win j’ai ainsi mixé mes expériences professionnelles à mon désir de créer du contenu publicitaire basé sur l’entertainment, le divertissement, en utilisant un nouveau canal encore très peu utilisé par l’univers publicitaire, le digital.
IN : mais si on vous parle de Jean-Paul Goude, cela vous parle…
W.G-O. : vous me citez l’exception ! Goude est un homme exceptionnel d’inspiration…
IN : perd-on en créativité aujourd’hui ?
W.G-O. : Il faut regarder les traces laissées par la communication, et non pas le volume produit… On ne perd pas en créativité, on se retrouve juste moins visible parmi la quantité d’informations disponibles. Il faut considérer le fait qu’à une époque, il y avait des médiums beaucoup plus restreints. Aujourd’hui bien d’autres moyens sont disponibles pour toucher différentes audiences. C’est un tout autre système dans lequel nous baignons. Par ailleurs, et c’est fort regrettable, la pub intrusive fait florès. On sème du désamour pour la pub, on la réduit à ces formats envahissants. Vient la notre rôle, celui d’user de la créativité, de créer de l’émotion en s’adaptant à des insights réels, pour trouver des solutions intéressantes à des problématiques clients/consommateurs.
IN. : artistique, créatif, art, création, n’y-a-t-il pas confusion des genres aujourd’hui?
W.G-O. : l’art est une expression de soi, avec des messages personnels, ce n’est pas une commande. La création publicitaire n’est pas de l’art à son prémisse. C’est être au service d’un marché, avec un brief, des consommateurs qu’il faut conquérir, ou conforter, accompagner… et on use de créativité pour cela. Une chose est sûre, si l’on parle plus d’art aujourd’hui c’est que le digital le sort de sa confidentialité, d’un certain entre soi pour être accessible à une plus grande majorité. On a plus forcément besoin de vivre à Paris, à New York ou à Tokyo pour apprécier et avoir accès à l’art…
IN. : vous évoquez la diversité de Dare.Win, que vous n’avez pas trouvé ailleurs et qui vous est chère… Il n’y a pas d’école pour intégrer Dare.Win…
W.G-O. : être un homme noir, fondateur et président d’une agence de publicité parisienne est déjà un premier pas dans la diversité. L’endroit d’où l’on vient, l’âge, les origines sociales, le passé, les passions d’enfance, les obsessions de chacun, tout cela constitue l’histoire d’une personne. Chez Dare.Win, on ne fonctionne pas par « écoles », « profils », on travaille avec des personnes qui ont un rôle à jouer pour ce qu’elles sont, ce qu’elles savent faire, ou ce que je sens qu’elles sont capables de faire. Nous vivons une mutation profonde due en grande partie à la pratique d’internet. Ce sont les usagers et les consommateurs qui sont aux commandes aujourd’hui. Ce sont eux qui possèdent des ad blockers, et qui décident de ce qu’ils veulent voir ou non, alors si l’on prend en compte ce seul critère, la question est de savoir comment leur plaire, les emmener, créer les histoires auxquelles ils adhèrent sans pour autant devenir démagogiques, et tirer la communication vers le bas. La créativité n’est plus ce qu’elle était, et plus forcément là où elle était non plus. Dare.Win vit au même rythme que celui de la société et nos collaborateurs sont aussi des consommateurs, on s’adapte donc à toutes ces évolutions. On n’impose rien on vient répondre à de vrais attentes.
IN. : le marché de la pub vit des heures difficiles, tout le monde ne s’en sortira pas.
W.G-O. : nous sommes dans une vraie évolution de marché. Et tout le monde ne survivra pas. -La Covid a eu un impact sur l’économie, le mode de vie-, lit-on, -que l’on n’avait pas connu depuis la seconde guerre mondiale- à des niveaux différents. il est nécessaire de prendre conscience des enjeux contemporains qui sont au cœur des revendications citoyennes : problématiques liées à l’écologie, accélération digitale, conséquence des avancées technologiques ainsi que de la situation Covid… Tant de sujets qui demandent à tous de s’adapter, de revoir ses pratiques. La grande distribution, la restauration, le tourisme, l’événementiel, pour ne citer qu’eux vont devoir s’adapter. Et vite. La seule certitude, c’est le changement. Adapt or die comme on aime bien le répéter chez Dare.Win, c’est notre façon de travailler depuis le départ.. Le changement est inhérent au business, aujourd’hui c’est une vague, il faut y aller. Ne pas avoir peur de s’adapter.
IN. : la publicité est de nouveau la proie d’attaques… Que pensez-vous de la tribune « Avant d’Interdire » ?
W.G-O. : je ne suis pas d’accord avec cette tribune. Nous travaillons pour des marques et si les consommateurs nous parlent de préservation de la planète, et qu’il y a des levées de boucliers, le bon sens est d’être plus responsable, et d’aller dans ce sens. C’est le même débat qui se joue sur le digital. Soit on se fait engloutir, soit on surfe. Pas n’importe comment. Il ne s’agit pas simplement de suivre mais de comprendre et d’entendre ce qu’il se passe et ce que les gens font remonter. Là encore c’est une question d’adaptabilité pour le mieux.
IN. : que vous inspire la fermeture pure et simple de BBDO ?
W.G-O. : c’est un symbole fort, un message aussi de la fragilité du secteur.
IN. : vous évoquez la justice, l’équilibre, parmi vos clients il y a Google, qui n’est pas un exemple de transparence, comment le vivez-vous ?
W.G-O. : personne n’est parfait. Je ne suis pas d’accord avec tout ce que font mes clients, mais je choisis sur quels sujets je travaille. Concernant Google, notre travail avec eux se tourne autour de l’accès à l’art pour tous, gratuitement. On les accompagne ainsi via leur plateforme « Google Arts&Culture », un formidable pari et une belle initiative à mon sens. Pour moi, la question est de savoir ce que j’apporte de positif à mes clients, on peut contrairement à ce que l’on pense faire évoluer une marque, s’opposer à ses points de vue, et la faire avancer, c’est comme quand on discute avec quelqu’un, si l’on a la bonne posture intellectuelle, argumentée … alors on peut faire bouger son contradicteur. Mais il faut être pédagogue, crédible, et sans morgue…
IN. : la morgue… c’est ce qui constitue la parole libérée aussi… Comment gérer la violence révélée sur Internet ?
W.G-O. : je ne le répéterai jamais assez, l’outil est neutre. La question qu’il faut se poser tourne autour de ce que l’on en fait. C’est ainsi le rôle de chacun de veiller à ce que les jeunes, nos enfants, nos voisins, nos proches l’utilisent au mieux. Le rôle des parents est fondamental, celui de l’éducation (nationale) l’est tout autant. Pour la première fois de l’histoire ce sont les enfants qui apprennent à leurs parents à se servir, à découvrir des choses sur le digital, la moindre des choses pour les adultes responsables que nous sommes censés être, c’est de faire le travail de comprendre où l’on vit et à quelle époque pour pouvoir répondre, contenir, éduquer, apporter la mesure et l’encadrement nécessaire. Il est trop facile de dire à mes enfants « je ne suis pas responsable de toute cette violence accessible sur le digital”, il y a trente ans, nous étions scotchés aux écrans TV, puis les oreilles collées au Walkman h24…” Le problème aujourd’hui n’est pas si différent. Sauf en ce qui concerne la quantité de contenus sans filtre. A mon sens, des cours de compréhension du monde, des images, sur les fake news, devraient être enseignés à l’école. Ce qu’il manque aujourd’hui c’est le décryptage de tout ce à quoi on a accès. Lorsque je regardais Arrêt sur Image, j’apprenais, je n’étais pas seul face à mon écran, la télé jouait son rôle de guide.
IN : être dans le coup quand on a 40, 50, 60 ans n’est pas si aisé ? Que préconisez-vous ?
W.G-O. : : nous sommes extrêmement formatés à réfléchir comme avant… Le digital est extrêmement fort et puissant et demande une vraie pédagogie. Les parents et les enseignants, l’école prépare les enfants à la vie. Il me semble intéressant de penser aussi dans l’autre sens. Qu’en serait t-il d’utiliser nos jeunes, “enfants du digital”, dont les codes et usages de cette culture web n’ont plus de secrets, pour former les générations dont les pratiques digitales ne sont pas la coutume. Ce sont de vraies nouvelles formations, de cursus adaptés à notre époque dont nous avons besoin autour du digital.
IN. : vous travaillez pour Google donc, pour Instagram, pour Amazon, on aurait pu vous cantonner à jouer avec ces clients nés d’internet, ce n’est pas le cas. Comment l’expliquez-vous ?
W.G-O. : en fait, en travaillant avec ces plateformes, nous avons acquis une expérience qui nous a permis de grandir auprès de clients qui justement devaient « entrer » sur ces denrières. Cela a été un avantage pour Dare.Win. Et c’est ainsi que nous avons remporté des comptes tels que Bacardi, Bel, et d’autres qui avaient besoin de cette nouvelle culture.
IN. : avez-vous des pubs faites par des concurrents que vous trouvez mythiques ?
W.G-O.:pour sa puissance, son engagement, son absolutisme: cette campagne pour Nike
IN. : quelles sont les pubs de Dare.Win dont vous êtes le plus fier ?
W.G-O. : la campagne Marie-Claire X Spotify…Celle de Nike où on met en avant la difficulté pour les adolescentes de faire du sport de manière décomplexée….
… et le format Visibles qu’on a développé pour Netflix qui met en avant des communautés sous-représentées souvent dans les films/séries … tout ce que Netflix essaie justement de mettre en avant.